Je suis allongée, mes yeux s’ouvrent. La paroi vitrée s’élève lentement dans un léger bruissement pneumatique. La température du Noxe est légèrement supérieure à celle du sarcophage. De ce fait, je n’ai aucun mal à m’extirper de ma couche. Les plinthes lumineuses diffusent encore la lumière rouge tamisée de la nuit. Le son d’une fine cascade d’eau emplit l’atmosphère. Je me sens bien. Absolument tout m’est familier et habituel. Je me dirige vers l’espace toilette, quitte mon voile de nuit en algua-soie pour enfiler ma combinaison Néo-Skin. Elle épouse parfaitement l’ensemble de mon corps comme une seconde peau. Seuls mes mains, mon cou et ma tête ne sont pas recouverts.

Je récupère mes alicaments dans la boîte aux colis. Ma phase d’éveil-préparatoire se termine toujours par l’absorption de mes gélules même si je ne ressens jamais la faim. Je me laisse porter par cette routine rassurante.

Mon temps est entièrement réglé par le rythme de mes trois phases de vie qui se succèdent invariablement. Seules les durées du cycle et de mes phases changent parfois. MOM les allonge ou les raccourcit selon l’analyse de mes paramètres vitaux.

Après la phase d’éveil préparatoire, vient la phase d’activité. Elle se signale par plusieurs modifications sensorielles. Un changement de lumière tout d’abord. Le bleu dynamisant succède au rouge. Variation sonore ensuite, le Noxe s’emplissant de basses fréquences enveloppantes. Puis la température baisse légèrement. Je suis prête. Je m’installe dans le fauteuil si confortable face à l’écran holographique.

Mon activité principale consiste à regarder, trier et classer des images. MOM m’a expliqué que mon travail était très utile car il bénéficiait à un grand nombre de patients dans le cadre d’un programme de thérapies par l’image.

A chaque phase d’activité, MOM me propose un large choix de photographies depuis le moteur de recherche Goodgood. Je navigue parmi les thèmes qu’elle me suggère. L’analyse bienveillante de mes réactions lui permet d’ajuster au mieux sa sélection. C’est ainsi que petit-à-petit, pour mon bien-être, les photos de paysages, d’animaux, d’enfants, de fleurs ont disparu de mes possibilités de sélection. Elles exacerbaient trop ma sensibilité.

Actuellement, je trie des représentations de formes géométriques, des nuages de points, des taches de couleurs. Cela ne me procure aucune réaction négative. Ni positive d’ailleurs. Je pourrais dire aucune réaction tout court. Mais je ne me plains pas. Je n’ai pas le droit de me plaindre. Si je compare ma vie à celles des humains qui vivent à l’extérieur, je ne peux que constater que j’ai beaucoup de chance. C’est d’ailleurs pour me le rappeler que MOM interrompt régulièrement mes classements de photos par des flashs d’actualités. Les images de guerres, de maladies, de famines, de catastrophes écologiques, de crimes, de pauvreté et de saleté se succèdent, chaque jour plus violentes. La misère du monde extérieur rend mon cocon encore plus précieux à mes yeux.

Je ne changerai de vie pour rien au monde.

C’est toujours dans cet état d’esprit que j’aborde ma troisième phase de vie, ma phase de repos. Les lumières repassent au rouge tamisé. Le sarcophage s’ouvre comme une invitation à venir le rejoindre. Ce que je fais avec délice après être passée par l’espace toilette.

Ainsi va le cycle de ma vie, du plus loin que je me souvienne.

Ma vie douce et sereine.