Unis par le sang versé

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  J’avais donc rejoint la première unité d’opérations spéciales de notre armée, menée par un héritier du lion particulièrement désagréable et imbu de sa personne, et nous menions des opérations à l’impact assez variable, parfois dérisoire, parfois relativement conséquent. Parmi la dizaine de naturas composant notre unité, je m’étais lié d’amitié avec deux de mes collègues : Natsis et Remd.

 Le premier était également un héritier du sang de l’araignée et son héritage était plus discret encore que le mien mais en revanche il était également handicapant. Il possédait à l’intérieur de la gorge des glandes qui lui permettaient de sécréter de la toile par la bouche, ce qui pouvait être utile dans certaines situations. Le problème était que ces fameuses glandes avaient fini par trop se développer et par empiéter sur ses cordes vocales, ainsi il parlait avec beaucoup de difficulté et le comprendre n‘était pas toujours chose aisée.

 Malgré ce petit défaut de communication c’était un combattant doué et ne manquant ni d’inventivité ni de bravoure.

 Le second était un héritier du requin qui avait les mâchoires les plus impressionnantes qu’il m’ait été donné de voir de ma vie entière. Nous avons commencé à nous apprécier après qu’il m’ait sauvé la vie lors d’un raid nocturne. Je m’étais fait repérer par une sentinelle en patrouille qui avait l’intention de discrètement me transpercer de sa lance avant que je ne remarque sa présence. Sans Remd il aurait réussi : mon compagnon requin est arrivé dans son dos et… il l’a mangé.

 Il m’était déjà arrivé de voir des naturas se battre en utilisant leurs griffes voir leurs crocs quand ils n’avaient que ça avec eux, mais avant cette nuit je n’avais encore jamais vu un homme se faire dévorer. Il lui a enfoncé ses dents dans le cou, une main sur la bouche pour l’empêcher de hurler et je l’ai vu arracher des lambeaux de chair sanguinolents pour les avaler avec une expression d’extase sur le visage. Lorsqu’il eut finit la tête du malheureux était séparée du reste et il manquait une bonne partie du côté gauche du cadavre.

 Il était dérangé, ça je l’avais compris bien avant cette « dégustation », mais son efficacité en tant que commando ne faisait aucun doute, pas plus que sa loyauté envers notre peuple. Il aimait se battre, et tuer plus encore, mais ce n’était pas une fin en soi.


 Sans me vanter j’étais un bon commando, tout en subtilité et en efficacité. Ma spécialité à l’époque était de me glisser dans le dos des sentinelles pour leur trancher la gorge, même si je me défendais plutôt bien quand il était question de tendre des embuscades aux passages de convois.


 Un soir nous avons failli tomber nez à nez avec une unité de commandos ennemis, sans notre éclaireur aux yeux de chats - et donc parfaitement nyctalope - nous nous serions retrouvés dans une bataille rangée en pleine forêt face à des adversaires un brin plus nombreux. Au lieu de ça nous avons pu les contourner puis revenir sur nos pas et les attaquer de tous les côtés à la fois. Nous avons perdu deux des nôtres ainsi que l’œil gauche de Remd mais nous avons vaincu.

 Notre capitaine lion n’était pas avec nous ce soir-là, il avait décidé de rester au camp, d’ailleurs cette nuit nous étions tous sensés être restés au camp. J’avais convaincu l’escouade de sortir pour continuer nos opérations, persuadé que j’étais qu‘il fallait impérativement ne pas perdre le rythme que nous avions mis en place et laisser l‘ennemi se ressaisir. Et bien sûr je n’en avais pas averti le capitaine.

 Lorsque je lui ai fais mon rapport le lendemain matin il était livide de rage et sur l’instant je me suis demandé si cela était plus dû à ma désobéissance ou aux conséquences de celle-ci. En punition pour mon insubordination il me retira mon poste de sous-capitaine et prit le temps de m’expliquer qu’une autre démonstration de cet acabit aurait des conséquences bien plus graves pour moi.


 S’il avait su à quel point ses paroles m’indifféraient je pense qu’il m’aurait étranglé dans la minute.


 Je suis bien content qu’il ne l’ait pas fait.


 Puis vint le soir où nous avions pour projet de nous débarrasser des réserves de vivres de l’ennemi. Un stock, assez conséquent selon nos estimations, était stationné à plusieurs kilomètres de leur camp avancé et nous voulions les priver de cette ressource, ce qui, à n’en pas douter, leur poserait de sérieux problèmes.

 Même si je n’avais plus mon mot à dire depuis ma rétrogradation, la situation ne me plaisait pas du tout : cet entrepôt sensé être crucial n’était presque pas gardé. Je n’entrevoyais que deux possibilités, soit c’était une subtile manœuvre pour minimiser l’importance apparente de l’édifice, soit c’était un piège. Mon instinct me disait qu’il s’agissait de la seconde option, mais apparemment notre capitaine n’avait même pas relevé le problème.


- Natsis, Remd et Leyk vous restez là et vous préparez notre retraite, les autres avec moi.


 Comme d’habitude depuis notre sortie nocturne nous étions tous les trois cantonnés à l’arrière malgré le fait que toute l’escouade reconnaissait notre efficacité. Il ne savait vraiment pas faire la part des choses.


 Nous sommes donc restés sur l’escarpement rocheux qui surplombait le site tandis que nos compagnons descendaient vers la vallée avec une infinie prudence. Pour cette mission on nous avait confié des runes de feu, des petites gemmes qui avaient été ensorcelées avec soin par nos mages et qui étaient sensées déverser un flot de flammes lorsque les mots de pouvoir adaptés étaient prononcés à haute voix. Honnêtement sur le coup j’ai considéré que c’était une très mauvaise idée. On nous avait assuré que ces gemmes étaient parfaitement sûres mais les guerriers sont toujours inquiets quand de la magie est proche, je pense que c’est dans notre nature.


 De là où nous étions nous ne voyions pas grand-chose, entre la distance et l’obscurité de la nuit, à un mètre des torches des gardes nous ne distinguions absolument rien.

 Nous devinions plus qu’autre chose ce qui se passait en contrebas : nos camarades se mettaient en position pour éliminer toutes les sentinelles en un minimum de temps afin qu’aucune ne remarque qu’il se passait quelque chose d‘étrange. Puis ils sont passés à l’action et, comme prévu, tous les gardes sont morts en quelques secondes et, si certains ont pu réaliser ce qui arrivait, aucun n’a pu pousser un cri. Dès qu’ils furent sûrs que tout allait bien ils pénétrèrent dans l’entrepôt. Un autre détail qui ne me plaisait pas dans cette opération : les parois extérieures du bâtiment avait été tapissées de cuir et régulièrement aspergées d’eau, ce qui nous forçait à allumer le feu à l’intérieur, un détail certes, mais qui rajoutait de la complexité à une situation qui n‘avait guère besoin de ça.


 Quelques instants plus tard nous avons vu une silhouette précipitamment sortir de l’entrepôt et courir vers notre position. Même si j’avais été aveugle j’aurais tout de suite su de qui il s’agissait : notre cher capitaine au sang de lion. Quand j’ai vu sa démarche j’ai compris que les choses n’allaient pas fort et qu’il ne fallait pas espérer voir les autres arriver tout de suite.


 Natsis et Remd sur les talons, j’ai dévalé la pente pour aller à sa rencontre, il était sous le choc et une balafre toute neuve barrait son visage velu.


- C’était un piège ! Il y a une véritable armée là-dedans, les autres se sont fait avoir. Il faut se tirer au plus vite.


 Comme si je n’étais pas capable de comprendre tout seul ! Sur le coup j’ai failli lui obéir, puis j’ai réalisé ce qu’il venait de dire et je l‘ai attrapé par l‘épaule alors qu‘il commençait déjà à s‘éloigner.


- Quand vous dites qu’ils se sont faits avoir, ils sont morts ?

- Non ils sont pris, maintenant il ne faut pas traîner ou ils nous auront aussi.


 C’était vraiment pas bon. En tant que commandos, même sans le vouloir, nous savions beaucoup de choses sur l’état de nos forces, que la quasi-totalité de l’escouade se fasse prendre était extrêmement dangereux. Et c’était sans tenir compte de la dizaine de runes que nous venions de donner à l’ennemi en bonus. Le bilan de la soirée était des plus sombres, si nous laissions les choses ainsi cela serait un réel coup dur pour notre camp.


- On ne peut pas laisser ça comme ça capitaine, il faut intervenir tout de suite !

- Je vous ai donné un ordre soldat ! Il y a eu suffisamment de pertes pour ce soir, alors on s’en va.


 Ce fut à cet instant que j’ai cessé de le considérer comme mon capitaine. En abandonnant ses hommes aux mains de l’ennemi sans penser aux conséquences mais uniquement à sa propre survie, il avait perdu le peu de considération que j’avais eu pour lui. Dans la situation actuelle la mort ou la capture de quelques commandos de plus ou de moins n’aurait pas eu d’importance. En revanche, ce dont nous étions capables avant de rendre notre dernier souffle pouvait grandement arranger les choses.


- Alors allez avertir le haut commandement, capitaine, nous on va faire en sorte de minimiser les dégâts.


 Peut-être que si j’avais mis moins de mépris dans son titre il m’aurait davantage écouté, ou peut-être que cet imbécile était définitivement trop borné. Quoiqu’il en soit son visage devint aussi livide que le jour de ma dégradation.

 Lorsqu’il m’a pointé du doigt j’ai compris que nous avions tous deux passés un point de non-retour et la suite me montra que j’avais vu trop petit.


- Remd, Natsis, arrêtez cet homme ! Il passera en jugement lorsque nous serons rentrés au camp, maintenant allons-y !


 Mes deux camarades ne bougèrent pas d’un pouce, ce qu’il ne remarqua pas tout de suite, et nous nous concertèrent tous les trois du regard. En cet instant une profonde compréhension passa entre nous, et ce stupide capitaine fut le seul à être surpris par la tournure que prirent les événements.

 Natsis se racla la gorge et cracha un amas de toile poisseuse en plein sur le visage de notre supérieur qui recula avec un léger cri de surprise. Il n’eut pas le temps de comprendre ce qui se passait que Remd lui donnait un violent coup de poing dans le bas-ventre. Alors que mon ancien capitaine était plié en deux par la douleur et le manque d’air, comme je l’avais fait plus de dix ans auparavant, j’ai levé les bras aussi haut que possible, les deux mains sur mon arme et je l’ai abattue violemment.


 Sa tête ornée d’une crinière d’un roux sombre alla rouler un peu plus loin et son corps s’écroula dans l’herbe humide.

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