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Patrick se dressa sur son siège, son cœur allait éclater. « Nous. Qui était ce « nous » ? Qu’est-ce que c’était que cette histoire de partition !? » Les mots ne franchissaient pas la barrière de ses dents, aurait dit Homère.
Il n’était pas encore neuf heures trente que tout son univers basculait. Depuis l’insomnie à cause des filles, des furieuses avances de Nicole jusqu’aux menaces de ce type, il n’y avait aucune pause, aucune alternative, aucune échappatoire, aucun répit. « Il ne manque plus qu’un tremblement de terre, une guerre atomique, un incendie, une épidémie...», songea-t-il.
– Monsieur Weiss, il ne vous sera fait aucun mal si vous nous donnez cette partition.
L’homme au visage émacié, bien que détendu, n’aurait aucun scrupule à mettre ses paroles en action. Ce n’était pas un politique, songea Patrick Weiss, incapable de réagir.
Petit à petit quelques neurones pointèrent hors de son brouillard intérieur : il lui revenait qu’Eléonore lui avait confié – il y avait sept ans environ – une partition de son père, qu’elle lui avait demandé de mettre en sûreté, et il n’y avait pas porté plus d’attention que cela.
Même si son visiteur avait la capacité de remporter la victoire au jeu du roi du silence, il précisa :
– Monsieur Weiss, ce serait dommage qu’il vous arrive quelque chose à vous et votre famille, surtout avant votre petite fête…
Patrick se statufia ; une boule sous sa cage thoracique devenait douloureuse :
– Écoutez…, il bégayait, monsieur…
– Oh, pardonnez-moi monsieur Weiss, je ne me suis pas présenté : Craig Vermont.
« Craig Vermont, je ne connais personne, aucun client de ce nom-là », se disait Patrick.
Ça n’avançait en rien la situation d’un cadre entièrement dédié à sa comptabilité. Il était coincé et percevait chez son interlocuteur une vivacité hors du commun. Il reprit ses esprits et son cerveau reconnecta peu à peu les aires du langage :
– Je vous donnerai tout ce que vous voulez mais ne touchez pas à ma femme, ni à mes enfants, réussit-il à articuler.
– Ne soyez pas inquiet Monsieur Weiss, je suis sûr que nous allons bien nous entendre, le rassura l’autre. Alors, où se trouve le coffre ?
« Et si c’était du bluff ? Et si cet inconnu, sous prétexte d’une partition, voulait accéder aux lingots et aux bijoux ? Mais comment avait-il eu connaissance de la partition ? Quel était le lien entre Eléonore et lui ? Qui était donc cette Julie van Clemtov qui avait cherché à le joindre toute la matinée ? Pourquoi Audrey ne dormait-elle pas depuis deux nuits ? Pourquoi n’avait-on pas installé un système de sécurité digne de ce nom dans son bureau ? Que faisait Nicole à cet instant précis ? Le voilier avait-il réussi à remonter sous le vent ? Quel est le sens de la vie ? Mon destin n’est quand même pas de mourir ici… »
Il voulait gagner du temps. « Qui pouvait bien organiser toute cette mise en scène ? S’agissait-il d’une vengeance liée au passé de résistant de son défunt beau-père ? » Ses idées s’éclaircissaient :
– Quel est l’intérêt de cette partition monsieur Vermont ?
– Monsieur Weiss, je ne suis qu’un modeste exécutant, j’ignore la teneur et la valeur même de cette partition, répondit Craig Vermont, mon travail est de la rapporter à qui m’emploie.
Un professionnel. Patrick Weiss avait affaire à un professionnel. Le type ne bluffait pas. Quelles qu’en fussent les raisons, le type ne quitterait pas les lieux sans le document. Le temps semblait figé à neuf heures trente sept. Sans aucun accompagnement musical. Du silence émergeait un léger bruissement, comme si quelqu’un frottait la porte du bout des ongles…
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