Chapitre 6

27 minutes de lecture

Après avoir raccompagné Mia, je m’achète un sandwich-panini infect, boulevard de la colonne, et je hèle un taxi pour me rendre à la salle polyvalente de Saint-Alban-Leysse, afin d’y donner mes cours de judo. Il est de toute façon trop tard pour retourner au musée des Beaux-Arts.

Le chauffeur qui me conduit me prend pour un touriste et m’abreuve d’insipides anecdotes sur l’histoire de la capitale des ducs de Savoie ; je ne l’écoute pas vraiment, je suis ailleurs. Je repense à Mia, aux instants précieux que je viens de vivre avec elle, à notre échappée belle de collégiens, à cette douce insouciance que je n’ai quasiment jamais eue… Et puis à Isaac, sa mise en garde. Cette femme est un serpent… Pour balayer ce sombre présage, je m’empare de mon paquet de clopes afin d’en porter une à ma bouche, m’apprête à l’allumer lorsque le regard réprobateur de mon chauffeur rencontre le mien dans le rétroviseur intérieur de la C5. Sans un mot, je comprends le message et m’abstiens. Le paysage défile à travers la vitre fumée de la berline, et le visage de Jen’ se dessine dans mon esprit. Ou peut-être est-ce celui de Mia. Les deux se confondent, se mélangent et me donnent le vertige. Je suis en train de tomber amoureux. Follement amoureux d’elle. A moins que ce ne soit l’amour que j’aime aimer, plutôt que les êtres. J’en sais rien, mais une chose est sûre : Mia Parker me chamboule. T’as besoin de nouveaux challenges… Cette fille en est peut-être un… Non, ça va beaucoup plus loin que ça, j’en ai la certitude.

Arrivé au dojo, Tristan n’est pas là. Contrarié, je laisse un message à Cathy, mais elle ne me rappelle pas… Bon sang, qu’est-ce qui se passe ? Anxieux, je reporte le cours et remonte sur Curienne en priant mon taxi de rouler le plus vite possible, direction La Galoppaz. Parce que s’il arrivait quelque chose à mon fils, je ne me le pardonnerais jamais… Il est ce que j’ai de plus cher au monde, il est tout ce qui me reste !

— Tristan, tu es là ? Tristan ?

Un châle s’agite dans le clair-obscur du salon, puis se lève du grand fauteuil en cuir pour s’avancer vers moi.

— C’est seulement maintenant que tu t’inquiètes ? Alors que ça fait des heures que tu t’es volatilisé du musée ?

— Il va bien ? Je ne me suis pas alarmé plus que ça parce que tu devais aller le chercher à l’école après la sortie et s’il y avait eu un problème, on m’aurait joint sur mon portable…

— Eh bien non, figure-toi ! s’insurge ma frangine. Parce que c’est moi qu’on a contactée par téléphone, c’est moi qui ai dû quitter mon travail en catastrophe pour récupérer TON fils en larmes ! Il n’a même pas pu continuer la sortie, tu te rends compte ? Comment as-tu pu lui faire ça ? Il était tellement fier que tu l’accompagnes pour une fois, il en avait parlé à tous ses copains, et toi, qu’est-ce que tu fais ? Tu le plantes, et la maîtresse et ses camarades de classe avec !

— Je suis désolé, c’est vrai que je n’ai pas d’excuses…

Je n’ai jamais été un père parfait mais depuis le décès de Jen’, j’accumule les bourdes !  Et là, encore une fois, j’ai déconné… Je l’aime, mon gosse, je l’aime à en crever, mais je ne sais pas comment m’y prendre avec lui, et je ne comprends pas pourquoi.

Qu’est-ce qui tourne pas rond chez moi ?

— C’est qui cette fille ?

— Pardon ?

— Cette nana que tu as entraînée dans ta fugue ! Oh, ne fais pas l’innocent, parce que même Isaac m’a appelée, il m’a raconté !

— Et qu’est-ce que tu veux que je te dise ? J’ai le droit d’avoir une vie, non ? ne puis-je m’empêcher de répliquer pour me défendre.

— Mais pas d’oublier que tu as un môme qui aimerait bien avoir autre chose qu’un courant d’air comme père ! Entendons-nous bien, Eric, tu peux t’envoyer qui tu veux, c’est le cadet de mes soucis, mais ne fais pas payer à Tristan ton égoïsme. Parce qu’il n’y a que toi qui réalises tes fantasmes, tes rêves, et ils ne concernent que ta petite personne. Les autres n’ont droit à rien…

— Les autres ? Quels autres ? Jennifer ? Mais qu’est-ce que tu savais de ses rêves, Cathy, qu’est-ce que tu savais d’elle ? Rien. Parce qu’elle ne disait jamais rien, à personne.

Je ne supporte pas ses reproches implicites, alors je me suis fait cassant, blessant en retour. Pourtant, je sais qu’elle a raison. Mais ma frangine n’est pas du genre à se laisser impressionner, même si ses émotions finissent toujours par déborder :

— Tu ne vois décidément que ce que tu veux réellement voir, hein ! Mais ton éclatante réussite, Jenny l’a payée de sa vie. Et moi aussi, j’en paie le prix chaque jour que Dieu fait. Les parents t’ont financé l’école hôtelière parce que tu étais leur fils unique, l’aîné, le préféré, leur fierté. Pour moi, le destin était tout tracé, me marier avec un gars solide qui reprendrait la ferme familiale. Tout le monde s’en foutait de ma passion pour le piano, la musique. Et t’es en train de faire exactement la même chose avec ton gamin ! Tu ne l’écoutes pas, ne le regardes pas ; tu décides pour lui et ne t’intéresses à rien de ce qui le concerne. Tu dis que tu l’aimes plus que tout, que c’est la plus belle chose qui te soit jamais arrivée, mais tu l’aimes mal. Et ça me fout en rogne, parce que moi, de l’amour, j’en ai à revendre, parce que je n’aurai jamais cette chance d’avoir un enfant à moi…

Cathy s’effondre en larmes dans mes bras. Elle m’a balancé tout ce qu’elle avait sur le cœur, toute sa rancœur, celle qui lui pesait depuis si longtemps. Je ne me rendais pas compte que c’était ça, sa vie. Une existence résignée, de choix par défaut. Alors que moi, j’ai toujours tout eu tout de suite, sans attendre. Trop tôt peut-être. Et qu’est-ce que j’ai donné, moi, en retour ? J’ai voulu Tristan, je l’ai voulu ardemment. Beaucoup plus que Jenny, qui elle, ne me le donna que par amour…

***

Canal suite, Bauer Il Palazzo, Venise, septembre 2004

Le soleil, subtilement filtré par le voilage, pénètre dans la chambre et me réveille. Seul dans le grand lit vide, je cherche Jennifer des yeux, m’attarde sur la fenêtre entre-ouverte, distingue une silhouette familière accoudée au balcon surplombant le canal et la place Saint-Marc.

Je me lève et enfile un caleçon au passage, avant de la rejoindre, torse nu, d’enlacer sa taille drapée d’un déshabillé de satin noir, de plonger tête baissée dans ses cheveux longs cannelle détachés, agités par une légère brise, d’embrasser son cou et de m’enivrer de sa fragrance, sublimée de quelques gouttes de ce Chanel 5 que je lui ai offert quelques jours plus tôt en duty-free à l’aéroport de Fiuminicino, parce qu’elle s’est toujours rêvée Marilyn. Parce que l’actrice dormait nue, à peine parée d’une larme de ce coûteux parfum, et que Jenny a toujours désiré faire de même.

Venise, symbole du romantisme et ville phare de notre lune de miel. Malgré nos quatre années de mariage, nous n’en sommes encore qu’au début de notre idylle, ce temps délicieux où l’on s’aime n’importe où. Avec cette soif perpétuelle d’être avec l’autre en permanence, le désir de son corps à fleur de peau. Alors oui, nous avons fait l’amour une bonne partie de la nuit, insatiables, et oui, en cette heure matinale, j’ai encore envie d’elle. Mais je la sens soucieuse, le regard perdu, ailleurs. Une main rassurante posée sur ce ventre qui s’arrondit doucement, je l’interroge sur ce qui la préoccupe :

A quoi tu penses, ma chérie ?

J’ai… J’ai peur. J’ai peur que tout aille trop vite, qu’on ait fait ça trop tôt. Peur de ne pas y arriver, de ne pas savoir être mère, tu comprends ?

Je crois, oui. Mais tu sais, ça fait déjà longtemps qu’on est ensemble, toi et moi, alors je n’ai aucun doute sur nous deux. Et c’est normal, ma chérie, d’avoir ce genre d’appréhension dans les premiers mois d’une grossesse, ce n’est pas évident de se projeter maman. Mais après, ça s’estompe, tu verras, et quand notre bout-de-chou sera là, je suis certain que tu seras à la hauteur et que tu n’auras plus peur du tout…

J’ai pas envie, Eric, pas envie que tu me délaisses pour lui. J’ai pas envie qu’il prenne toute la place et que tu ne voies en moi que la mère de ton enfant. Et puis, je me sens tellement laide…

Je la fais pivoter pour qu’elle me fasse face et plante mes yeux dans les siens.

Jenny, tu ne l’es pas ! T’as pas le droit de penser ça. Tu ne le seras jamais ! Tu es ma femme. Celle que j’ai épousée, celle que j’aimerai jusqu’à la fin de ma vie.

Même quand je serai une grosse baleine, même lorsqu’il ruinera nos nuits, qu’on n’aura plus de temps pour nous deux ?

Jen’, c’est le fruit de notre amour, et j’ai de la place pour deux dans mon cœur. Et quand on s’aime comme je t’aime, on trouve toujours du temps pour se ménager des moments d’intimité, en amoureux. Je te promets, ma chérie, je te promets qu’on sera heureux…

Le baiser qui suit ressemble à celui qui scelle le lien, l’amour inconditionnel entre deux êtres. A cet instant précis, je me dis que rien ne pourra nous séparer, que je suis l’homme qu’elle attendait, celui qui la comblera au-delà de ses espérances. Je crois que le bonheur peut s’acheter comme une bouteille de parfum ou un voyage, qu’il suffit d’un claquement de doigts pour que ma dulcinée rayonne. Je ne sais pas encore qu’il me faudra bien plus que ça, qu’une promesse à l’être aimé s’honore autrement qu’en le couvrant de bouquets de roses et de bijoux Cartier.

***

— A ton avis, qu’est-ce que je dois faire pour me rattraper ?

— Rien, me répond ma sœur en séchant ses larmes, Tristan t’en veut trop pour le moment. Là, il joue à la PS avec Anton, pour se changer les idées. Il lui a offert un nouveau jeu de console et ils l’essayent ensemble. Tu vois, même ton beau-frère sait mieux s’occuper de ton gamin que toi…

— T’es dure là, non ? lui demandé-je tristement.

— Non, réaliste. Ne t’attends pas à ce que ton môme revienne à la maison de suite, il va rester un peu avec nous. C’est ce qu’il m’a dit, ça l’a secoué cette histoire. Le sentiment d’abandon qu’il a ressenti il y a cinq ans, il vient de le vivre à nouveau avec toi. Il lui faudra du temps…

La phrase de Cathy reste en suspens. Sa réplique me sonne comme un uppercut en plein cœur. Je voudrais ajouter quelque chose, la remercier pour tout ce qu’elle fait pour Tristan, lui dire qu’elle est cette fille formidable qu’elle a tant de mal à voir dans son miroir le matin, qu’elle vaut bien mieux que ce qu’elle croit. Mais rien ne vient. Elle n’attend plus ma réponse et me quitte comme ça, en demi-teinte, avec ses yeux qui ont encore envie de déborder un peu. Pourtant, derrière son apparente fragilité, ses failles qu’elle tente de dissimuler au plus grand nombre, il y a ce bout de bonne-femme qui ne baisse jamais les bras, la seule personne – en-dehors de Mathieu - à oser m’affronter sans ciller. A me jeter mon égoïsme à la figure comme elle l’a fait, à me confronter à moi-même. Car oui, je suis égoïste. Et c’est la première fois que j’en prends conscience. C’est comme une gifle que me renvoie mon existence, comme un boomerang, avec le drame de ma vie en point de mire. Celui dont je suis le seul responsable. Aujourd’hui je le sais.

***

Chambéry, le lendemain

La nuit s’est encore évaporée sans que je m’en aperçoive. J’ai passé le plus clair de mon temps à observer la ville assoupie par la fenêtre, priant pour qu’une solution miracle m’apparaisse. Si je continue à ne pas dormir, je n’arriverais jamais à tenir le choc. Debout avant l’aube, je me fais un café pour tenter de retrouver des idées claires. La petite statuette qu’Eric m’a offerte hier est posée là où je l’ai laissée, sur le meuble en bois dans le couloir de l’entrée. Elle me nargue alors que je retourne les mêmes pensées depuis des heures. C’est la première fois qu’un homme m’offre un présent d’une telle valeur. Je n’arrive pas à le regarder sans qu’un violent sentiment de honte s’empare de moi. Je détourne les yeux et me dirige vers la chambre de Louise. La jeune femme somnole, agitée par des soubresauts, le front brillant de fièvre. Cela fait près de vingt-quatre heures que je la retiens ici. Le manque s’installe. Je sais que c’est dangereux, mais je n’ai pas le choix.

Sans la réveiller, je file jusqu’à la salle de bain et ouvre l’armoire à pharmacie. Il me reste encore quelques cachets d’anxiolytiques pour la faire tenir, mais pas longtemps. Ma seule chance est de lui trouver une place en centre de désintoxication de toute urgence. Une nouvelle fois, elle a besoin de professionnels pour s’en sortir. Un jour, un seul jour de répit pour me permettre d’envisager la suite. Je ferme les yeux pour oublier ses larmes d’hier, la crise qui l’a secouée jusqu’à ce qu’elle s’écroule d’épuisement. Mes gestes sont de plus en plus précipités, je fais tomber un flacon dans mon affolement. Je dresse des listes de choses à faire dans ma tête : appeler les centres, trouver quelqu’un pour la surveiller, réunir l’argent nécessaire. Le dernier point est le plus difficile. J’ai liquidé la totalité de mes maigres économies pour son dernier séjour. Il me reste bien le salaire du restaurant qui devrait tomber bientôt, mais ça ne suffira pas. Mon regard tombe sur la statue. Il doit y avoir un autre moyen. Il faut que je trouve un autre moyen.

***

J’ai mal partout, les médicaments troublent mon esprit, mais je suis décidée. La méthode légale n’a pas suffi, il faut que je passe à la vitesse supérieure. L’arme est lourde dans ma poche, froide contre mes doigts tremblants. J’entre la tête haute dans le hangar qui lui sert de planque. Il est là, seul, assis à son bureau. La chance est avec moi.

Je m’approche, croise son regard glacial et son rictus malsain. Ma haine se transforme en rage. L’arme se retrouve pointée sur sa tête.

— Je ne pensais pas que tu serais assez conne pour revenir…

— T’aurais pas dû me laisser en vie !

— Sans doute, c’était une erreur…

Je ne l’ai pas vu se rapprocher, j’étais trop concentrée sur mes mains, à contrôler leur tremblement. Il n’a aucun mal à m’arracher l’arme et à la retourner contre moi. Qu’est-ce que j’espérais ? Peut-être en finir une bonne fois pour toutes, tenter un dernier coup, quitte à y rester. Oui, c’est ça. Je me moque de mourir si je ne suis pas capable d’aider la personne qui compte le plus dans ma vie. Les larmes ne me viennent même plus.

— … Et je ne vais pas faire la même deux fois.

— Vas-y. De toute façon, l’un de nous deux doit y passer, c’est comme ça.

— Désolé, je préfère que ça soit toi…

***

La ruelle est sombre, à peine éclairée par quelques lampadaires blafards. Le long des murs, des gars un peu louches s’échangent des sachets encore plus louches. Des sifflements immondes suivent chacun de mes pas. Je serre mon sac plus fort contre moi. Au bout du chemin, une petite boutique délabrée se dessine. L’enseigne grésille, la plupart des ampoules ayant rendu l’âme depuis longtemps. Je pousse la porte, déclenchant une clochette aiguë au passage. L’intérieur est aussi étrange que l’extérieur, des objets s’entassant dans un désordre innommable sur des étagères ou à même le sol. Je suis déjà venue ici, d’ailleurs l’une de mes toiles trône toujours dans un angle de l’échoppe. Au comptoir, un homme à l’allure singulière attend les clients, mélange de Père Noël et de biker. Je m’avance timidement vers lui en déballant un petit objet. Je crois que je mets un peu trop de temps à le déposer car son regard suspicieux me fixe. Je peux encore reculer. Non, je ne peux pas.

— Je souhaiterais vendre cette statuette, elle est l’œuvre d’un artiste peu connu, mais prometteur.

— Qu’est-ce qui me prouve que c’est pas une copie s’il est inconnu ?

— Rien, c’est vrai. Seulement j’ai vraiment besoin d’argent et je peux vous assurer que cet objet coûte cher. Je ne voulais pas m’en débarrasser, mais c’est une question de vie ou de mort. Ça vient d’une galerie du centre-ville, vous pouvez aller y faire un tour, vous verrez que je ne mens pas.

— J’ai pas que ça à foutre, je vous en donne cent euros.

— Quoi ? Elle en coûte au moins cinq fois plus !

— Je peux pas faire mieux, si ça vous plaît pas, dégagez.

— Attendez ! D’accord, d’accord, on va s’arranger ! Je vous la laisse pour trois cents euros.

— Deux cents. C’est bien parce que je connais votre tête et que vous êtes mignonne…

L’argent atterrit dans ma main et la statuette change de propriétaire. Une larme me brûle la rétine alors qu’elle disparaît de ma vue. J’ai l’impression de trahir Eric, d’effacer d’un revers de la main les bons moments que nous avons vécus hier. Cet homme dénué de toute méchanceté, dont le geste désintéressé visait simplement à me faire plaisir, ignore que tout ça n’est déjà plus qu’un souvenir. Sans rien ajouter, je quitte la boutique précipitamment. Dégoûtée et presque amère, j’ai à peine de quoi payer une journée de cure à Louise dans une clinique privée. Pour la suite, il va falloir que j’improvise, comme toujours. Et rapidement, mon amie a besoin d’un vrai séjour, pas seulement de quelques jours de repos. Décidément, cette journée est vraiment pourrie. Je n’ai pas envie de rentrer chez moi. J’ai besoin d’oublier, d’effacer quelques instants mes soucis, le poids qui pèse sur mes épaules. Et si j’allais au restaurant ? Le voir ? Ma période d’essai étant devenue un temps partiel, j’ai du temps libre, mais quoi prétexter pour cette visite surprise ? Non, ce n’est pas une bonne idée. Je suis trop bouleversée pour que ça passe inaperçu. Je n’arriverai pas à faire semblant. Il vaut mieux que je reste seule.

***

L’absence de Tristan et ma dispute avec Cathy la veille n’ont pas quitté mon esprit de la nuit, résonnant encore à mes oreilles en cette heure matinale. Je ne déjeune rien, n’ai aucun appétit. Une longue douche chaude, un rasage et des fringues. Puis j’enfourche ma moto. Il faut que je roule, enchaîne les virages, sans but, juste pour me vider la tête. Sans vraiment avoir conscience du chemin parcouru, ni même du temps écoulé, je me retrouve de l’autre côté des Bauges, dans le département voisin, sur les rives du lac d’Annecy.

Après avoir rejoint la route d’Albertville, je décide de bifurquer à gauche, en direction du port de Sevrier. Je gare ma Béhème, la béquille, ôte mon casque et mes gants puis m’avance jusqu’au bout du ponton de bois sur lequel je m’assois.

Les Dents de Lanfon et la Tournette me toisent, majestueuses, mais je n’ai d’yeux que pour mon alliance, que je fais tourner autour de mon annulaire. Je la retire de mon doigt, l’observe au soleil levant, en détaille l’inscription gravée sur sa face intérieure : ’’Jennifer & Eric, le 8 mai 2000’’. Des images me reviennent, imprécises et floues, en rafales. Certaines se figent et déroulent un bref instant le film de mes souvenirs.

***

— Je te raccompagne chez toi ?

— T’as un casque pour moi ?

— Celui de Mathieu, mais je crois qu’il n’a aucune envie de rentrer, réponds-je en avisant mon meilleur ami en train de courtiser Estelle.

— OK, je suis partante !

— T’as déjà fait de la moto ?

— Non…

— Alors tu t’accroches bien à moi, et tu suis le mouvement de la bécane. Ne fais surtout pas contrepoids dans les virages, sinon tu peux être sûre qu’on se viande. Compris ? Tu me fais confiance ?

— Compris ! Ça y est, je suis prête, chef…

— Au fait, t’habites où ?

— On s’en fiche d’où j’habite, emmène-moi n’importe où. Je veux juste être avec toi…

Jennifer enserre ses mains autour de ma taille et colle son corps si frêle, si chaud contre le mien. Nous roulons un moment, comme ça, au hasard, avant notre escale romantique dans le village de Bourdeau, face au lac du Bourget. Nous abandonnons nos casques sur le guidon de ma Suzuki et marchons en nous tenant par la main, sans vraiment oser nous regarder dans les yeux. Et finalement, au fil de notre modeste promenade, l’impasse nous impose une halte, bercée par le clapotis de l’eau sur la berge. C’est à cet instant précis que nous plongeons l’un dans l’autre, que nos lèvres se rejoignent et que nous vivons notre premier baiser. Le tout premier…

***

Ma vue se brouille, la nostalgie m’enrubanne et finit par me dessiner un sourire en coin. Les images défilent à nouveau à la vitesse d’un ace et s’arrêtent au moment où je m’apprête à frapper dans la balle.

***

— J’ai ! Han !

— Ouh ah !

— Jenny à toi !

— Mais elle est faute là !

— N’importe quoi, d’où qu’elle est faute ? s’offusque Mathieu.

— Non, non, Mat’ à raison, elle est bonne.

— Je te jure, Eric, que je la voyais dans le couloir…

— Faut être sur toutes les balles, Jen’, toutes ! Même celles que tu crois fautes, sinon, ils vont gagner !

— Ça fait 30-40. Estelle et moi, on est à un point du match.

— Ouais, ben accroche-toi à ta raquette, vieux, parce que je vais te servir un boulet de canon. On peut encore sauver le point, mon service et même aller jusqu’au tie-break.

Notre partie de tennis en double perdure, mais si Mathieu et moi avons le même niveau de jeu, Estelle est nettement plus douée que mon épouse pour renvoyer la balle, et elle conclut le set par un smash magistral.

— Bon, les enfants, vous vous êtes bien défendus, mais nous remportons cette manche 6-4. Du coup, c’est vous qui nous payez le resto. Et un étoilé, hein, pas un vulgaire Mac Do !

— Enfoiré, va ! Tu ne perds rien pour attendre… La semaine prochaine, même endroit, même heure, j’aurai ma revanche…

— Eric ! nous interrompt Estelle. Jenny se sent pas bien…

— Ça ne va pas ma chérie, tu veux t’asseoir, manger quelque chose ?

— J’ai… J’ai eu comme un vertige…

— Du sucre, il lui faut du sucre ! Mathieu, file-moi une barre de céréales. Là, dans mon sac…

Jenny renverra tout sur la terre battue du court, son petit-déjeuner et le peu de barre de céréales qu’elle aura pu avaler. Plus tard, nous en saurons la cause : mon épouse est enceinte. Nous fêterons dignement la nouvelle autour d’un repas avec Estelle et Mathieu. Parce que peu de temps après, eux aussi apprendront qu’ils seront prochainement parents.

***

Ma mine s’assombrit, doucement, à mesure que les souvenirs se font plus noirs et s’acheminent vers l’inéluctable. Vers notre dernière nuit à Curienne…

***

— Bon sang, mais qu’est-ce qui t’a pris, Jen’ ? Un traiteur, et puis quoi encore ?

— Oui, j’ai pris un traiteur ! Parce que c’est ce que les gens normaux font quand ils organisent une réception : ils font appel à un traiteur.

— Et j’ai l’air de quoi, moi, maintenant ? Je te rappelle tout de même que je suis cuisinier de formation et patron d’un restaurant étoilé…

— Oh ça va, je suis bien placée pour le savoir, arrête de me prendre pour une conne !

— Alors pourquoi l’avoir choisi lui ? C’était le pire prestataire que tu puisses trouver, sa bouffe est dégueulasse…

— Je voulais te faire une surprise, un anniversaire-surprise ! Seulement, je n’ai pas ton carnet d’adresses moi !

— Tu aurais très bien pu demander à Yann ou Isabelle…

— Bien sûr ! Ça n’aurait pas du tout fait louche que je me pointe à L’Atelier, la bouche en cœur, alors que je n’y mets jamais les pieds ! Mon pauvre ami, va…

— Y’a d’autres moyens pour se renseigner !

— De toute façon, quoi que je fasse, rien n’est jamais assez bien pour toi, rien ! Tu me fais chier, Eric, je me mets en quatre pour te faire plaisir et voilà comment tu me remercies…

— Jen’, j’ai pas voulu dire ça, attends… Jen’ !

Elle me fera la gueule, pas longtemps. Les réconciliations sur l’oreiller sont devenues quotidiennes au sein de notre couple. Nous ferons donc l’amour machinal, par habitude, même s’il est déjà très tard dans la nuit. Et puis, je trouverai très facilement le sommeil, comme toujours. Pas elle. Je le sais parce que j’entends régulièrement ses pleurs dans mes songes. En position fœtale, mâchouillant le coin de la housse de couette, ses yeux embués fixent inexorablement le cadran du radioréveil. Jusqu’à ce qu’il sonne, jusqu’à ce qu’elle vive les toutes dernières heures de son existence….

***

Des larmes coulent, silencieuses, sur mon visage. Alors, dans un cri de rage, je balance mon alliance à la flotte pour balayer mes erreurs et m’effondre en sanglotant sur mes genoux. Mais mon passé est toujours là, il ne s’effacera jamais…

***

Sans m’en rendre compte, mes pas m’ont portée jusqu’aux quartiers excentrés de la ville, et c’est la nostalgie qui me guide maintenant le long des trottoirs usés. Je ne dois pas avoir l’air en grande forme car même les bandes adolescentes du coin me fichent la paix. Je marche vers le petit square qui longe la barre d’immeubles où se terrent la plupart des souvenirs de mon passé récent. Je progresse encore, hésite et entre finalement dans la cité. Notre banc est toujours au même endroit, coincé entre un bac à sable abandonné et des balançoires grinçantes, inoccupées. La seule différence est qu’il n’y a plus personne pour le squatter depuis notre départ. En m’asseyant dessus, je retrouve nos prénoms tracés à coup de cutter. Du bout des doigts, je dessine leurs contours. Ce n’est pas le symbole d’un amour enfantin, mais celui d’une amitié qui s’est forgée dans la douleur.

— Mia ? C’est bien toi ? J’arrive pas à y croire !

Cette voix, je la reconnaîtrais entre mille. Elle fait partie de moi, de mon passé. De ce qui s’est joué là, entre ces tours que je déteste. Je le regarde et lui souris. Lui aussi. Il n’a pas changé.

— Salut Christophe. Je suis contente de te revoir.

Il m’embrasse avant de s’asseoir à mes côtés.

— Et moi donc ! Ça fait quoi… Au moins un an ?

— Un an et demi. Tu sais, j’ai du mal à revenir ici…

— Je m’en doute. Allez, raconte-moi, comment tu vas ?

— Je suis désolée de ne pas avoir donné de nouvelles. J’étais…Occupée.

— Tu parles ! Dis plutôt que t’es encore en train d’enchaîner les flirts sans jamais prendre le temps de te poser…

— C’est méchant de dire ça, répliqué-je sèchement, je ne les ai pas tant multipliés que ça, ces histoires sans importance !

— Pardon, Mia, je ne voulais surtout pas te vexer ! C’est juste que…

— Je sais, Christophe, je sais… Mais tu vois, tout est toujours si compliqué dans ma vie. Et même si je voulais, mes factures sont tellement jalouses qu’elles s’entendent toujours pour prendre toute la place.

Je n’ai jamais pu lui en vouloir très longtemps. Parce qu’il a des raisons d’être comme ça avec moi. Parce que je l’ai déjà blessé par le passé, bien plus qu’il ne m’a jamais blessée.

— Tu manques d’argent, toi ? Tu ne t’es toujours pas rabibochée avec ta mère alors ?

— Non, toujours pas…

— Et je suppose qu’avec Louise, ça ne s’arrange pas non plus, côté dope et tout ça. Tu sais, je peux t’aider si t’as vraiment besoin…

Christophe, son éternelle générosité, son altruisme. Comment ai-je pu rester éloignée de lui de si longs mois ?

— C’est gentil, mais je gère. C’est pas parce que le fric me glisse entre les doigts que je vais te dépouiller. Je ne suis pas venue pour ça, je te promets.

Mon ami me fixe, un mélange de suspicion et de douceur dans le regard. Je ne me rendais pas compte à quel point il m’avait manqué. Son allure chic malgré l’endroit où il vit, les petites rides au coin de ses yeux, son parfum acidulé. Il m’a tellement soutenue quand je suis arrivée ici, le cœur plein d’idéaux mais les poches encore plus vides qu’aujourd’hui. C’est Louise qui me l’avait présenté dès les premières heures passées dans ce squat que nous partagions avec quelques autres paumés ; il a toujours été à mes côtés, à me soutenir envers et contre tout, même et surtout quand j’ai décidé de sortir ma meilleure amie de là. En quittant cet endroit, j’ai perdu l’un des piliers qui maintenait ma vie à flot. Un courant d’air me fait frissonner tout à coup. Christophe m’ouvre aussitôt ses bras pour que je m’y réfugie, comme une enfant au creux de son père, comme avant.

***

Le déclic du cran de sécurité qu’on retire résonne plus fort encore que les battements de mon cœur. Nous sommes debout, l’un en face de l’autre, prêts à affronter notre destin. Les yeux glacials de Franck ne me lâchent pas. On dirait qu’il essaye de graver dans sa mémoire chacune de mes respirations paniquées. Quant à moi, je fixe un point à l’horizon, en essayant de m’imaginer ailleurs. J’avais tellement de rêves avant tout ça. Voyager, faire des rencontres et peut-être même, un jour, me marier et avoir des enfants. J’aime beaucoup les enfants. Mais c’est fini.

— Non !!! Arrête !!! hurle une voix terrifiée.

— Louise ?! Qu’est-ce que tu fous ? Bouge de là ou je te bute avec ta copine !

— Je t’en supplie Franck, baisse cette arme et écoute-moi !

— J’en ai marre de vous écouter, écarte-toi princesse !

— Non ! Non… Si tu tues Mia, tu me tues avec…

— Je veux pas te faire de mal, bébé, tu le sais bien.

— Alors si tu m’aimes, ne serait-ce qu’un peu, laisse ma meilleure amie partir.

— Elle a dépassé les bornes, je peux pas laisser passer ça, désolé.

Franck a toujours le pistolet braqué sur moi, mais Louise refuse de bouger. Placée entre lui et moi, elle attend qu’il change d’avis, qu’il renonce. Elle écarte même les bras pour faire bouclier. Ses mains tremblent, mais pour la première fois, je ne me demande pas si c’est de peur ou à cause de la drogue. Je suis focalisée sur l’attitude de défi de ce petit bout de femme que je croyais connaître, de cette amie si fragile et pourtant si forte. Elle est prête à payer de sa vie pour me protéger. Pour me sauver, pour la seconde fois. C’est en cet instant que je prends conscience que les rôles viennent juste de s’inverser, qu’ils reprennent la place qu’on leur avait inconsciemment désignée, par la force des choses, le jour de notre rencontre. Elle veille à nouveau sur moi comme je l’ai toujours fait. Comme une sœur.

***

Noyée dans mes pensées, je ne m’aperçois pas que Christophe m’a glissé sa veste sur les épaules. Sa chaleur est réconfortante, je me sens apaisée malgré tout ce qui me tombe dessus en ce moment. Levant les yeux au ciel, je promets en silence de revenir le voir plus souvent, peu importe le dégoût que m’inspire cette cité. Ce n’est pas tant le délabrement des lieux, la saleté et la morosité qui me gênent. J’aurais pu passer mon adolescence auprès des miens sans connaître la misère des errances et d’un squat. Mais j’ai toujours refusé d’être prisonnière de ma famille, étouffée entre un sentiment de rejet et des désirs parentaux impossibles à réaliser.

Ma mère n’a jamais voulu m’avouer ce qu’elle me reprochait. J’ai longtemps essayé d’être à la hauteur, en vain. Plus âgée, j’ai tenté de l’excuser : peut-être aurait-elle préféré avoir un fils ou pleurait-elle un autre enfant dont j’aurais pris la place ? Mais loin de nous rapprocher, mes questions incessantes sur le passé ont définitivement brisé tout lien entre nous. De son coté, mon père n’a jamais su me défendre. Je crois qu’il a essayé quand j’étais enfant. Mais me dire que je devais prendre exemple sur la magnifique et parfaite Mademoiselle Jennifer Faulqueroy n’a pas vraiment aidé. Et plus le temps passait, plus mon père s’éloignait de sa femme, sa fille, sa maison… Pour son travail et accessoirement ses maîtresses. Il avait beau être exploité, trahi, épuisé, ’’son’’ entreprise était ce qui le raccrochait à son existence. Il me disait souvent qu’il faisait ça pour nous, pour nous assurer un avenir, mais aujourd’hui je crois que c’était surtout pour lui. Son poste à La Fonderie et ses amantes, c’était toute sa vie. Nous étions malgré tout assez proches quand il trouvait un instant pour s’occuper de moi. Car dans un sens, j’étais la seule à vraiment le comprendre : moi aussi je rêvais de fuir, parce qu’atteinte d’une étrange pathologie. ’’Syndrome de l’abandon avec fort sentiment de rejet’’, avait déclaré le psychiatre que j’avais consulté adolescente. Inutile de préciser qu’après ça, ma mère n’a plus jamais voulu que j’y retourne. Mais je crois qu’il avait raison et que ma relation fusionnelle avec Louise réside dans ce symptôme.

— Ça va Mia ?

— Oui, oui désolée, c’est cet endroit, ça me rappelle des souvenirs.

— A moi aussi, surtout de te voir là…

— Christophe… le coupé-je brusquement pour interrompre toute cette fichue nostalgie qui s’invite entre nous. J’ai… J’ai rencontré quelqu’un… 

— Ah… Ah bon ? s’étonne-t-il, un soupçon de déception dans la voix. Et c’est sérieux cette fois-ci, t’es prête à t’engager dans une vraie relation ? En tout cas, j’espère que c’est quelqu’un de bien, de stable, droit dans ses bottes et respectueux de toi, tes envies, tes désirs.

— Mes envies, mes désirs, si seulement je les connaissais ! Il est… Tellement différent des hommes que j’ai connus. Différent de toi. Mais… Rien n’est jamais simple avec moi, tu sais !

— Oui, je le sais, Mia, tu as toujours eu tendance à trop compliquer les choses. A ne jamais laisser tes sentiments, ton cœur s’exprimer librement. Tu verrouilles toujours tout. Mais tu dois avoir conscience d’une chose : tu ne peux pas tout prévoir à l’avance et contrôler même ce qui ne t’appartient pas. Tu ne peux pas façonner la vie des autres à ton image. Personne n’a dit qu’une relation à deux, amoureuse ou non, était quelque chose de simple, il faut accepter l’autre tel qu’il est, accepter le changement, accepter de quitter son propre chemin pour en découvrir un autre, certes plus incertain mais tellement plus beau. Alors, écoute-moi bien, si tu crois que vous êtes faits pour être ensemble, si tu crois que tu l’aimes, il faut que tu baisses la garde et que tu lui dises…

— Si je crois que je l’aime ? Ce sentiment-là, Christophe, je ne l’ai vraiment ressenti qu’une seule fois pour un homme, il y a bien longtemps. Et ça m’a fait trop mal, alors depuis je me protège. Je ne peux pas être vulnérable, je ne peux pas me le permettre. Il faut que je sois forte, pour Louise, tu comprends ? Et puis, de toute façon, qu’est-ce que je pourrais lui dire ? Il ne sait rien de moi, de ma vie ! Il ne sait même pas pourquoi j’ai besoin d’être avec lui…

— Si c’est un besoin, c’est que tu es déjà attachée à lui, que tu ressens quelque chose pour lui. Alors, tu dois le lui dire, lui dire tout ce que tu caches au fond de toi, même tes blessures les plus intimes.

— Je ne peux pas. Ça m’est impossible…

— Mia, les seuls obstacles qu’une histoire d’amour peut rencontrer, ce sont ceux qu’on s’invente. Si tu ne lâches pas prise, tu finiras par le perdre, comme les autres. Accepte que les gens voient ce que tu dissimules derrière ton masque de fille forte. C’est entre tes mains…

***

Mes larmes brûlent encore ma peau, mais j’ai quitté le ponton de bois, celui où je me suis retrouvé en tête à tête avec moi-même. Parfois, je me demande si le passé de Cathy est aussi douloureux et tenace que le mien. Moi j’ai choisi, je me suis planté, ai fait du mal autour de moi sans le vouloir, mais elle, qu’a-t-elle réellement choisi dans sa vie ? Pour moi, le destin était tout tracé… Tout le monde s’en foutait de ma passion pour le piano, la musique. Ses paroles résonnent encore dans mon esprit, seulement je ne parviens pas à visualiser précisément ce qu’aurait pu être son existence si elle avait eu l’opportunité d’écouter son cœur.

Le bruit de l’eau qui s’échoue sur le rivage… Mon errance solitaire la clope au bec m’a conduit du port de Sevrier à sa plage municipale, désertique en cette saison, en cette heure matinale. Alors, je ferme les yeux, les écouteurs de mon smartphone dans les oreilles, et me laisse porter par la voix de Véronique, si vibrante quand elle chante les mots de l’homme qu’elle a le plus aimé :

"Mais pour me comprendre, il faudrait connaître mes nuits

Mes rêves d’amour et puis mes longues insomnies

Quand vient le jour, la peur d’affronter la vie…" [3]

C’est la sonnerie de mon portable, celle qui couvre la voix de mon idole, qui me ramène durement à la réalité. Le restaurant, Isabelle sans doute. Il est temps de rentrer…

[3] Paroles extraites du titre "Pour me comprendre ", de Michel Berger, dédié à Véronique Sanson. Celle-ci le reprendra sur son album "D’un papillon à une étoile" (1999), hommage à l’artiste disparu.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Aventador ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0