CHAPITRE 16
La Graine sort de sa cachette, enfile des lunettes Aviator aux verres fumés et une casquette Top Gun, puis s’installe confortablement sur le siège arrière, non sans donner au passage quelques coups dans le dossier de Kim Soon. Il pousse alors un soupir de soulagement, accompagné d’un sifflement.
- Sainte crotte ! On s’en est sorti par la peau des dents ! idiome-t-il, avant de répéter : bon, on va où ?
Kim Soon se retourne et le regarde, stupéfait. Il n’en veut pas au jeune homme de ne pas avoir joué les héros, lui-même n’est pas fier d’avoir pris la fuite comme un lâche. En revanche, ce jeune yankee pourrait exprimer un peu plus de reconnaissance à l’égard de celui qui l’a sauvé !
Qu'importe, le scientifique, allergique au conflit, garde ses réflexions pour lui et consent à répondre à la question de l’intrus :
- Nous partons loin de cette folie.
- On n’aura pas assez de kérosène alors, répond la Graine, fort à propos.
- Vous avez une autre idée, peut-être ? grince Kim Soon.
La Graine laisse passer un silence et s’exprime enfin, un léger sourire aux lèvres.
- Oui, j’ai une idée. On rentre aux States, on fait notre rapport au Président. Il est super intelligent, il trouvera une solution.
Kim Soon pèse les arguments du jeune homme et malgré toute sa bonne volonté, il doit admettre que ceux-ci ne pèsent pas bien lourd. Pourtant, en l’absence d’un autre plan pour mettre fin aux agissements du fourmipoulpe, il se résout à faire demi-tour, direction la base navale de San Diego.
Lorsqu’ils survolent à nouveau le porte-avions, ils constatent que l’imposant navire a commencé à sombrer, la proue en avant au milieu des remous, emportant avec lui les avions et l’équipage en morceaux. Le fourmipoulpe a déjà quitté les lieux, il est probablement parti semer la mort ailleurs.
- Je suis désolé pour votre père, condolée Kim-Soon, plein d’empathie.
- Faut pas, répond la Graine. C’était un foutu abruti.
- Vous devez le respect à votre père ! s’indigne Kim Soon. Il s’est sacrifié pour vous, il est mort en héros !
Kim Soon serre les mains sur le manche, de rage et poursuit, plus bas.
- Le fils a la vie facile, il n’a qu’à se baisser pour récolter ce que le père a semé. Et pourtant, il cultive l’ingratitude.
- Ouais, j’ai surtout récolté des foutues torgnoles, réplique la Graine. Mon père, il comprenait pas que je voulais pas devenir un foutu pilote, alors il cognait.
- Ah, parce que vous êtes pilote ? Pourquoi ne vous êtes-vous pas enfui à bord de cet avion alors ?
- Bah, j’ai pas le permis. J’ai été recalé à l’exam’. J’ai calé en plein tarmac en passant la deuxième, j’ai pas eu de seconde chance.
- Attendez, mais on ne passe pas de vitesses, sur un avion, objecte Kim Soon.
- Je parlais de la voiturette qui menait à l’avion, j’ai calé au milieu de la piste. J’ai même pas eu le droit de m’installer à bord, l’instructeur s’est barré avant, furax. Moi, je m’en gratte les balloches de pas avoir le permis. Mon truc, c’est le rap.
- Le rap ? Qu’est-ce donc ? demande Kim Soon, interloqué.
La Graine ouvre de grands yeux pleins de surprise, puis, voyant que Kim Soon est sérieux, explique.
- C’est une forme d’expression. Je crache ma colère en chanson. J’mets des mots sur mes maux, j’vais t’faire une démo, yo.
Le jeune rappeur met sa casquette à l’envers, pose la main sur sa bouche, entame un beatbox endiablé et se met à scander une impro.
- Ouais, j’égotripe, j’suis malade, j’mets mes tripes sur la table. Yo. J'suis né un jour pluvieux, les coups pleuvaient sous les poings d'mon vieux. J’étais une graine de héros, je suis dev’nu une mauvaise herbe. Je pousse, j’te pousse, j’ai les poils dans la main qui repoussent. J’suis ambidextre, j’remets tout à deux mains. Yo. J’suis pas un manuel, j’lis pas les manuels. Yo. j’suis pas dans les codes, j’ai même pas eu mon code. J’suis dans tous les trafics, jamais coincé dans l’trafic, j’prends des raccourcis pour réussir ma vie. J’aligne les phrases-choc comme des mouches sur un pare-choc.
- Nous entamons la descente, annonce Kim Soon qui n’écoute déjà plus la graine de rappeur et commence à communiquer avec la tour de contrôle.
- Les descentes c’est pas ma came . Yo. Descentes de flic j’panique. Descente aux enfers, c’est pas mon affaire, boobasse-t-il.
- Nous allons atterrir, attachez-votre ceinture.
- Atterrir ça m’fait pas rire. A l’atterrissage, j’s’rai jamais sage alors pour toi j’ai un message : j’donne jamais le premier coup, mais j’donne toujours le dernier.
- Nous sommes arrivés.
Kim Soon détache sa ceinture, retire son casque et se prépare à sortir lorsqu’il sent dans son cou le contact froid d'un objet métallique. Il sursaute et entend derrière lui la voix calme du rappeur.
- Mon ptit père tu vas t’lever, t’es mon prisonnier, conclut la Mauvaise Herbe, le pistolet au poing.
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