Ainsi passe la Gloire

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 Au cours de ma vie il m’était déjà arrivé d’être assommé, principalement pendant mes deux ans d’entraînement, mais ce n’était pas la même chose. Lorsque je me fais assommer il y a une sorte de flash sombre puis je me réveille avec un sérieux mal de crâne et je découvre les changements de décor qui ont eu lieu pendant mon inconscience. Ce noir qui m’a entouré à cet instant était beaucoup plus persistant et je suis resté dans cette obscurité pendant ce qui m'a semblé être des heures, sans comprendre, sans pouvoir bouger ou émettre un son.

 J’ai été particulièrement troublé au début, puis lorsque j’ai accepté l’idée que je ne pouvais rien faire, je me suis mis à attendre. Je me disais que les explications finiraient bien par arriver à un moment ou un autre, il n’y avait rien dans la situation où j’étais l’instant d’avant qui justifiait cet état. Je n’ai même pas envisagé la possibilité que je sois mort, l’idée que mon trépas arrive sans que je ne l’aie vu venir me paraissait trop ridicule.

 Oui, je n’avais pas encore réglé mon problème d’orgueil.

 J’ai finalement ouvert les yeux allongé sur une paillasse, dans la grande tente qui servait d’hôpital de campagne. Mon premier réflexe a été de vérifier si mes crocs d’araignée étaient toujours là, mais j’ai alors constaté que j’étais solidement ligoté, les bras le long de mon corps. Néanmoins je ne ressentais pas de douleurs particulières mises à part celles qu’entraînait l’inconfort de ma situation, je devais donc être à peu près entier.

 Sans trop élever la voix - j’étais quand même dans un hôpital - je me suis mis à réclamer un peu d’attention et également quelques explications sur mon étrange situation. Je fus particulièrement surpris lorsque quelques instants après qu’un des médecins m’ait remarqué le Loup Noir en personne est venu à mon chevet. Il portait son armure, qui était parsemée de tâches de sang séché, mais avait déposé sa vouge sur le râtelier à l’entrée de la tente. Je fus une fois encore impressionné par la force tranquille qu’il dégageait lorsqu’il n’était pas en train de combattre l‘humanité et l‘esclavagisme.

 De sa voix rauque il m’expliqua lentement ce qui m’était arrivé, au beau milieu du combat j’étais soudainement devenu fou furieux, je m’étais déchaîne, massacrant à tour de bras les cavaliers ennemis et leurs si fragiles montures. Pendant un instant mes camarades avaient cru que j’avais été emporté par le sang, mais en l’absence de changements physiques cela ne pouvait être ça. Pourtant, sans me soucier de ma propre vie, j’avais décimé les rangs ennemis à une vitesse prodigieuse et une effrayante sauvagerie et, d’après le Loup, sans l’intervention providentielle d’un des rares mages de notre armée j’aurais assurément continué mon bain de sang parmi nos propres forces.


 J’étais un berserk, un homme devenant incontrôlable lorsque la furie du combat pénétrait son esprit, le rendant sourd à toutes formes de raison. Incapable de penser à sa sécurité, à sa survie ou même à la notion d’alliés. Certains récits font même mention de guerriers berserk ayant continué de lutter même après avoir reçu de multiples blessures mortelles.

 Cette nouvelle fut un choc : si je ne pouvais me contrôler après quelques minutes d’un véritable combat, comment pourrais-je me battre ? Nous n’avions pas assez de mages dans nos rangs pour en assigner un à ma surveillance lorsque je combattais ! J’allais être relégué à l’intendance, et bien que cette décision eut été parfaitement logique elle ne me plaisait pas du tout. Je voulais la liberté et la grandeur pour notre peuple, si pour y parvenir il avait fallu que je creuse des latrines pendant toute ma vie je l’aurais fait, mais cela m’aurait anéanti.

 Alors que j’étais sur le point de sombrer dans le désespoir le Loup me proposa une solution bien plus reluisante que ce que j’avais commencé à imaginer. Une solution que j’avais décidé d’accepter avant qu’il ne l’énonce.

 Lors d’une guerre il n’y a que trois types d’individus qui se battent. Attention, qu’on ne me fasse pas dire ce que je n’ai pas dit, bien sûr qu’il y a bien plus de gens qui sont essentiels à la lutte, que ce soit les médecins, les armuriers, les cuisiniers, les cartographes, les putains à soldats… Tous participent à la force que représentent une armée et jamais je n’ai minimisé l’importance de leur présence. Non, là je parle de ceux qui ont du sang sous les ongles, ceux qui tuent et risquent directement leur vie.

 Les premiers sont les plus évidents : ce sont les soldats. Qu’ils fassent partie des fantassins de première ligne, des cavaliers en armure, des archers ou de nos trop rares mages de guerre, ils sont sur le front en train de se battre dans la boue, de tuer sur le champ de bataille et de mourir pour la cause en laquelle ils croient.

 Parfois pour certains c’est juste pour l’or ou pour le plaisir, mais pour la guerre à laquelle je fais référence je préfère croire que c’était pour la cause.

 À l’opposé on trouve les agents. Espions et assassins, ils opèrent loin du front en plein territoire ennemi, dans les couloirs des palais et des places fortes, glanant des informations et frappant du poignard ceux qui représentent un danger pour nos forces. Pour eux il n’y aura jamais ni honneur ni gloire, juste la froideur de la mort qu’ils donnent et risquent à chaque instant de la vie qu’ils mènent. Ils le savent et vivent avec.

 Et entre ces deux extrêmes se trouvent la catégorie que j’ai rejointe suite à la découverte de mon petit travers mental : les commandos. Nous agissons juste derrière les lignes de front, attaques nocturnes, destructions des entrepôts de vivre, anéantissements des voies de ravitaillement, embuscades… Tout est bon pour affaiblir l’armée ennemie et saper son moral. Nos frappes sont réfléchies, expéditives et, quand tout se passe bien, à sens unique, ce qui réduit grandement les risques que je subisse une crise de folie sanguinaire.


 Si l’on excepte cette bataille où j’ai été diagnostiqué j’ai passé toute ma carrière militaire au sein des commandos. Une longue, prolifique et sanglante carrière.

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