Septembre 2014

La Rebellion contre le trône de Ludmilla s'est officiellement terminée en Août. La plupart des anciens à sa soldes, dont les jumeaux, sont partis. Trois autres rebelles sont morts de la main même de Svenhild. Les trois cervelles ont été déposées à l'entrée de la grotte d'Ezéar, dans la montagne noire. Par anticipation, l'Ours avait quitté les lieux depuis la nuit de mon évasion, et s'établissait dans les forêts des Pyrénées. Les rats et les insectes avaient commencés à les grignoter quand nous avons trouvé ces écoeurants trophées, mais il restait les petites plaques de bois gravées laissée soigneusement devant chaque pile de matière grise broyée. Anselme, Genevieve, et Lauren.

Je ne peux pas le nier : j'ai été ébranlé par la barbarie du geste.

Ezéar, lui, n'a pas prononcé un mot. Il nous a simplement planté là, Feï, Lesia et moi : je l'ai vu plonger du bord de la falaise et atterrir habilement dans un arbre, avant de disparaître dans l'épaisseur du bois.

Nerveux, je n'ai pas pu demander à mon père ce qu'il pensait qu'Ezéar ferait. Je n'ai pas eu d'autre choix que de rentrer chez moi. J'ai passé la soirée normalement, avec Max, la moitié de mon esprit tout à mon dégoût et à mon inquiétude dont je ne pouvais décemment pas lui parler... Des cervelles hachées à demi dévorées, et mon ami, probablement parti rencontrer sa mort.

Non, pas sa mort. J'ai refusé d'y croire et j'avais raison. Svenhild était absente quand il a pénétré le laboratoire. J'ignore comment il a échappé à Sasori, ni comment il a trouvé Azul. Tout ce que je sais c'est qu'elle était dans un état qu'aucun mot ne peut décrire. La Reine faisait garder ses restes par Ludwig... Aujourd'hui, c'est sans doute ceux de Ludwig, qu'il faudra garder quelque part.

Ezéar a installé Azul dans une nouvelle grotte, dans les Pyrénées. Nous l'avons vue hier, Ierofeï et moi. Lesia voulait venir, mais nous avons crains que le spectacle soit trop choquant. D'après ce qu'ils disent, les dégats ont déjà pas mal été réparés, mais ce n'est pas frappant pour moi. Azul sourit en soufflant qu'Ezéar lui a au moins fait reprendre forme humaine mais, si effectivement ses jambes et ses bras sont au bon endroit, chaque petit os semble brisé en mille morceau. Sa peau manque sur de larges zones et elle présente plusieurss trou dans la chair, comme arrachés avec les dents. Un bout de sa langue manque, ce qui impacte sa parole, mais il n'y a qu'Ezéar pour en rire. J'ai été surpris, de le trouver de si bonne humeur. A croire que trouver Azul vivante malgré tout avait levé tous ses soucis.

Pourtant, peu avant notre départ, elle s'est endormie. Ezéar a soulevé la couverture qui couvrait son tronc pour l'examiner et son front s'est plissé. J'ai cru défaillir au spectacle que ce geste à dévoilé. En remarquant, dans sa poitrine explosée, l'absence évidente du muscle cardiaque.

Juste un trou béant et des artères orphelines...

Je dois l'avouer, j'en suis encore choqué. J'ai beau connaître le principe des cellules autonomes, j'ai du mal à comprendre comment elle peut être toujours en vie sans la pompe supposée faire circuler son sang.

Au bout d'un bon mois, Azul a repris la capacité à se déplacer. On s'est demandé si une greffe de cœur ne pourrait pas lui être utile, mais elle a refusé. Elle pense que ça ne servirait à rien. Ezéar est déçu, il avait l'espoir qu'une pompe accélère la circulation des cellules immortelles dans son corps.

Immortelles. C'est le mot qu'il a utilisé. Le mot qui explique pourquoi le sang qui circule, l'air qui gonfle les poumons et la nourriture ne sont pas utiles aux Hybrides. Le mot qui fait d'eux des êtres véritablement incroyables. Je n'en suis pas là. J'en suis même loin. J'ai encore besoin d'air pur et d'eau fraiche, encore besoin de me nourir, d'évacuer, de dormir, de maitriser mon rythme cardiaque. Personne ne sait si la quantité de ces cellules immortelles en moi augmentera un jour. Si je deviendrais réellement l'un d'entre eux.

Azul, en tout cas, se rétablit, même sans coeur. Elle est simplement très froide et son teint ambré a presque disparu sous la pâleur.

Lesia a fini par venir la voir, en forçant un peu. Elles semblent avoir beaucoup d'affection l'une pour l'autre. Elena aussi, est venue, mais je me suis tenu à distance pour ne pas la gêner dans ses retrouvailles. Azul est une personne incroyable, elle est à mes yeux une figure de bonté pure, et un pillier indispensable dans le petit groupe que nous formons. La chaleur dans les sourire qu'elle m'adresse m'émeut presque aux larmes.

Grâce à elle, il y a quelques jours, Ierofeï a prononcé son premiers mot après des années de silence borné. C'était un simple « oui » murmuré, mais c'était énorme. Et, par bonheur, il a continué sur sa lancée. Lesia dit qu'il dit au moins un mot par jour, et de façon de plus en plus claire. Parfois, ce sont des petites phrases futiles, qui le font paraître plus vivants. Quand elle me raconte ça, Lesia semble pétiller d'une excitation enfantine et d'une joie que je ne lui ai pas vue depuis ce jour où elle est entrée dans ma chambre et a trouvé mes draps en sang. C'est comme si le dénouement de cette vie de cauchemars était enfin arrivé pour elle, inattendu, inespéré, et qu'elle s'autorisait enfin, du haut de ses dix-neuf ans, à être une jeune fille.

Régulièrement, elle vient me rendre visite à Toulouse, et partage un repas avec Max et moi. Elle nous parle de ses projets, de ses études littéraires. Je l'observe très attentivement, et je me dis qu'elle semble tout à fait normale. Sa dentition est polie comme celle de tout être humain, ses ongles rongés sont un peu mous, ses bras sont fins, sans muscles, presque maigres. Les tests effectués par Svenhild et Zedan montrent que ses cellules hybrides sont peu nombreuses et d'un tau constant. Les miennes sont latentes aussi, mais beaucoup plus nombreuses d'où la finesse de certains sens, le tranchant de mes dents, la dureté de mes ongles et ma musculature fine mais présente alors que je suis un rat de bibliothèque. Difficile de ne pas se demander comment nous vieillirons, elle et moi.

Apparemment, aucun test n'a su déterminer pourquoi Ierofeï était doté de spermatozoïdes fertiles, ni comment des spermatozoïdes Hybrides avaient pu prendre forme dans un utérus normal sans s'y étendre et prendre possession du corps nourricier. Elena est sans doute simplement incompatible. Mais ça n'est qu'une supposition.

Il y a encore des tas d'autres mystères. La transmission, par exemple, reste à l'état de théorie. Ezéar dit qu'il s'est fait éventrer par un ours. Azul n'a aucune idée de ce qui lui est arrivé . Ierofeï aurait touché les blessures d'un chien sauvage en ayant des coupures sur les doigts. A priori, ça ne se transmet pas sexuellement, ni par la salive, ni par l'alimentation. La seule chose qui soit sûre, c'est le contact de sang à sang, et encore, si l'hôte récepteur est compatible. Pas étonnant que les hybrides ne courent pas les rues. Surtout si un tiers d'entre eux devient fou et est purement et simplement éliminé par ses congénères.

Svenhild a encore le contrôle du laboratoire. Zedan y exerce toujours. Sasori garde l'endroit... Même si le royaume s'est effondré et que tous les spécimens en captivité ont été libérés d'une manière ou d'une autre, leurs recherches se poursuivront tant que les réponses à ces mystères n'auront pas été trouvées.

Force est d'admettre qu'il est utile d'en savoir un peu plus sur notre condition. Mais est-ce que ça en vaut le prix ? Est-ce qu'il ne faut pas craindre leurs prochains mouvements ?

Après tout, il leur faudra bientôt de nouveaux sujets d'étude.