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« Qu’est-ce que c’était encore ? Craig Vermont avait-il entendu le bruit ? Était-ce Nicole venue me faire un signe ? Ou bien un livreur de pizza ? »

– Monsieur Weiss, nous attendons quelqu’un, dit Craig Vermont indiquant la porte, vous pouvez aller ouvrir, je vous prie.

Le visage de Patrick Weiss se crispa. Il ne maîtrisait plus rien. Cet inconnu avait la situation en main, et lui se sentait pieds et poings liés. Une impression détestable. « Comment cet homme pouvait-il être aussi sûr de lui ? Certes il s’agissait d’un professionnel, mais… C’est intolérable », songeait-il encore. Au moment où il saisit la poignée de la porte, Craig Vermont lui assena un violent coup derrière la nuque. Le corps s’écroula d’une masse, sur le sol.

La porte s’ouvrit et Julie van Clemtov entra.

Quand Patrick Weiss reprit connaissance, il était garrotté à son fauteuil et bâillonné par des rubans adhésifs très résistants. Les tiroirs avaient été fouillés, et derrière le tableau Autoportrait au gilet vert d’Eugène Delacroix – celui qu’on trouvait sur les billets de cent francs imprimés par la Banque de France avant l’euro – avait été découvert le coffre-fort à côté duquel se dressait Craig Vermont.

Julie avait pris place dans le fauteuil face au bureau sur lequel elle posa son sac. Elle découvrit ses dents blanches éclatantes et s’adressa au comptable :

– Bonjour, je suis Julie van Clemtov. Je suis désolée pour ce contretemps mais nous voici enfin réunis. Dans votre intérêt comme dans le nôtre, monsieur Vermont et moi-même devons récupérer les documents laissés par votre beau-père, et nous assurer de votre collaboration la plus – comment dirais-je – la plus discrète possible…

Patrick Weiss tenta de se dégager mais en vain. Il réalisa qu’il était piégé.

– Nous savons que dans quelques jours vous allez fêter vos neuf ans de mariage avec votre épouse. Les documents que vous avez en votre possession compromettent une organisation politique et nous sommes chargés de les récupérer. Voici un contrat qui vous engage – si vous acceptez de signer bien sûr – à garder le silence sur toute cette affaire. En cas de refus, monsieur Vermont sera chargé de s’occuper personnellement de votre famille…

Craig réajusta légèrement ses lunettes et fit une moue qui creusa davantage son visage émacié.

– Monsieur Weiss, reprit Julie, monsieur Weiss, je vais être très claire avec vous, sachez que vous ne pouvez nous échapper. Vous connaissez Daniel van Clemtov ? – faites-moi juste un signe avec la tête pour me dire oui ou non – eh bien, cher Patrick, il s’agit de mon frère, l’imprésario de votre femme. Vous voyez toute la confiance que lui a accordée Eléonore, n’est-ce pas ? Eh bien, Daniel, sachez-le, appartient à notre parti.

Patrick comprenait qu'il s'agissait d'un coup monté et qu’il n’avait aucune issue.

– Avant de vous libérer pour que vous nous ouvriez le coffre et signiez votre contrat, nous devons nous assurer que vous avez bien compris ce à quoi vous vous engagez.

Des gouttes de sueur trempaient le dos de sa chemise. Quelques-unes commençaient à perler sur son front. Dans ses yeux écarquillés se lisait la terreur.

Craig Vermont sortit un cran d’arrêt qu’il approcha de l’oreille gauche du comptable. Celui-ci remua brusquement, cherchant à libérer ses pieds. La peur possédait tout son corps.

La pointe se posa sur la pommette droite, au dessus du ruban adhésif, et avec la lame il dessina un « C » puis un « V » qui signifiaient Craig Vermont. Puis il commença à couper la bande adhésive, et sans prévenir, arracha d’un coup sec la partie qui recouvrait l’autre joue et la bouche. Patrick Weiss retint le cri de sa souffrance, les larmes aux yeux, il implora la pitié. Vermont libéra ses mains et resta planté à côté de lui dans une immobilité parfaite.

– Bien, je crois maintenant que vous voyez de quoi nous sommes capables, reprit Julie van Clemtov, lui tendant les contrats sur le bureau. Vous pouvez signer ici.

Après avoir ouvert le coffre-fort, ils trouvèrent le document intitulé : L'arbre des songes, partition de Henri Dutilleux. Julie van Clemtov sourit :

– Monsieur Weiss, puisque vous vous êtes montré conciliant, nous vous devons quelques explications : en effet, vous savez que, pendant la guerre, votre beau-père a édité des tracts, des journaux clandestins et aussi diffusé les éditions de Minuit. Eh bien sachez que certaines mesures de cette partition sont codées et qu’elles dissimulent les noms de quelques résistants de l’organe clandestin auquel il avait adhéré, et qui soutenait les compositeurs persécutés. Votre aide va nous être très précieuse puisque nous sommes chargés de les retrouver au bénéfice de notre organisation, afin de les faire définitivement disparaître.

Elle prononça la dernière phrase en se tournant vers Craig Vermont qui acquiesça.

Patrick Weiss regarda dans le vide. Ses nerfs allaient-ils lâcher, lui qui venait de trahir sa bien-aimée et salir la mémoire de sa belle-famille ? Il mit son visage dans ses paumes et coucha sa tête sur le bureau. Au fond de lui, une petite voix répétait en boucle qu’il fallait avancer – c’est-à-dire vivre – et il programma Tout un monde lointain, le concerto pour violoncelle et orchestre, de son beau-père, Henri Dutilleux.

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