Chapitre 6 : Reculer pour mieux sauter

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Hector s’était laissé envahir par une colère qui ne faiblissait pas. D’abord un inconnu qui avait mutilé Angélique, avec l’aval malveillant d’Alban, puis, maintenant, cette nouvelle, cette trahison de son ami le plus fidèle depuis bientôt trente ans. L’Aston-Martin roulait à vive allure, sur une route de campagne, son conducteur absorbé dans ses pensées. Il fallait maintenant prendre une décision, avancer, trouver des réponses. Hector se résolut à s’occuper du cas le plus urgent, Angélique, qui comptait vraisemblablement sur lui. Remonter à la source. Qui avait pu commettre cette horreur ? Qui avait pu avoir la bénédiction de ce fou à lier qu’était devenu Alban ? Ce monstre devait avoir des connaissances avancées en médecine. Une connexion avait dû se faire entre deux complices pervers et dérangés. Et quelque malheureuse devait s’être réveillée, à l’inverse d’Angélique, en ayant perdu la vie qu’elle avait portée pendant quatre mois, jusqu’à ce moment dramatique. Par où commencer ?

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De son côté, Fred avait mis à profit tout le temps du retour passé dans un train pour réfléchir à la situation. Comment pouvait-elle être sa fille ? Chercher des réponses. Commencer par le commencement. Elle avait quinze ans, environ. Quelle date ? Non, ça n’avait pas d’importance. Il lui fallait remonter en arrière, donc, entre quinze et seize ans en arrière.

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L’avion venait d’atterrir, Fred y avait pensé pendant presque toute la durée du vol. C’était la première fois qu’il allait les revoir depuis six mois, c’était la première fois qu’il se rendait là-bas. Le voyage lui avait été offert, à la demande de Maureen et Paul, ses enfants, par le nouveau mari de Sharon, son ex-femme. Pour leur septième anniversaire, quatre mois plus tôt, les jumeaux avaient eu le droit de choisir le plus extraordinaire des cadeaux de Noël ; ils avaient choisi une semaine de ski avec leur père. Leur vœu avait été exaucé, et voilà que Fred se présenta à un chauffeur qui l’attendait aux arrivées.

— Je m’appelle Argyle, répondit le jeune afro-américain qui semblait un peu perdu.

— Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ? demanda Fred, un rien amusé.

— Ben, à vrai dire, j’espérais que vous me le diriez, c’est la première fois que je fais le chauffeur.

— Égalité, c’est la première fois que j’ai un chauffeur…

À la surprise d’Argyle, Fred jeta son sac sur la banquette arrière et s’installa à côté de lui, à l’avant de la limousine.

Durant le trajet jusqu’au chalet, les deux hommes avaient échangé quelques banalités, sur le temps qu’il faisait, sur la vie de famille, les clichés sur la France vue par les Américains.

— Alors, c’est quoi, votre histoire ? demanda le jeune chauffeur.

— Ma femme a eu une opportunité professionnelle, du genre qu’on ne peut pas refuser. Mais il fallait qu’elle revienne aux US.

— Et pourquoi vous ne l’avez pas suivie ?

— J’étais militaire, et j’avais encore une année de contrat avec l’Armée Française.

— En d’autres termes, vous vous êtes dit qu’elle allait se planter et qu’elle reviendrait vers vous en rampant, c’est ça ? Alors pourquoi faire vos valises, hein ?

— C’est bien Argyle, vous comprenez à demi-mots…

En arrivant à destination, Argyle se voulait confiant pour son passager.

— Je vais vous dire comment ça va se passer. Votre femme retombe amoureuse de vous, elle rentre avec vous en France, et vous vivez heureux jusqu’à la fin de vos jours.

— J’achète le scénario.

— Et si les choses ne se passent pas comme prévu, vous savez où dormir ? Tenez, je vous laisse ma carte, vous n’aurez qu’à m’appeler.

— Vous êtes sympa, Argyle.

— Tâchez de ne pas l’oublier au moment du pourboire !

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Les jeunes enfants avaient sauté dans les bras de leur père, qu’ils se languissaient de revoir depuis six mois et leur dernier voyage en France. Sharon ne s’était pas plantée, sa carrière avait pris un nouvel envol, le divorce avait été demandé, puis prononcé, et elle s’était remariée avec Frank, un avocat spécialisé dans les affaires financières. Cependant, elle gardait de l’affection pour son ex-mari, dont elle savait à quel point il restait proche des deux jumeaux. Elle avait insisté pour qu’il vienne les rejoindre pour les fêtes.

La veillée de Noël se profilait, mais ce soir, Frank avait réservé la meilleure table de la petite station de montagne, et se faisait une joie d’un dîner à la française quelques jours avant le réveillon. On repartit après le repas, il fallait se reposer, une journée de ski attendait tout le monde dès le lendemain.

Une quantité incalculable de descentes et de remontées avait occupé tout le petit groupe pendant la matinée passée sur les pentes enneigées. L’après midi, Frank invita Fred à le suivre au sauna, pour une séance détente, avec quelques-unes de ses connaissances.

— Fred, laissez-moi vous présenter un ami, qui vient ici chaque année, le docteur Bernard Ashcroft.

— C’est un plaisir. Fred Wagner.

— Enchanté, Bernie Ash. Alors, Frank me dit que vous venez de France ? Que faites-vous, là-bas ?

— J’ai ouvert une sorte de bar, il y a trois ans et demi, et je m’occupe, je suis une sorte de retraité.

— Retraité ? Si jeune !

— Fred était dans l’armée, expliqua Frank, il a servi en Yougoslavie.

— Ça alors ! Moi aussi, j’ai servi là-bas. J’étais médecin militaire dans les forces de l’OTAN. Une tragédie, n’est-ce pas…

Fred n’aimait guère évoquer ces souvenirs, mais le docteur était demandeur. Probablement quelque moyen d’évacuer des traumatismes résiduels de cette période sombre.

Les trois convives convinrent de se retrouver au même endroit le lendemain, après leur nouvelle journée de ski. Cette idée n’enchantait guère Fred, qui eût préféré passer davantage de temps avec ses enfants, mais ceux-ci avaient déjà programmé une séance de cinéma pour ce même moment, en ville, à une trentaine de kilomètres de là.

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Alors que la deuxième journée de ski avec Paul et Maureen avait été un délice pour Fred, celui-ci accompagna donc Frank au spa. Une note les y attendait, les prévenant que le docteur Ashcroft serait un peu en retard, une consultation inattendue l’ayant retenu contre son gré. Frank et Fred se dirigèrent vers le bar et partagèrent une bière en attendant.

Bientôt, un grondement sinistre se fit entendre, inquiétant tous les usagers du spa, à qui l’on conseilla de ne pas quitter le bâtiment. Une avalanche était en train de sévir, et se trouver dans la rue au moment où elle frapperait relèverait du suicide. La sécurité relative offerte par le bâtiment se révéla bien faible lorsque la neige pénétra par chaque ouverture disponible, envahissant chaque centimètre cube, arrachant tout sur son passage.

Seuls les murs restaient debout, la panique avait gagné la plupart des occupants, les blessés attendaient maintenant les secours. Fred sentait une douleur vive à la jambe droite, son bras était coincé entre deux masses dont il ne pouvait déterminer la nature, son espace vital s’était réduit à sa plus simple expression, quand il tenta en vain de se dégager.

— Viens me voir à Los Angeles, se dit-il avec cynisme, imitant une caricature de la voix de Sharon. On fêtera Noël en famille, on fera la fête !

Agacé, il reprit sa propre voix en essayant de nouveau de se frayer un chemin dans les décombres.

— Maintenant je sais ce que ressent un lapin dans son terrier.

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Sortant de l’hôpital où il avait passé quatre jours à soigner une luxation du genou et une hypothermie, Fred avait offert leurs cadeaux à Paul et Maureen avec deux jours de retard, et, déjà, l’avion l’attendait pour rentrer au pays. Merveilleuses vacances de Noël !

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À quelle occasion Alban avait-il pu rencontrer un médecin aussi malveillant, ou plus simplement, un illuminé avec suffisamment de connaissances médicales pour pratiquer une telle transplantation ? Cette question torturait l’esprit d’Hector qui filait au volant de son bolide anglais vers le centre opérationnel. Il fallait commencer par reprendre ce qu’on connaissait du parcours d’Alban, ou de François, en remontant le temps depuis son arrestation de Santa Monica. Il fallait faire des recoupements, consulter des bases de données, il fallait les compétences d’un analyste. Hélas, Bruno n’était plus là pour apporter son aide. Fallait-il trouver et engager une nouvelle personne ? En avait-on seulement le temps, d’en chercher une, d’en former une, en particulier à ces activités plus ou moins souterraines ?

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