1. Une vie banale

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Je l’ai découvert cet après-midi. Je suis un monstre. Comment tout a commencé ? Je l’ignore. Je me nomme Alighieri Chase, ma mère a toujours aimé l’extravagance. Mon prénom doit lui être passé par la tête alors qu’elle lisait la Divine Comédie. Elle est passionnée de littérature, elle m’a malheureusement contaminé. Ce n’est pas facile de trouver sa place au lycée lorsqu’on est affublé d’un nom original et quand on ne ressemble pas aux autres garçons de son âge. Pour faire simple ; disons que j’ai un physique à l’égal de mon prénom : atypique. Un corps de gringalet qui ne développera sans doute jamais aucun muscle, un visage fin et assez séduisant, des yeux émeraude hérités de ma chère mère et de longs cheveux blanc cendré. J’aime à me décrire comme un Elric de Melniboné moderne, un albinos moribond qui n’a pas encore déniché Stormbringer… du moins, pas jusqu’alors.

Ce matin-là avait été ordinaire, enfin presque. Une rentrée des classes banale durant laquelle les nouveaux élèves apprennent que tu es le fils de l’enseignante d’informatique… Ça aussi ; c’est un handicap supplémentaire. Comment te faire des amis quand tu es immédiatement catalogué comme chouchou du prof ? Encore heureux qu’il y ait Max. C’est le type le plus cool du lycée, le gars gentil qui côtoie tout le monde, parlemente avec les violents voulant te racketter, et t’accepte pour ce que tu es : un lycéen normal. Je ne comprendrai jamais pourquoi il traîne avec un paumé comme moi. Il n’aurait aucun mal à se fondre dans le sillage d’Alex, le Dom Juan de ses dames, ou à rejoindre les sbires de Yohan, la grosse brute du lycée. C’était d’ailleurs comme ça que la matinée avait commencé : en croisant ce con. Comme d’habitude, il m’a parlé une minute. Je ne l’ai pas écouté, de toute façon, c’était soit des insultes, soit des moqueries ; inutile d’y prêter attention. Et puis l’entièreté de mon sac s’était retrouvée éparpillée sur le trottoir. Je hais Yohan. Lui et ses potes se sont allègrement servis dans mes fournitures avant de s’envoler comme une nuée de sinistres corbeaux.

C’est alors qu’un ange m’est apparu. Louise… Elle était nouvelle dans le lycée et m’a immédiatement pris en pitié. C'est clair, jamais je ne pourrai éveiller en elle un autre sentiment que celui-ci. Elle m’a aidé à ramasser mes affaires étalées au sol et, avec un grand sourire, s'est présentée. Ce qu’il était beau ce sourire, franc, sincère, éclatant ! Soulignant son visage parfait aux pommettes joviales. Son petit nez retroussé, ses yeux en amande et ses longs cheveux noirs, elle était craquante. Et bien entendu, comme le nigaud que je suis, je ne parvins qu’à bredouiller un merci qui me fit sans doute passer pour un benêt. Alighieri, tu as encore loupé une occasion de te taire. La belle s’apprêtait à disparaître derrière la grille du lycée quand je fus pris d’une douce folie. Hélant son prénom, je me précipitai vers elle pour lui demander si elle voulait aller manger une glace avec moi à la fin des cours. Dans son sourire d’ange, elle accepta avec grand plaisir.

Rien ne pouvait, dès lors, me faire descendre de mon nuage. La belle Louise éconduisit Alex, l’informant qu’elle avait déjà des plans avec moi. Des plans avec moi ! Même la corvée de devoir manger en face de ma mère au réfectoire ne parvint pas à entâcher mon moral. Je l’aime de tout mon cœur, mais Lucinda n’a pas encore compris que je ne suis plus un petit garçon et que ce rituel me met mal à l’aise. Soit, je m’y suis plié avec plus de bonne volonté que d’habitude. Affichant une mine réjouie au lieu de mon sempiternel air renfrogné.

Le reste de la journée passa à la vitesse de l’éclair, sans doute parce que j’étais obnubilé par une seule chose : la glace que je dégusterais en charmante compagnie. J’adore l’école et je ne me vante pas en disant que je suis un élève des plus studieux, mais cette rentrée-là, la sonnerie annonçant la fin des cours fut une délivrance sans nom pour moi. À peine avait-elle retenti que je me précipitai à la sortie de l’établissement, impatient de retrouver ma belle. Les minutes passèrent, longues, interminables. Les lycéens défilèrent devant moi comme un troupeau de moutons pressés de rejoindre leurs pâturages. J’attendis patiemment que Louise arrive. Or elle tardait. La pluie commençait doucement à tomber, mais je n’y fis pas attention. Mon esprit était focalisé sur les visages qui se succédaient, à la recherche de mon ange. Puis le flux s’estompa à mesure que l’école se vidait. Mon cœur s’emplit alors d’une tristesse indicible. Qu’est-ce que je m’étais imaginé ? Qu’elle serait ma Cymoril ? Il ne fallait pas se leurrer, aucune fille comme elle ne sortait avec un paumé comme moi. J’étais stupide de m’être fait ce film.

C’est donc l’âme en peine que je suis reparti à la maison, sous la pluie. Pas de glace pour moi aujourd’hui… de toute façon, elle aurait eu un goût amer. Je traînais volontairement dans les rues de la ville quand soudain un cri retentit. Quelqu’un avait besoin d’aide. Je n’avais ni la carrure ni le courage de m’opposer à qui que ce soit. J’ignore encore quelle folie a traversé ma tête. C’était un autre moi qui s’engagea dans la ruelle ; convaincu qu'il pourrait faire quelque chose. Trois types s’en prenaient à une jeune fille. Ils avaient visiblement abusé de la bouteille et semblaient vouloir passer un peu de bon temps avec quelqu’un qui ne paraissait pas partager leur désir. Je m’apprêtais à rebrousser chemin quand je captai le visage de leur proie : Louise. Quelque chose se brisa au fond de moi et malgré le fait que les gaillards avaient une tête de plus que moi et trois tailles de biceps, je me suis époumoné pour attirer leur attention.

Arriva ce qui devait arriver, l’un des importuns me remarqua et son poing me vrilla la mâchoire. Je tombai au sol sous la violence du coup, mais aucune douleur ne m’irradia. Je ne sais pas ce que c’est d’avoir mal. Yohan m’a souvent passé à tabac, mais jamais je n’ai saigné, jamais je n’ai eu de bleu ou d’ecchymose. Je me redressai, prêt à subir le nombre de beignes qu’il faudrait pour venir en aide à Louise quand le type devant moi blêmit. Il baissa doucement les yeux et machinalement, je l’imitai. Je n’aurai jamais dû. Quelque chose l’avait empalé, du sang coulait abondamment et je compris bientôt que le projectile qui lui avait perforé le ventre, c’était mon propre bras. En tout cas, le truc couvert d’écailles autrefois blanches, semblait rattaché à mon corps, car lorsque j’ordonnai à mon cerveau de le bouger, l’appendice étranger lui obéit, dévoilant une main maculée d’entrailles. Alors que le premier type s’effondrait au sol, je me ruais sur les deux autres, lacérant d’un coup de griffe le premier et projetant assez d’hémoglobine sur son acolyte pour le faire fuir en hurlant de terreur. Louise s’était évanouie et je restai de longues minutes à tenter de comprendre ce qu’il s’était passé. Je regardai ces mains inconnues qui venaient d’ôter la vie puis mon regard se posa sur ce qui semblait être mon reflet dans une flaque d’eau. En tout cas, à cet instant, j’espérais que ce fut le cas, sinon, ça aurait voulu dire que je me trouvais en présence d’un démon hideux. Une créature musculeuse couverte d’écailles blanches avec deux grandes ailes décharnées attachées dans le dos. Je ne reconnus ni mon visage ni mes yeux. Seuls mes cheveux n’avaient pas subi de métamorphose. Je sentis mon cœur s’accélérer à mesure que la vérité se frayait un chemin dans mon cerveau : je suis un monstre.

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