Pétra Prussova
L’incident de l’appareil photo sombra dans les limbes de l’oubli. Augustin reprit son isolement dans son laboratoire et Océane retourna en cours. Le père devait être sur une idée entêtante puisqu’il s’enfermait des jours durant ; la musique de son poste radio chantait du soir au matin. La jeune fille savait que pendant ces périodes, il convenait de le laisser tranquille. Elle déposait son repas chaque jour sur une petite table devant la porte et reprenait le plateau vidé quelques heures plus tard. La routine était revenue, mais, à chaque fois qu’elle sortait de chez elle ou qu’elle rentrait, Océane ne pouvait s’empêcher de jeter un œil inquiet vers l’océan. Le Lorien ne s’était plus jamais montré, mais l’angoisse demeurait.
Elle avait oublié son idée de récupérer la pellicule de son défunt appareil afin de porter la photo aux autorités. Inutile de prendre des risques pour si peu. Elle avait peut-être rêvé, le cliché était sans doute flou et inexploitable. Cependant, ce plan revint au galop lorsque, durant le cours de philosophie, leur instituteur leur parla des héros.
Il avait demandé à la classe de lui citer des noms célèbres, les plus connus fusèrent et soudain, Sarah en lança un qui interpella l’enseignant :
- Pétra Prussova.
- Ah ! s’exclama le professeur, voilà une héroïne intéressante ! Sarah, peux-tu nous raconter son histoire ?
- Elle a construit en secret un avion afin de découvrir ce qu’il y a au-delà de Monteterre. Elle est revenue en nous apportant des technologies qu’elle avait apprises en explorant le monde.
- Cependant, continua le professeur, après son retour, elle détruisit son engin et les plans annihilant à jamais la possibilité de quitter l’île. Pourquoi ?
Chacun exposa sa propre théorie : entre l’égoïsme et le dégoût de ce qu’elle avait vu là-bas. L’enseignant fit taire la classe pour poser sa question :
- Plus intéressant : que se serait-il passé si les autorités avaient découvert son projet ?
L’interrogation fit l’effet d’un électrochoc à Océane. Pétra Prussova avait enfreint les règles pour le bien de la communauté. Elle-même savait des choses qui pourraient modifier le cours de l’Histoire. Et si le Lorien qu’elle avait vu préparait une invasion ? Ou les prémices d’une attaque imminente ? Elle détenait un secret qui pourrait changer la vie sur Monteterre. Elle prit alors la décision de droguer son père afin de récupérer la pellicule. Et elle le ferait le soir même.
***
Les certitudes qu’elle avait eues durant le cours de philosophie s’effritèrent lorsqu’elle dût passer à l’action. Océane avait réduit en poudre les médicaments, mais ne trouva pas le courage de les ajouter au repas du soir. Elle avait posé le plateau sur la petite table avec un sentiment profond de défaite.
Elle n’était pas Pétra Prussova, elle n’avait pas sa détermination. Elle se répétait que la photo devait être floue pour atténuer sa couardise. Est-ce que l’héroïne s’était dit que son avion ne volerait jamais ? Et que serait-il advenu d’elle s’il n’y avait rien eu par-delà l’océan ? Elle avait dû se poser un milliard de questions ; bien plus importante que de savoir combien de pilules fallait-il pour endormir son père ou la qualité de sa photo. Elle avait risqué sa vie, et plus d’une fois. Les autorités l’auraient fait exécuter s’ils avaient découvert ce qu’elle tramait. Elle serait morte, seule en mer dans l’indifférence générale si son appareil l’avait lâchée.
Toutes ces pensées la réconfortèrent. Elle prépara un café corsé dans lequel elle versa la totalité des cachets qu’elle avait réduits en poudre. Elle fouilla le frigo à la recherche d’un truc à ajouter au mélange pour atténuer l’amertume et dénicha un peu de lait de noisettes. Sa mixture prête, elle frappa à la porte du laboratoire.
- Papa, je sais que tu vas encore travailler tard. Je t’ai préparé un bon café.
Augustin ouvrit brusquement, un doux sourire aux lèvres. Il s’empara de la tasse et l’engloutit d’une seule traite.
- Merci ma princesse, déclara-t-il. J’en avais vraiment besoin.
Il repartit travailler sans rien ajouter de plus. Il n’avait pas remarqué la main tremblante d’Océane ni son visage figé alors qu’il buvait. Elle s’étonna de la facilité avec laquelle son plan s’était déroulé.
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