CHAPITRE 18
Le président passe ses doigts boudinés dans sa chevelure de feu et continue, une lueur de malice dans les yeux.
- Je ne veux pas utiliser le mot niquer, mais on va le niquer, le fourmipoulpe.
- Comment comptez-vous vous y prendre, monsieur le président ? demande la mauvaise graine.
Le chef d’Etat place son index contre son pouce, comme une pince saisirait un objet avec minutie. Il va souligner une idée subtile.
- Vous voyez, mon ami, quand quelqu'un vous attaque, ripostez. Soyez brutal, soyez féroce. Alliez une défense solide et une puissance de feu destructrice. Je propose donc deux choses. Petit un, construire un mur le long de la côte Ouest, pour l’empêcher de passer. Petit deux, en parallèle, je veux lancer une offensive nucléaire de grande ampleur pour le détruire ! Je veux transformer l’Océan Pacifique en Océan Belliqueux ! Ramener le démon en enfer ! Atomiser cette créature du diable !
Le caddie, qui n’avait pas prononcé un mot jusque là, lève un doigt d’écolier timide et intervient d’une voix fragile :
- Permettez-moi, monsieur le président, mais il me semble que votre plan, tout intelligent qu’il soit, comporte quelques failles. Primo, construire un mur reviendrait fort cher et exigerait un temps considérable dont nous ne disposons pas. Secundo, un mur, ça se contourne, par au-dessus ou par les côtés. Tertio, le recours à l’arme nucléaire requiert l’aval des Nations Unies. Quarto, la bombe H ne me semble pas adaptée pour combattre un animal furtif et mouvant. Cela équivaut à tuer un moustique avec un bazooka.
Le président brandit son club et le pointe vers le caddie, d’un air menaçant.
- Très bien ! Que me proposez-vous alors, monsieur le vice-président-qui-a-un-avis-sur-tout-et-qui-utilise-des-mots-en-latin-mais-qui-est-même-pas-foutu-de-retrouver-la-balle-qui-s’est-perdue-dans-l’étang-toute-seule-tout-à-l’heure ? s’emporte le président, ivre de colère.
- J’aurais peut-être une idée, répond le caddie en déposant au sol le sac qui lui pliait le dos.
- Eh bien allez-y, accouchez !
- Bien, voilà le plan : à mon avis, ce monstre ne peut être vaincu que par un monstre de force équivalente. Je pense qu’il faudrait que nous concevions notre propre chimère et que toutes les deux se battent jusqu’à leur anéantissement mutuel. Alors...
Le président arbore une moue boudeuse, marque d’une intense réflexion et fait signe à son vice-président de se taire.
- J’ai une meilleure idée. Nous allons combattre le feu par le feu et le mal par le mal. Nous allons créer notre propre monstre et tous les deux se battront jusqu’à la mort ! Malin, n’est-ce pas ?
- Très subtil, monsieur le président, répond le vice-président. Je n’aurais pas dit mieux.
En écoutant cette discussion, Badgrass s’éclipse sur la pointe des pieds, pressentant le pire. Hélas, le président l’interpelle alors qu’il s’apprête à rentrer dans le véhicule blindé.
- Vous, là !
- Moi ? tente le jeune homme, faussement surpris, comme s’il y avait d’autres personnes aux alentours.
- Oui, vous, machin, quoi. Je vous veux pour cette mission, onclesame-t-il en le pointant du doigt. Vous allez me récupérer cette enflure de terroriste, on va le forcer à nettoyer sa merde ! Allez le voir, obligez-le à nous fabriquer un monstre capable de neutraliser le fourmipoulpe et organisez la rencontre entre les deux bestioles. Je veux y assister en personne, je veux que les médias du monde entier soient témoins de notre démonstration de force ! Vous avez carte blanche, moyens illimités ! Je compte sur vous ! L’Amérique compte sur vous ! Dieu vous regarde et vous juge !
La mauvaise graine hésite entre feindre l’évanouissement, refuser poliment, faire comme s’il n’avait pas entendu, ou encore s’indigner d’un tonitruant “je suis pas venu pour souffrir, OK ?”. Au lieu de cela, il prend ses jambes à son cou et file droit devant lui, sans regarder. Après tout, le président ne se rappelle pas son nom, il l'a appelé "machin". Il est préférable de disparaître de la circulation pendant quelques temps quitte à tirer une croix sur la gloire, plutôt que de se retrouver encore embarqué dans un bourbier impliquant le fourmipoulpe et le scientifique.
Hélas pour lui, la fuite tourne court : le jeune homme chute dans l’étang qui se trouvait sur sa route.
Lorsqu’il réapparaît à la surface, un nénuphar posé sur la tête, le président et son caddie l’observent d’en haut, le sourcil froncé, l’oeil accusateur. Le plongeur les regarde en contre-plongée, crache un jet d’eau avec un petit poisson dedans et explique avec tout le naturel du monde :
- Monsieur le président ! Lorsque vous m’avez annoncé ma mission, je n’ai pas voulu perdre de temps. J’ai couru tout droit en direction de la prison où est écroué le diabolique scientifique. Sur ma route, j’ai avisé une petite boule blanche qui scintillait au fond de l’étang. Je me suis rappelé que vous aviez perdu votre balle, alors j’ai plongé pour la récupérer. La voici.
Le filou tend fièrement la balle de golf. Le président, récupère l’objet et l’analyse de près.
- C’est bien ma balle, ajoute-t-il avant de se tourner vers son caddie. Vous voyez, monsieur le vice-président, ce jeune homme ferait un excellent vice-président, faites attention à l’avenir. Moins de latin, plus d’efficacité et de jugeote, c’est tout ce que je vous demande.
Le jeune homme s’extirpe de l’étang avec difficulté et obtient pour tout remerciement un geste sec indiquant que l’entrevue est terminée.
Il tourne les talons et repart vers la voiture en chancelant comme un condamné à mort vers l’échafaud. Lorsque le président l’interpelle à nouveau, l’espoir renaît et s’évanouit aussitôt.
- Ah, j’oubliais… columbosse-t-il en se frappant le front. Vous avez une semaine, sinon, ce sera la cour martiale.
Annotations
Versions