CHAPITRE 4

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Une heure et quatorze secondes plus tard, un coursier exténué frappe à la porte du laboratoire. D’une main tremblante, il présente un document à signer, s’excuse pour son retard impardonnable (quatorze secondes) et insiste pour être châtié. Kim Soon n’a aucune intention de punir ce pauvre garçon. Il le gratifie d’un clin d’oeil, mais le regrette aussitôt : une lueur malsaine vient de s’allumer dans le regard du jeune homme, suivi d’un méchant rictus au bord des lèvres. Aucun doute, le livreur compte dénoncer ce signe de complicité hostile au Commandeur Suprême. Il espère certainement recevoir une récompense s’il fournit cette précieuse information à l’Etat-Major.

Kim Soon prend conscience du danger et interpelle le coursier, déjà prêt à enfourcher son vélo. Du revers de la main, il se frotte l’oeil et, de sa voix la plus convaincante, ment éhontément :

  • Ah, cette poussière dans l’oeil m’irrite ! Il va sans dire que votre retard est inacceptable et que je vais de ce pas envoyer un rapport à votre supérieur. Par ailleurs, je remarque que le phare de votre bicyclette est cassé. Cela figurera également dans ma lettre de dénonciation, sachez-le.

Le visage du livreur prend la couleur du riz trop cuit. Ses velléités de dénonciation s’effacent aussitôt et il disparaît au loin, en pédalant comme si la mort était assise sur son porte-bagage, laissant Kim Soon seul avec son énorme colis qui sent la marée et le terreau frais.

Le scientifique pousse la boîte avec difficulté dans son laboratoire tout en se demandant comment le livreur a pu l’amener jusqu’ici sur son vélo cabossé.

Lorsqu’il ouvre le colis tant attendu, il émet un exclamation de joie. Rien ne manque, les vingt poulpes et les trois fourmilières sont entreposés dans des bacs appropriés et étiquetés avec soin : on peut penser ce qu'on veut (mais pas trop fort quand même), le Commandeur Suprême tient toujours ses promesses. Au fond repose un petit mot d’encouragement manuscrit du Maître Vénéré en personne : “Deux semaines, sinon couic.”

Le scientifique ressent un léger coup de chaud, tire le col de sa chemise, se frotte le cou et se met au travail. Il dispose les poulpes dans un aquarium et les fourmis dans trois vivarium séparés.

Puis il sacrifie un animal de chaque espèce pour récupérer des échantillons de leur génome et les analyser en profondeur.

Grâce à la méthode révolutionnaire du Crispr/Cas9, il combine les ADN, manipule les brins d’ARN, les découpe, les assemble, jongle avec les chromosomes pour jumeler les codes génétiques, aidé en cela par un programme informatique de sa composition qui tourne en permanence et lui fournit les séquences à modifier en fonction des caractéristiques souhaitées.

Ses nuits sont courtes et ses songes peuplés de monstres effrayants, mais chaque matin il se remet à ses expériences avec un entrain motivé par le goût de la science et, il faut bien le reconnaître, la peur d’une exécution sommaire en cas d’échec. Il tâtonne et progresse par observations empiriques. Actions, réactions, itérations, désillusions. Il sait que les revers font partie du chemin aboutissant à la découverte. Comme dit le proverbe, la route qui mène au sommet de la montagne n’est jamais droite.

Au bout de quelques jours d'efforts intenses, le moment tant attendu arrive enfin : une femelle poulpe pond un oeuf génétiquement modifié. Allongé, blanc cassé, il flotte entre deux eaux. Kim Soon déplace délicatement l’objet dans le terrarium et l’observe attentivement derrière la vitre. Au travers de la surface lisse de la coquille, Kim Soon distingue une forme qui s’agite frénétiquement, mais la joie laisse vite place à la déception. L’oeuf explose sans prévenir, les parois de verre se maculent d’une substance gélatineuse et collante. Le premier fourmipoulpe FP-1, git en pièces détachées dans le coin, triste cadavre abandonné, créature imparfaite et condamnée d’avance car en science, la réussite n'arrive jamais au premier essai.

Kim Soon s’empresse de recueillir la dépouille pour l’observer de plus près. Le sujet ne présente pas les caractéristiques exprimées dans le cahier des charges. Pas assez fourmi. Beaucoup trop poulpe. Pas assez invincible. Beaucoup trop mort.

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