112. La Cité des Supplices (partie 2/2)
La Mère Suprême sort de la pièce. Le simplet soulève sa toge pour arborer son pénis tendu. Affolée, je le supplie :
— Pitié ! Détache-moi ! On fera ce que tu voudras !
— Non ! La Mère ne serait pas contente !
Mes larmes ne provoquent aucune empathie chez lui. Je ne pensais pas finir mon aventure comme ça. Il se place derrière-moi. Je serre les dents, les muscles du ventre et ferme les yeux. Après dix longues secondes, ne le sentant toujours pas me pénétrer. J’entrouvre les paupières. Il est en train de se masturber frénétiquement. Il se fige, gémis de plaisir et sa semence s’écrase sur mes fesses.
— Ah ! C’était bien !
Il quitte la pièce, me laissant seule. Je remercie le hasard que mon gêolier soit aussi simplet. En ralentissant ma respiration, j’essaie de calmer mon cœur qui ne se remet pas des chocs électriques. Malgré le départ du simplet, je ne sais pas encore ce que l’avenir me réserve.
— Allez Neunoeil ! À toi de jouer !
Il quitte mon ventre, passe entre les électrodes, puis se diriger vers mon premier poignet. Ses tentacules tirent comme ils peuvent sur la sangle de cuir serrée fort. Mais il n’a pas assez de force.
— Essaie l’autre.
Il change de poignet. Mais la boucle est trop serrée pour sa force.
— Mais Fuck ! Tu seras à rien !
La porte s’ouvre. Mon parasite pleutre se précipite entre les pics pour retourner dans mon nombril. Mon chien me contourne et me hume le visage.
— Cadeau ?
— Ça va, Fanny ? murmure le shérif.
Il s’accroupit et détache les entraves de mes chevilles.
— Je pense.
Il détache mes poignets, je me redresse et mes jambes cèdent sous mon poids. Il me retient. Mes cuisses tremblent. Je me concentre pour retrouver le pouvoir de mes muscles. Je cherche mes habits du regard ou de quoi essuyer le sperme du simplet. Ne me sentant pas tenir, je me dirige vers un tabouret à trois pieds et m’y assois. Le shérif me tend un pistolet :
— Il ne faut pas traîner.
— La Mère Suprême a buté le Cardinal. Elle va faire croire que c’est moi.
D’un mouvement de tête en arrière, il prend conscience de tout ce que cette accusation peut impliquer. Il opine du menton. Je dis :
— Il faut que nous la trouvions.
— Elle peut être n’importe où. Il suffit d’attendre, elle reviendra.
— Je me remets sur le truc de torture pour pas qu’elle se méfie ?
— Si tu la tues, tu n’en resteras pas moins la meurtrière officielle de deux têtes de l’Eglise.
Je caresse la tête de Cadeau qui vient se poser sur mes jambes. Il a sans doute raison. Mais sans la Mère Suprême lancée sur ses envies de vengeance, je me sentirais plus libre d’aller et venir entre nos deux mondes. Je soupire :
— Elle ne nous lâchera jamais, et elle a trop d’influence. Sans elle, il y aura peut-être moyen de négocier avec le futur Cardinal.
— Une petite danse en échange de l’absolution ?
Je hausse les épaules.
— D’accord. On attend la nuit. Si elle revient avant, tu auras ta vengeance.
J’embrasse Cadeau entre les oreilles.
— Maman est en sécurité ?
— Elle est repartie avec Léonie et Jésus par le couvent. Aux nonnes, ils feront croire à mon décès.
— Vous êtes resté pour moi ?
— J’ai profité de l’inquisitrice pour entrer ici.
— Elle sait que vous êtes là ?
— Elle n’osera pas dire à sa maîtresse qu’elle a cédé à la menace, ni qu’elle m’a cédé la clé pour nous laisser repartir. Ce serait signer sa mise à mort.
— Cool.
Nous restons silencieux. Je pose le pistolet au sol, une main sur le mur pour essayer de me lever. Mes muscles semblent avoir retrouvé leur tonicité normale, mais ils sont fourbus de fatigue. Je tourne le dos au shérif et hasarde quelques pas. Je reviens vers lui, sans que ses yeux clairs ne se détachent de moi. Je ne sais pas s’il regarde mon visage ou mes seins. Ses pupilles sont dilatées, intimidantes.
— Il faudrait savoir où ils ont mis mon pantalon.
— Il y a une robe de nonne à l’entrée du couvent.
Je pose l’épaule et la tête contre le mur, épuisée. Il ne bouge pas d’un cil. Un bruit retentit dans le couloir, son sourcil se fronce. Alors je réalise qu’il ne me regarde pas du tout, qu’il est concentré sur le bruit environnant, comme un prédateur prêt à bondir.
Le silence est total, les muscles de son cou se détendent, il change d’appui sur une jambe. Je me rassois et Cadeau revient poser sa tête sur mes genoux. Je ramasse le pistolet et regarde s’il y a bien les six cartouches. Je murmure :
— Pourvu qu’elle revienne avant la nuit.
Il lève la main pour ne pas que je parle. Des voix lointaines et féminines s’approchent. Le shérif retient Cadeau par le collier. Je me hâte vers le banc de torture, pose mes chevilles dans les anneaux de cuir, puis m’allonge doucement en plaçant le pistolet devant ma tête. Les voix semblent s’éloigner. Le shérif reste caché derrière la porte mais conclut :
— Fausse frayeur.
Je soupire.
— Tu peux te relever.
— Je suis trop fatiguée. Vous pouvez profiter de la vue, je ne le dirai pas à Maman.
Il ne répond pas.
Quelques minutes passent et à nouveau une voix se rapproche, intelligibles mais ferme. La porte bat soudainement, la Mère Suprême laisse tomber un plan de la France au sol et ricane :
— Il va être temps de parler géographie.
Je saisis mon revolver, me tourne vers elle, et tire.
La balle traverse son double-menton. Elle tombe lourdement en arrière et j’aperçois l’inquisitrice du coin de l’œil. Avant-même que j’ai tendu le bras vers elle, le shérif m’arrête :
— Non !
Les yeux exorbités, le souffle rapide et rauque, la Mère Suprême me regarde avec stupeur. Le shérif dit à celle qu’il tient en respect de la pointe de son arme :
— Inquisitrice, je suppose que vous êtes toutes désignée pour succéder à la Mère Suprême.
Elle hoche la tête.
— Alors, un arrangement pourrait nous profiter mutuellement. Nous n’avons aucun grief contre l’Eglise. Ce qu’il y a entre vous et Léonie ne nous regarde pas. Nous vous laissons la vie sauve, et en échange, vous révélez la vérité. C’est la Mère Suprême qui a tué le Cardinal et a tenté d’en accuser Fanny. Et vous avez déjoué un complot qui visait à prendre la tête de l’Eglise de France.
Elle s’incline solennellement. La Mère Suprême lâche un râle de protestation. Je pointe mon arme vers son front et l’achève.
— Allons-y, s’impatiente le shérif
Cadeau et moi le suivons en dehors de la salle et nous prenons la direction du couloir principal. Nous passons à côté de la salle du trône, puis nous dirigeons vers les escaliers menant à la chambre quantique.
Soudain, nous nous retrouvons face aux deux gardes du Cardinal. Ils pointent aussitôt leurs carabines. Le shérif me pousse en arrière, en abat un et recule en criant :
— Remonte ! Remonte !
Je fuis dans les escaliers. Il m’agrippe par le bras puis nous nous enfuyons le long du couloir principal. Il me plaque dans un renfoncement à l’angle du couloir, contre une petite porte en bois. Il cherche une clé au trousseau qu’il a volé.
Le soldat arrive avec la carabine épaulée. Le shérif me donne la clé. Je l’insère tandis qu’il riposte. Les détonations résonnent, les balles effritent les murs. Deux autres soldats parviennent dans le couloir. Je pousse la porte. Le shérif m’y précipite. Je trébuche dans les escaliers. Il plaque la porte et la verrouille. Il me relève brutalement et nous dévalons l’étroit colimaçon dans le noir. À l’étage inférieur, il choisit un passage ente les murailles. Ses épaules frottent les deux murs et font tomber la poussière. Je le suis, essoufflée, Cadeau haletant sur mes mollets. Un étage plus bas, il déverrouille une porte ouvrant donnant immédiatement sur une herse qui barre l’extérieur. Il actionne un mécanisme avec la même clé. La grille se lève et nous nous retrouvons sur les rochers de granit qui bordent l’île. Le soir donne des têtes dorées aux nuages. Le shérif réfléchit vite :
— Le bateau !
Il me pousse devant lui. Mes pieds glissent sur la pierre râpeuse, je manque de me tordre la cheville, mais j’avance, ignorant les copeaux de coquillages et le sable qui s’enfonce entre mes orteils.
Je regagne les escaliers de granit et la digue. Les marins me regardent avec des yeux en soucoupe. Un tir retentit depuis les murailles. Le shérif insiste :
— Le bateau !
Je sprinte sur le quai puis m’engage sur long pont en bois auquel est amarré le voilier à trois mats. Le shérif aboie :
— Au nom de la loi ! Levez l’encre !
Un tir effile le bois jute à côté de mes pieds. Je dévie par peur ma course, manque de tomber, mais poursuit malgré-moi vers la passerelle. Les marins se reculent sur le pont. Cadeau et le shérif m’emboîtent le pas. Je me recroqueville à l’abri du parapet de la cabine située à la proue.
— Qui est le capitaine ? hurle le shérif.
— Je suis le capitaine, lâche une voix autoritaire.
Le shérif me saisit par le bras et me relève.
— Cette fille est la danseuse érotique la plus célèbre de France. Si vous la déposez à Port-Briec. Elle vous offre une représentation gratuite avec deux pintes de bière !
Les hommes esquissent quelques hochements de têtes, alors le capitaine ordonne :
— Levez l’encre ! Et une couverture pour la danseuse !
Le shérif me laisse me rasseoir. Je n’ai plus aucune force, j’ai les pieds en feu. Le soulagement m’envahit quand je vois les marins dénouer les amarres. La voix tonitruante du capitaine rythme le départ. Les soldats de la cité semblent avoir abandonné l’idée de venir jusqu’ici. Peut-être l’inquisitrice les a-t-elles retenus. Les voiles des trois grands mats se déploient, et le bateau s’éloigne très lentement du quai. Le capitaine dépose un drap blanc à nos pieds.
— Madame.
Le shérif les déplie et m’en enroule les épaules puis lui dit :
— Merci.
— Je n’ai pas hésité parce qu’on se connait, shérif.
Apollinaire fronce les sourcils, alors le capitaine précise :
— Je n’avais pas encore de barbe, et vous étiez capitaine de la garde de la Cité Pieuse.
Mon protecteur opine du menton, sans pour autant avoir reconnu notre secouriste. Ce dernier ajoute :
— C’est étrange de vous voir fuir cette forteresse que vous avez protégé durant tant d’années. Pourtant, vous n’avez pas l’air d’avoir volé de relique, si ce n’est ce petit cul tout transi de peur.
— Je suis allé la délivrer. L’Eglise l’a faite capturer parce qu’elle danse nue et fait tourner la tête à quelques païens. J’estime que ça ne mérite pas l’emprisonnement, elle est sous ma protection.
— Et à ce qu’on dit, il ne vaut mieux pas vous contrarier. N’ayez crainte, shérif, nous allons vous déposer à Port-Briec. La marée vous est favorable, vous y serez à la nuit tombée. Vous pouvez vous mettre à l’intérieur, si elle a besoin.
Le shérif acquiesce du menton. Le capitaine s’éloigne et le shérif s’accroupit pour me dire :
— On va éviter les endroits clos. Il y a trop d’hommes sur ce bateau pour prendre le risque. Donne-moi ton pistolet.
Je lui donne mon arme, et il récupère les cartouches qui manquent au sien. Je serre Cadeau contre moi et ferme les yeux. Mon cœur retrouve progressivement son calme et mon esprit reprend conscience de chaque extrémité de mon corps. J’ai la peau des doigts râpée, les pieds écorchés. Je retire deux échardes, la gestuelle fébrile.
Le bateau prend de la vitesse. Réchauffée par Cadeau je m’assoupie, soulagée de sentir la cité maudite s’éloigner. La dernière fois, je pouvais me vanter de m’être échappée par moi-même. Je regarde mon beau-père à qui a plongé dans la gueule du loup pour m’aider à m’évader. Il reste debout, les yeux grands ouverts pour me protéger d’éventuels marins mal intentionnés. La fatigue tire les traits de son visage. Le sommeil nous a beaucoup manqué, et il est temps que cette aventure se termine. Rassurée par la présence de mon gardien, je ferme les yeux.
Je me suis tant assoupie qu’il fait nuit lorsque je m’éveille, au choc du bois contre le quai. Je me relève en gardant le drap sur mes épaules. Le shérif me rapproche de lui et dit au capitaine :
— Quand revenez-vous sur Port-Briec ?
— Nous y passons toutes les deux semaines. Nous ne faisons que transporter les marchandises entre les ports de la côte ouest et la cité.
— Je vous informerai de la représentation de Fanny. Cela vaudra le coup, je vous l’assure.
— Nous espérons bien.
Les regards me dévisagent, les sourires édentés plein d’espoir me saluent. Je n’ai pas la force de leurs charmer, ni même d’articuler un merci. Je monte sur la passerelle et descends vers le quai. Aussitôt ils remontent la planche, prêts à repartir. Nous marchons vers un hôtel. La dernière fois que j’ai marché pieds nus à Port-Briec, abritée d’une simple couverture, ça a mal fini. Des habitués de comptoir à la marina nous regardent passer en échangeant des regards lubriques. Je ne suis pas rassurée. Le shérif pousse la porte de l’hôtel puis frappe la clochette du comptoir. Un garçon s’avance.
— Bonjour jeune homme, une chambre s’il te plaît.
Le préadolescent échange la clé et un billet.
— La chambre d’à côté n’est pas occupée, vous pourrez faire du bruit.
Mon chaperon lui rend un regard si noir qu’il baisse les yeux. Je précède le shérif dans les escaliers. Cadeau ferme la marche jusqu’à ce que nous soyons dans la chambre. Le shérif verrouille la porte et me dit :
— Prends le lit, tu as besoin de sommeil. Demain, j’irai t’acheter une robe, pour que nous puissions prendre le train.
— Merci.
Il ne répond pas. Je garde la première couverture en me couchant sous celles du lit. Je suis affamée et assoiffée, mais je n’ose pas demander. Cadeau s’étale sur le flanc à côté. Le shérif s’allonge sur les draps, le pistolet sur la poitrine. Je lui suis reconnaissant. Si Maman ne veut plus de Papa, Apollinaire est l’homme idéal pour elle en ce monde. J’aimerais pouvoir communiquer avec elle, lui dire que tout va bien pour moi, me rassurer que tout va bien pour elle. Mais pas de téléphonie mobile.
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