117. Inauguration (partie 3/4)
Lisette défait sa robe à côté de la baignoire pour révéler l’autre costume qu’elle porte, et lorsque la lumière revient, rose et jaune, elle porte un kimono soyeux et moulant rouge que j’ai trouvée sur internet, s’arrêtant au-dessus des mollets. Jésus entame pince les cordes d’une guitare pour rappeler l’Asie.
Un éventail se déploie dans chaque main, et Lisette longe le bord de la scène avec une grâce fragile. Ses pieds nus ne font pas un bruit. Lisette a été facile à chorégraphier. Elle n’a aucun complexe vis-à-vis de la nudité, et une précision perfectionniste dans son travail qui m’a permis de trouver rapidement comment aborder le public. Son côté réservé, un peu timide sert sa gestuelle, tandis que ses regards pour le public sont enflammés. Le public semble conquis de la voir seulement aller et venir devant lui. Elle enroule un de ses poignets dans l’extrémité de sa ceinture, redéploie l’éventail à chaque passage devant son visage, puis, de profil au public, elle tire sur le nœud qui de détache, tout en rejetant ses épaules en arrière. Le kimono s’ouvre sur son corps nu. Un éventail devant les hanches, un autre devant la poitrine cache l’essentiel. Elle se tourne vers la foule, en maintenant les accessoires en travers de sa poitrine et son pubis, le sourire mutin collé aux lèvres. Elle ondule à peine, réservée dans sa gestuelle. Elle danse pour ceux qui ont eu quelques égards pour elle durant ses services le midi, pas pour ceux qui l’ont ignorée comme si elle était un animal. Les éventails restent collés à sa peau, tandis qu’elle envoute par ses grands yeux noirs.
La musique guide ses pas qui se croisent et la font défiler face aux yeux voyeurs. Lorsqu’elle revient, au centre. Son corps se cambre lentement au fur et à mesure des notes. Ses épaules s’affaissent toujours plus vers le sol, laissant le pans du kimono toucher le parquet. Lorsqu’elle termine à nouveau face à eux, elle ne masque plus que son pubis, son corps continue à se tordre, sa poitrine rase le sol tandis que sa tête revient entre ses jambes. Elle marque quelques notes d’arrêt, puis ses jambes se déroulent dans les airs, ses fesses nues se contractent, ses jambes se tendent et nagent dans des mouvements de ciseaux souples et délicats. Lisette continue à se déplie, ses jambes se tendent vers le rideau. Elle termine à plat ventre sur sa robe, face à son public, totalement nue. Ses bras dessinent une gestuelle aquatique, comme si les éventails étaient des nageoires. Elle roule tout en s’enveloppant de son kimono, puis se relève souplement, r’habillée. Dos à deux, elle poursuit sa gestuelle discrète. Elle jette un regard par-dessus son épaule. Elle laisse glisser la soie jusqu’aux creux de son dos, puis elle descend en grand écart. Elle jette son kimono loin d’elle et quelques rumeurs tendent les spectateurs sur leurs sièges. Souple, elle se couche sur une jambe, puis sur un autre en rasant le sol. Au passage, elle ramasse la ceinture de soie qu’elle passe entre ses jambes. De chaque main, elle tend le tissu, devant et derrière son bassin. Ses épaules dansent tandis qu’elle noue la ceinture à chacun de ses poignets. Elle se penche en avant, ramasse les éventails et se cambre jusqu’à ce que ses épaules se pose sur le sol et que son visage fasse au regard du public, un éventail devant la poitrine aux flancs saillant. En appui d’une main sur le sol, et sur la tête, elle lève le bassin et décolle ses pieds du sol. Les frémissements de ses muscles trahissent la difficulté de l’exercice. Ses jambes se tendent vers le plafond, avant s’ouvrir en grand écart. La ceinture passant entre les cuisses est tendue jusqu’à ses mains, masquant tout de son intimité. Fébrile, elle tombe délicatement sur le côté et se redresse en gardant les mains hautes, pour que ses poignets tendent le tissu qui cache son pubis. Elle longe à nouveau la scène, l’éventail plaqué contre le torse, la ceinture partant de son poignet, passant entre ses cuisses, pour se tendre à la main qu’elle garde en arrière. Elle s’enroule sur elle-même, s’entortillant dans la ceinture, se recroquevillant, puis se démêlant. La chorégraphie, se joue des espoirs du public. Chaque pas, chaque pirouette, pourrait dévoiler ses mamelons ou la ligne de son con. Lisette est concentrée, mécanique dans sa rythmique. Lorsqu’elle pose les mains au sol et retire donc les éventails, c’est toujours dos au public. Roues, rondades, vrilles, font éloge de sa souplesse sans jamais distendre la ceinture qui dissimule son anatomie la plus intime. Chaque geste est un florilège de souplesse et d’équilibre.
Après cinq minutes de solo, elle termine face au public. Elle se dresse sur une jambe flageolante, et fait passer l’autre derrière sa tête. Une main garde toujours le premier éventail devant son torse, l’autre agite le second comme une aile d’oiseau pour rattraper le déséquilibre, maintenant malgré tout la bande de soie en travers de sa vulve. Délicatement, elle repose un pied au, puis, les deux mains croisées devant la poitrine, elle s’incline sur les derniers accords de guitare.
Les lumières s’éteignent, le public applaudit avec franchise. Lisette s’empresse de retourner derrière la baignoire, enfile sa robe de soubrette. Lorsque la lumière blanche revient, Perette a les yeux fermés. Lisette retire sa main du bain et pose l’éponge. Perette soupire :
— Lisette, je crois que je suis possédée. Il faut me rendre à l’église et me confier dans le parlementaire.
Lisette dépend une serviette, et la déploie dos au public, permettant à Perette de sortir et de s’en enrouler. Les épaules seules découvertes, elle avance vers le public, se regarde dans le miroir imaginaire. Lisette apporte un petit tabouret sur lequel Perette s’y installe en croisant une jambe pour que la serviette remonte sur la cuisse. Lisette, parfaite dans le rôle de soubrette, entame la coiffure de Perette. Jésus garde le silence, renforçant le sentiment voyeur d’assister à un instant intime.
Tout le temps que dure la coiffure, je sens mon cœur battre le trac. Mon applaudimètre interne m’a indiqué combien elles ont plu au public. En tant que chorégraphe, je devrais m’en sentir fière, mais je ne peux mettre de côté mon égo. Je descends les marches sur la pointe des pieds, m’apprêtant à entrer en scène. Marianne, le visage démaquillé, vêtue d’une robe de nonne et coiffée d’une cornette me sourit.
Perette une fois coiffée, elle modifie le croisement de ses jambes sans rien révéler. La lumière s’éteint. Nous bougeons le décor, enlevons la baignoire, plaçons un banc d’église, décrochons l’anneau d’acier du plafond. Je remonte l’escalier. Je me glisse par l’ouverture du plafond. Je pose mes mains dans les poignées, et mes pieds sur les cales, pour prendre la position d’Ève dans la grande toge blanche. Jésus entame une musique solennelle au piano et s’exclame :
— Que puis-je faire pour vous, mon enfant ?
— Mon père, répond Perette, je viens me confesser car lorsque je ferme les yeux, mes rêves sont hantés par des femmes dénudées.
— Et que vous inspirent ces rêves ? De la peur ? De la jalousie ?
— Du plaisir.
— Allez prier Ève, elle saura vous parler, et vous montrer le chemin.
La lumière inonde la scène. Je reste immobile, le visage singeant la douleur de la martyre. Blasphème assumé qui fera les cancans de demain sur le marché. Perette s’avance dans sa robe bleue, puis s’agenouille en me regardant, et joint ses mains en prière. La musique étire l’instant, ironique par son ton solennel, et joueuse de l’impatience du public. Progressivement, elle prend en douceur, Perette ferme les yeux, un néon bleu apporte un halo divin à la scène, alors je m’éveille. Je m’étire lentement, comme si les siècles avaient fourbu mes muscles. Je m’assois délicatement, puis me pends en ne me retenant que par mes chevilles. Tête en bas, je caresse le menton de Perette pour lui faire ouvrir les yeux. Un sourire béat remonte ses pommettes et elle s’exclame :
— Oh ! Ève… montre-moi le chemin.
Je souris, remonte au centre de l’anneau, puis débloque le moyeu, pour le laisser tourner librement. J’entame alors mon abécédaire de gymnaste, noyé dans une danse suave. Je me tends au-dessus du vide régulièrement, ne me retenant qu’avec une main et un pied, pour devenir les deux pieds au-dessus du vide comme un drapeau. Je me balance et reviens, tentant d’imager la liberté d’une Ève qui s’échappe et revient à chaque fois à son supplice éternel. La musique emplie d’espoir de Jésus vient soutenir la thématique avec une justesse incroyable. Mon public est calme, admiratif des mouvements les plus aériens, mais retombé dans son excitation. Dans mes dernières échappées, profitant d’un levé de jambes majestueux pour m’enrouler autour de l’acier, je défais les élastiques à mes orteils.
Je me rassois sur l’anneau, puis glisse un nouvelle fois tête vers le sol en laissant mes pieds me retenir. Ma toge dévoile mes sous-vêtements de dentelle noire, le néon rose remplace la lumière bleue. Les yeux fermés, j’observe par mon œil-parasite la tension qui regagne mon public et me flatte. Je caresse mon ventre lentement, la bouche entrouverte, tant pour récupérer mon souffle comme pour singer le désir. Je pousse l’audace au-delà de la répétition, en laissant ma main poursuivre sur mon tanga. Du majeur, je longe le sillon masqué de ma vulve. Perette surprise, a les yeux qui brillent, toujours ravie quand je chahute les tabous. Elle se lève du banc en posant des doigts prudents sur ma peau. J’ondule, tandis que son contact se transforme en caresses. Elle dépose un baiser près de mon nombril. Le public reste coi. Je pose mes mains sur ses épaules pour me donner une impulsion et me hisse pour venir me positionner dans le cerceau. Pendant que Jésus joue son thème de transition, je reste figée dans l’air alanguie d’une Ève enfiévrée. Perette s’agenouille à nouveau. Les notes deviennent plus feutrées, les accords prennent des nuances graves et chaudes.
Je reprends alors mes défis à la gravité, joue du balancement de mes jambes pour capter mon public retrouvé. Débarrassée de ma toge, je peux effectuer des figures plus proches de l’acier, tourner autour de mes abdominaux, enlacer l’acier entre mes cuisses et mes mollets. Je tourne, donnant à l’anneau l’inertie pour me faire découvrir sous tous les angles à mon public. De la position de mon œil, je me trouve plus belle en dentelle qu’en toge, plus expressive, et torride. Pour entremêler des instants de repos entre chaque figure, j’offre à mon public ce qu’il aime en caressant mes muscles congestionnés. Mon propre désir m’embrase comme à chaque fois que je danse devant un public. J’ai l’impression de vivre à nouveau. J’aime mon corps lorsqu’il se redécouvre dans l’effort, que je le laisse libre dans l’érotisation, tant du public que de moi-même. Mes muscles me brûlent, mon ventre se liquéfie. Je me sens belle, je me sens moi-même.
Le piano annonce les dernières secondes. Je suis les notes, tournoie, pivote, reviens, repars, sans jamais m’arrêter, comme si l’anneau rejetait ma présence cette fois-ci à chaque fois que je voulais retourner à l’intérieur.
Dernier lancé, je me projette à l’intérieur et me jette au-dessus du vide, retenue in extremis par les pieds. Je me balance, à bout de souffle, incapable de remonter. Les notes de Jésus approfondissent le thème en ralentissant, le cœur battant, épuisée, je laisse mes mains reprendre leurs caresses le long de mes flancs et dégrafe mon soutien-gorge. Je laisse tomber entre les mains implorantes de Perette. Je caresse ma poitrine, ondule du ventre alors que l’anneau tourne lentement. Perette se redresse et laisse errer à nouveau ses phalanges sur ma peau couverte de sueur. Tout en pivotant, je fais jouer mes doigts dans l’élastique se mon tanga, fais durer le suspense durant deux tours, puis le remonte le long de mes jambes.
La lumière s’éteint, interrompant brutalement les spectateurs. Le souffle court, le cœur battant, je me laisse tomber au sol, ramasse mes vêtements et ma toge, puis me cache derrière le rideau. Je ne renfile que ma toge. Les applaudissements hésitants finissent par déclencher l’ovation. Nous les laissons faire, le temps pour moi de reprendre position.
Marianne dit :
— Madame. Réveillez-vous.
La lumière s’allume. La métisse en tenue de nonne tapote l’épaule de Perette en position de prière. Je suis redevenue l’Ève du début du spectacle.
— Il fait nuit, Madame, il faut rentrer chez vous.
Perette se relève lentement. Elle regarde pensivement le sol puis m’observe.
— Croyez-vous qu’elle aime le symbole qu’elle est devenue ?
Marianne lève les yeux vers moi.
— Je pense qu’être un symbole de pureté à travers tous les continents connus est une chose merveilleuse.
— Mais, ma sœur. La chasteté avant le mariage, le don de soi à son mari, la soumission à sa vie de famille… quelle femme ne rêve pas à la même liberté qu’un homme ? Comme si la femme qui écoute un tant soit peu ses rêves devrait être condamnée au châtiment. Quel genre de femme était-elle vraiment, avant d’être une statue qu’on glorifie pour son sacrifice ?
— Une femme pieuse, c’est certain.
— Puisqu’avant elle, il n’existait pas toutes ces règles de bienséance que doit suivre une fille dès sa naissance, elle a été une petite fille qui devait aimer courir, jouer et découvrir le monde sans qu’on lui reproche d’être joyeuse et impétueuse. Dieu, ou qui que fut son père a dû être émerveillé de la voir s’épanouir et rencontrer chaque plante et animal qu’il a lui-même créé.
— C’est certain, reconnaît Marianne.
— Quand elle est devenue adulte, elle a dû garder ce plaisir de la découverte, parcourir son propre corps, caresser sa peau, goûter au plaisir d’une plume chatouillant son sein, découvrir la chaleur humide de son ventre en y plongeant son doigt…
— Madame, nous sommes dans une église.
— C’est l’endroit idéal pour parler de ces choses. Si Dieu rejetait le plaisir, il ne l’aurait pas créé.
— Le plaisir est un don du Diable qui vient éprouver notre foi, notre…
— Quand Ève a rencontré le premier homme, sans désir, sans la curiosité de ressentir un sexe dur et veiné en elle, elle n’aurait pas enfanté.
— Madame, il faut sortir. Il est tard.
— Je suis certaine qu’ils l’ont fait plusieurs fois par jour.
— Si c’est le cas, c’est normal que Dieu l’ai punie en la faisant accoucher dans la souffrance.
Perette se laisse accompagner vers le rideau. Marianne revient et me regarde :
— Excusez son âme égarée. Toute ces choses je les ai ressenties moi-aussi avant de me consacrer à…
Je tourne la tête vers elle, l’interrompant. Elle porte sa main à son cœur. Jésus entame une petite musique légère. Je descends en me suspendant et Marianne en tombe assise. La lumière rouge envahit la scène. Je pose les mains au sol et rampe comme un prédateur, alors que la musique devient sinistre et inquiétante. J’arrive au-dessus de Marianne, ondule des hanches avec les notes de piano. Marianne se fige, je remonte sa robe et dévoile ses longues jambes couleur caramel. Je saisis délicatement son poignet et le guide entre ses propres jambes. Marianne ferme les yeux, laisse sa tête retomber au sol et feint un soupir. Un genou de chaque côté d’elle, je redresse les épaules et enlève la toge. Nue, je reste de profil au public en ondulant des épaules, puis je me courbe, vers Marianne, cache mon visage derrière le sien. Elle ouvre grand la bouche, se cabre et la lumière s’éteint.
Le public applaudit un peu, car sur sa faim. Nous sommes un peu plus de trente minute de spectacle, et nous nous dépêchons de modifier le décor. C’est l’apothéose de cette inauguration, le tableau de l’indécence, le final que j’ai désir pour récompenser l’impatience de mon public.
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