2. Et Après ?
Ma tête tournait atrocement comme après une horrible cuite, et la nausée ne tarda pas à me révulser l’estomac. Je n’osais pas regarder les cadavres encore chauds qui gisaient au sol. Mon cœur battait à tout rompre dans ma poitrine et je dus m’efforcer de respirer pendant plusieurs minutes afin de retrouver un semblant de calme. Mes mains reprirent peu à peu leur apparence naturelle, seul le sang qui les maculait témoignait de ma culpabilité. Que faire ?
Je sursautai en entendant au loin une sirène de police hurler. Ils venaient pour moi, ils allaient m’arrêter, m'emprisonner. Après tout, n’était-ce pas ce que je méritais ? Mon cerveau refusait d’analyser convenablement la situation et ma raison me chuchotait de fuir, d’abandonner les lieux du crime. Mon regard se posa sur Louise évanouie au sol. Il est des moments dans sa vie où l’on doit se comporter comme un homme et plus comme un enfant. La main tremblante, j’attrapai mon téléphone et composai un numéro. Je reconnus à peine le son de ma voix : monocorde, chevrotante. J'expliquai le plus calmement possible à l’opératrice qu’un incident s’était produit. Je me surpris à détailler avec minutie le lieu exact où l’on pourrait me trouver. J’implorais qu’on y fasse venir une ambulance et après un long moment d’hésitation, j'avouai qu’il y avait deux morts. Je préférai, cependant, taire que j’étais l’auteur de ce massacre.
J’attendais les secours, le cœur battant, sachant que la police serait également présente. Mes pensées se tournèrent vers ma mère. Lucinda ne s’était déjà pas remise de la perte de mon père alors que j’étais tout bébé. Elle ne m’a jamais dit ce qui l’avait emporté, c’était le seul sujet à ne jamais aborder en sa présence. Je n’osais imaginer comment elle allait réagir quand elle apprendrait que son fils est un assassin. Je sentis mes yeux s’emplir de larmes lorsque je lui rédigeai ces quelques mots : « Je t’aime maman. Pardonne-moi. » Je m’apprêtais à envoyer le SMS au moment où une sirène retentit à quelques rues de là. Le moment était venu de prendre ses responsabilités. Je lâchai un soupir résigné puis effaçai, l’une après l’autre, les lettres écrites sur mon téléphone. Il aurait été cruel qu’elle l’apprenne ainsi.
L’ambulance ne tarda pas à arriver et la ruelle autrefois calme se transforma en fourmilière. Il y avait un monde fou, des médecins, des infirmiers, des policiers, des légistes. On m’entraina à l’écart de tout ce remue-ménage. Trop de pensées tournaient dans ma tête, j’obéis docilement. Je pense que j’ai bien dû attendre une heure ou deux assis à l’arrière d’un fourgon, ressassant mes erreurs et retournant sempiternellement la même question : qu’est-ce que je suis ? Ainsi perdu dans mes songes, je sursautai lorsque la porte s’ouvrit sur un jeune homme. Il me salua d'un sourire avenant. Tout ce que je remarquai, c’était son horrible petite moustache. C’est dingue comme on se raccroche à des détails sans importance quand son cerveau refuse d’analyser une situation ! Le type se présenta et mon cœur loupa un battement : Inspecteur James Ambrose. Il n’était pas venu là pour me réconforter. Il commença par me dire que Louise allait bien, mais très vite, il insista pour connaître le déroulement des faits.
Ma bouche devint alors pâteuse. La nausée revint à la charge, plus puissante que jamais. Je regardai le sang sur mes mains qui depuis lors avait séché. Je ne prononçai qu’une phrase « Je les ai tués. ». Je me levai brusquement et bousculai l’agent de police afin de vomir le contenu de mon estomac ailleurs que dans le fourgon. J’étais un assassin, un monstre et je ne m’expliquais pas ce qu’il s’était passé. J’étais en train de reprendre mon souffle tout en m’essuyant la bouche lorsque l’homme le plus charismatique que je n’avais jamais vu apparut.
J’ai toujours trouvé que Max avait une étrange prestance qui fascinait, mais ce n’était rien comparé à ce nouveau venu. Il semblait vampiriser la lumière alentour. Entièrement vêtu de noir, il arborait une impressionnante crinière de jais. Ses yeux étaient deux saphirs dans les ténèbres. Il me demanda d’une voix grave et profonde si c’était moi qui avais fait ça. Incapable de parler, j’acquiesçai. L’inconnu se tourna alors vers l’inspecteur et lui déclara que les deux gars étaient à lui. Mon cœur se mit à battre avec frénésie lorsque j’entraperçus le tatouage qu’il avait sur le poignet : la pègre. Mon dieu, j’avais tué deux hommes de la pègre. J’étais mort.
Le baron semblait au-dessus des lois. Il ordonna au policier de classer l’affaire sans suite et ce dernier s’exécuta. Je n’ai rien pu faire, en moins d’une minute, je me suis retrouvé seul avec ce type. La ruelle était totalement nettoyée, plus un flic, plus un médecin. J’ai eu beau tenter d’en retenir un ou deux, rien n’y fit. J’étais au pied du mur, je m’étais un peu préparé à ce qui pourrait advenir, l’arrestation, la prison et tout ça. Certainement pas à être exécuté par le parrain de la mafia locale. Je le fixais bêtement, ne sachant plus quoi penser quand il me félicita pour ce massacre. Il m’expliqua qu’il avait passé une bonne partie de sa vie à me chercher, qu’on était pareil lui et moi.
Je m’apprêtais à clamer le contraire lorsque son bras se couvrit d’écailles presque semblables à celles que j’avais vues sur ma peau, sauf qu’elles étaient noires. Il me tendit sa carte de visite, m’invitant à le contacter dès que je serais prêt à en savoir plus sur moi. Puis il tourna les talons et partit dans la nuit.
Je restai de longues minutes à regarder le carton s’imbiber de gouttes de pluie. Rejoindre la pègre et en apprendre plus sur ce que j’étais vraiment. La proposition était tentante. Un éclair de lucidité me traversa alors l’esprit. J’étais un lycéen ; un type banal qui se faisait rudoyer par Yohan et ses acolytes. Un gars qui craquait pour la petite nouvelle et qui espérait au fond de son cœur que ce m’as-tu-vu d’Alex ne la rajoute pas, elle aussi, à son tableau de chasse. Ce qui était arrivé ce soir dans cette ruelle n’était qu’un accident. Je n’étais pas un tueur. Je déchirai la carte avec violence et la laissai tomber au sol.
Je mis de longues semaines à faire comme si rien ne s’était passé. À enfouir cette nuit au plus profond de mon âme. À taire cet odieux souvenir qui hantait à présent mes cauchemars. Mais je pris peu à peu conscience que je n’étais pas un lycéen comme les autres. Il m’arrive d’avoir des remords et de me demander ce qu’il se serait advenu si j’avais rejoint ce type charismatique que j’avais rencontré. J’aurai peut-être su qui j’étais. Mais je sais déjà qui je suis… un monstre.
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