1.8 Mahe - Retrouvailles
Audrey me cherche.
Je sens son odeur au bout de la rue.
C'est la sixième fois, depuis hier soir. Mais, chaque fois, elle finit par s'éloigner. Il est trop tôt pour elle. J'ai été négligent. Nous n'avons jamais travaillé sur les odeurs, j'ignore même si son sens est assez développé. Saurait-elle seulement m'identifier au milieu d'une plaine déserte ? Alors, me trouver parmis toutes les puanteurs urbaines...
Honnêtement, être celui qu'on cherche me fait un drôle d'effet. La situation a quelque chose d'amèrement ironique ; dans un élan de projection, je me promet de ne pas la laisser errer pendant 200 ans. Mais il y a peu de chance pour qu'elle mette tant de temps. Si elle s'est plusieurs fois approchée si près que j'ai pu la sentir, c'est qu'elle a suivi son instinct sans en avoir conscience. Il ne lui manque que quelques clefs pour balayer ses doutes.
J'ai laissé un message à son attention quelque part où je pense qu'elle repassera, pour l'inviter à réduire sa zone. Je sais où je vais, le quartier n'est pas peuplé, ce sera plus simple. Il faudra corser le challenge plus tard, mais il n'est clairement pas temps.
Oh, bon, d'accord, je ne suis sûr de rien, j'aurais pu la laisser chercher encore un peu. Mais personne n'a fixé de règle, et puisqu'on me force à ce rôle de mentor, je suivrais mes propres instincts.
Allons... Et qu'en est-il de cette odeur là, qui m'apaise tant que mon coeur se tait presque ? Le son des pas rapprochés, devenus légèrement traînants. La chaleur irradiante d'un corps ému. Et le souffle qu'un rire silencieux pousse jusqu'à ma peau...
- Mahe descendu en ville pour la deuxième fois dans une même année ? Incroyable... »
Douce voix âgée et chaleureuse. Je souris.
- Lesia.
J'entends ses mains fendre l'air quand elle se dresse sur la pointe des pieds pour m'embrasser les deux joues de ses lèvres plissées.
- Qu'est-ce qui t'amène ici, cette fois, mon ami ?
Ce familier mélange d'anglais, de russe et de français fait disparaître ma perception des alentours. Comme chaque fois que je lui rend visite, les premiers instants de retrouvailles me replongent dans le passé, quand elle était encore jeune et que je découvrais encore les sons.
Doucement, je prend ses mains encore solides sous sa peau ridée.
- Comment-vas-tu ?
Elle rit, de la voix éraillées des très vieilles personnes.
Je vais très bien, compte tenu des circonstances.
Un frémissement d'angoisse me refroidit à ces mots. Je l'attire vers moi pour la serrer dans mes bras. Il me semble qu'elle a encore perdu de la taille. Et pourtant, son dos n'est pas courbé, elle se tient toujours aussi droite qu'une jeune fille, et soupire de la même façon quand sa tête vient reposer sur ma poitrine, les mains lovées sous son menton.
- Ysha est dans le coin aussi.
- Oui, je sais. Il vient me voir tous les jours.
Bien sûr. Je n'ai mentionné sa présence que pour éviter le sujet de son état. Eviter d'avoir à penser à sa dégénérescence cellulaire qui semble annoncer la fin.
On peut penser ce qu'on veut d'Ysha, son affection pour Lesia sera toujours plus forte que n'importe quel degré de son immaturité légendaire. Que peuvent la vieillesse et la mort contre deux-cents ans d'attachement ?
J'ai dû rester silencieux trop longtemps, Lesia s'extirpe de mes bras en roulant des épaules pour dérouille ses muscles endoloris. Elle m'effleure le poignet pour attirer mon attention sur son mouvement.
- Viens ! Viens chez moi.
Je mêle mes doigts aux siens et la laisse me guider jusqu'à sa porte.
Comme avant.
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