Dans le Sable et la Boue

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 Quatre mots qui me brûlèrent au plus profond de mon être. Comment était-ce possible ? La révolte, le combat de mon peuple, terminée ? Si vite ? Sans que je ne puisse y prendre part ? Cette idée ne m’avait jamais effleuré, quelques temps auparavant je m’imaginais menant ma propre révolte pour rejoindre ensuite celle de l’Aigle et lui prouver ainsi ma valeur.

 J’étais jeune, rempli d’orgueil et d’ignorance, sur le monde et sur l’existence en elle-même. Mais j’allais apprendre, beaucoup de choses.

 Le pays était donc tombé en moins de trois mois, mettant fin à la révolte, et j’appris alors ce qui fut la première pierre de mes connaissances dans le domaine de la géographie : le pays dans lequel j’étais né était minuscule. Il était prospère et relativement paisible quand les esclaves se tenaient tranquille mais néanmoins d’une taille ridicule si on le comparait à ses voisins. Voisins qui, je l’appris également assez rapidement, pratiquaient également l’esclavage des naturas. La révolte était terminée, mais notre peuple n’était pas encore libre : bientôt allait commencer la guerre. C’est cette guerre qui a fait de moi ce que je suis aujourd’hui, cette guerre qui a duré tant d’années et qui, telle une mère, m’a vu grandir et devenir un homme.

 Il me fallu deux ans avant de pouvoir goûter à mon premier vrai combat, deux ans passés à me former auprès d’un véritable maître de guerre, un rescapé de l’arène qui avait, selon les rumeurs, remporté plus d’une centaine de combats singuliers. C’était un héritier du taureau ce qui lui avait conféré une carrure impressionnante ainsi qu’une paire de cornes noires sur le crâne. Nous autres, ses élèves, devions l’appeler « commandant » mais entre nous nous l’appelions le Cornu, ce qui lui allait beaucoup mieux. Je n’ai jamais vraiment su ce qu’il valait réellement en tant que guerrier, mais en tant qu’instructeur c’était un véritable démon. Un démon extrêmement doué mais tout de même impitoyablement brutal avec ses élèves. Nous étions une cinquantaine à être sous sa responsabilité et il avait pour instructions de faire de nous de véritables soldats, capables d’obéir, de se battre et de survivre. Il était particulièrement insistant sur ce dernier point, il disait que le devoir d’un guerrier, quel qu’il soit, n’était pas de tuer l’adversaire qui se trouvait en face de lui, mais de tuer l’adversaire qui était le plus proche et de survivre pour passer au suivant. Avec le recul cela me surprend, mais il m’a fallut longtemps pour comprendre pourquoi il faisait la distinction entre « l’adversaire qui se trouvait en face » et « l’adversaire qui était le plus proche ». Cet homme savait mieux que quiconque qu’il n’y avait pas plus d’honneur sur un champ de bataille que sur le sable des arènes où il avait tant fois couler le sang de ses frères.

 Nous avons appris beaucoup à ses côtés, notamment l’histoire du Loup Noir et de l’Aigle de Feu, comme on les appelle à présent. L’initiateur de la révolte était un esclave qui avait le don de magie et qui avait réussi à le cacher pour éviter l‘exécution qui attend d‘ordinaire les esclaves ayant le don. Dans le plus grand secret il avait fait croître ses pouvoirs et s’en était servi pour organiser un soulèvement simultané de tous les gladiateurs. Sa magie destructrice avait conduit à l’anéantissement d’un nombre incalculable d’humains, le feu dévastant les arènes et réduisant en cendres les soldats par bataillons entiers. C’est dans le palais du roi qu’il avait rencontré le Loup, qui à l’époque était le garde du corps du souverain. Après des années passées côte à côte le roi avait finit par oublier que celui qui s’assurait de sa protection était un esclave lui vouant une haine sans pareille pour la mort des siens. Lorsque les gladiateurs pénétrèrent le palais ce fut le Loup qui massacra la garde royale et éviscéra le roi. Par la suite il fit profiter L’Aigle de toutes les connaissances qu’il avait glanées pendant ses années au palais et devint son premier général, commandant en chef de ses forces.

 Lors du premier jour où nous eûmes le Cornu comme professeur il nous fit tous mordre la poussière, parfois plusieurs en même temps, lors de notre dernier jour d’apprentissage nous fûmes dix-sept, moi compris, à réussir à le vaincre. Nous avions cependant suffisamment de cervelle pour savoir qu’un adversaire dont nous ne connaîtrions rien et avec une vraie volonté de nous tuer serait d’une toute autre catégorie, cela aussi il nous l’avait appris.

 La veille de notre départ pour le front je suis allé le voir pour discuter et il m’avoua qu’il était content de ce qu’il avait fait de moi et de mes camarades mais que cela lui avait prit bien trop de temps pour qu’il se considère véritablement comme un bon instructeur. Même s’il ne me l’a pas dit ce soir-là, je sais qu’il réfléchissait déjà à repartir se battre en première ligne et que sa décision finale dépendrait de sa prochaine fournée de recrue. En retour de son aveu, sans trop savoir pourquoi, je lui ai parlé de cette jeune tigresse que j’avais rencontrée un jour de printemps. Il fut franc avec moi : à ma place il aurait fait la même chose, car c’était ce qu’il y avait de mieux à faire, mais qu’il avait une vie de tueries derrière lui pour justifier son raisonnement

- Si tu survis à ta première bataille, tu feras de grandes choses.

 Tels furent les mots qu’il m’adressa lorsque je lui fis mes adieux. Il ne vint pas saluer la compagnie lorsque nous partîmes tous ensemble le lendemain matin, il s’occupait déjà de ses nouveaux élèves, probablement encore plus durement.


 Alors que nous progressions vers le front je fis tout pour ne rien apprendre de la situation actuelle. Je ne voulais rien savoir, il y avait une guerre contre un pays dont j’ignorais même le nom et qui asservissait mon peuple, je n’avais besoin de rien d’autre.

 Oui, à l’époque j’étais un jeune soldat stupide, ignorant et obéissant. Je n’en suis pas particulièrement fier mais j’imagine que de très nombreux combattants commencent par ce stade là. En tout cas, pour mon ego, je l’espère.


 Notre marche fut longue, nous étions nombreux à aller au combat, ce qui impliquait beaucoup de logistique et nous ralentissait considérablement. Chaque nuit qu'on passait à la belle étoile était plus agaçante que la précédente : je voulais me battre ! J’avais réussi à contenir mon impatience pendant deux ans mais ce temps perdu à avancer était en train d’avoir raison de mes nerfs. C’est un véritable miracle que je ne sois pas devenu fou furieux avant de finalement arriver sur le champ de bataille.

 Malgré mon apprentissage avec le Cornu je n’avais pas réussi à me défaire de l’image première que j’avais d’une bataille, à savoir les deux camps qui se foncent dessus et qui transforment aussitôt la scène en un hymne au désordre sanglant et brutal. Il nous avait enseigné des tactiques de combat mais également des tactiques militaires et j’avais beaucoup de mal à assimiler les secondes. D’ailleurs je me demande encore comment un gladiateur pouvait en connaître autant sur l’art de la guerre.

 Pour notre première bataille nous devions servir de support et de troupe d’embuscade, une autre unité allait subir un assaut des plus rudes et battre en retraite dans une imitation de débandade, lorsque leurs assaillants les poursuivraient - il n’y avait apparemment aucun doute qu’ils le feraient - nous devions les charger par le flanc et les exterminer au plus vite pour ensuite continuer le combat ailleurs. Notre part de la tactique mise en place était extrêmement simple, mais je n’étais pas très confiant. Je connaissais chacun de ceux qui allaient se battre avec moi : ils étaient forts mais, tout comme moi, encore jeunes et inexpérimentés. En cet instant j’ai réellement eu peur que notre compagnie échoue à la première tâche qui lui était confiée.

 Les événements du lendemain allaient me donner des raisons bien différentes de douter de l’avenir.


 Comme prévu nous avons chargé en hurlant de féroces cris de guerre, prenant le bataillon ennemi par surprise et brisant leurs lignes en un instant. Déjà à l’époque je me battais avec deux grands fendoirs que je faisais virevolter dans les airs et violemment s’enfoncer dans les chairs. Ce ne sont pas les lames qui ont contribué à ma réputation actuelle, mais elles m’ont bien servi pendant mes premières années de lutte, avec leur équilibre discutable et leur tranchant sans pareil.

 C’était mon premier vrai combat, mais je me sentais détaché de la scène, comme si mon corps frappait avec automatisme pendant que mon esprit observait la scène, coincé derrière mes yeux. Les humains tombaient les uns après les autres sous mes coups et ceux de mes frères, ils ne faisaient pas le poids face à la fureur vengeresse des naturas. Ils étaient condamnés.


 Ou du moins ils l’étaient jusqu’à l’arrivée inopportune de renforts à cheval. Une petite troupe de cavaliers chargea dans la mêlée sans la moindre considération pour leurs alliés à pied et, bien évidemment, sans la moindre pitié pour nous autres. Si je pus éviter de me faire piétiner ou renverser, c’est une chance que nous fûmes peu à partager, le choc ayant été particulièrement violent. Ignorant les cris de mes camarades je me suis jeté sur un de ces cavaliers, bien décidé à lui faire goûter mes lames.

 Puis, ce fut le noir.

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