Face aux Conséquences
Une fois encore je venais de tuer un natura et une fois encore je savais que j’avais fait ce que je devais faire.
J’ai regardé mes deux camarades : Remd souriait, amusé, et Natsis semblait attendre que je parle.
- Natsis, rentre au camp et informe le commandement de la situation, si on échoue ils vont avoir beaucoup de choses à faire. Et débarrasse-nous du cadavre.
- À… Tes or… Dres… Ca… Pitaine.
Entendre un autre héritier de l’araignée m’appeler capitaine fut étrangement agréable. Il a pris le corps de l’homme que nous venions de tuer sur ses épaules robustes, a attrapé la tête en agrippant fermement la crinière et a disparu dans la forêt me laissant seul avec Remd qui avait cessé de sourire et qui fixait l‘entrepôt, le visage on ne peut plus sérieux.
- On y va, capitaine ?
Aussi silencieux que des ombres nous sommes descendus jusqu’à cet entrepôt où quatre de nos frères avaient disparu. Avec tout le temps que nous avions perdu si l’ennemi avait voulu nous attraper ils auraient probablement réussi, conclusion : ils préféraient se concentrer sur ceux qu’ils avaient déjà entre leurs mains. Une tactique qui n’était pas dépourvue de logique mais qui, bien sûr, fut leur perte.
En chemin Remd et moi étions parvenus à la même conclusion, si cet entrepôt était effectivement rempli de soldats, libérer nos camarades était une doux rêve. Nous nous étions donc mis d’accord sur un tout autre objectif.
Il n’y avait plus personne à l’extérieure de l’entrepôt mais nous avons tout de même été prudents, nous avions une trop lourde responsabilité pour mourir bêtement.
À part notre désormais défunt supérieur personne n’était sorti de là, ils avaient donc l’intention d’interroger leurs prisonniers sur place, probablement afin d’éviter qu’ils ne s’enfuient ou se fassent tuer durant un éventuel trajet. C’était également assez logique.
Arrivés à la porte de l’entrepôt nous avons jeté un coup d’œil à l’intérieur grâce à un léger interstice entre deux planches. Notre capitaine n’avait pas exagéré : il y avait facilement une cinquantaine de guerriers dans ce bâtiment et c’était sans compter les archers que je ne voyais pas mais dont je devinais la présence dans les combles. Au beau milieu se trouvaient nos camarades : Jester, notre éclaireur aux yeux de chat, était étendu sur le sol en terre battue, le corps transpercé par six flèches, les trois autres étaient à genoux, bâillonnés et les mains liées dans le dos.
Il y avait une autre personne dans cet entrepôt qui a attiré mon attention : un homme, tout vêtu de blanc avec des entrelacs de peintures rouges sur son visage et ses avant-bras. C’était un mage il n’y avait aucun doute à avoir là-dessus et, je l’ai appris plus tard en discutant avec un de ceux qui œuvraient pour nous, il était en train de piller l’esprit de ses prisonniers. Ses deux mains plaqués sur le crâne de l’un deux il semblait être à un haut niveau de concentration, alors que sa victime avait les yeux qui reflétaient une intense et muette douleur.
Mais plus que ce sinistre spectacle, ce qui me choqua le plus c’était la queue de crocodile qui se balançait dans le dos du mage. Cet homme était un natura.
Quoiqu’il m’ait été donné le malheur de voir, je n’ai jamais éprouvé de haine envers les esclavagistes ou leurs serviteurs humains. En revanche les naturas qui acceptaient avec ferveur de tenir le fouet qui dominait leurs frères dès lors qu’on leur proposait, eux je les ai haïs de tout mon être et de toute mon âme et ce mage fut le premier d’entre eux.
Étonnamment je n’entendais rien venant de l‘intérieur, ni les gémissements de douleur de mon camarade ni la respiration des soldats, pas même le crépitement des torches que je voyais brûler. Le mage avait utilisé un sortilège pour empêcher les sons de passer les murs et ainsi parfaire le piège. Cela fonctionnait-il dans les deux sens ? Je n’avais aucun moyen de le savoir et je n’étais même pas sûr de la plus avantageuse des deux éventualités. J’ai rapidement expliqué à Remd ce que nous allions faire et il m’a sourit en me disant que j’étais fou puis il s’est posté devant la porte et a saisi le lourd battant de bois à deux mains.
À mon signal il l’a ouvert et je me suis jeté dans l’ouverture pour hurler.
- Brûlez sales esclaves !
L’effet de surprise fut total, tous les visages se sont tournés vers moi et j’ai pu voir mes frères fermer les yeux alors que je bondissais en arrière et que Remd poussait la porte aussi fort qu’il le pouvait.
L’instant suivant l’enfer se déchaînait.
Ces trois mots emplis de haine raciste étaient ceux qui commandaient à l’activation des runes de feu que mes compagnons avaient sur eux. Elles s’activèrent toutes en même temps, libérant un véritable torrent de flammes dans l’espace clos qu’était ce damné piège. Les portes de l’entrepôt furent arrachées par le souffle de l’explosion, moi et Remd, nous fîmes un très joli vol plané pendant que la bâtisse était purement et simplement désintégrée !
La suite je peux la raconter uniquement parce que Remd l’a fait en premier. J’étais sonné par mon atterrissage et il m’a porté sur son dos sur une bonne partie du trajet jusqu’au campement. Quand j’ai commencé à émerger il m’a posé pour m’aider à me remettre, il avait des étoiles dans son unique œil et ne parvenait pas à contenir l’euphorie qui l’habitait. Le « spectacle », comme il le disait lui-même, de l’entrepôt se volatilisant l’avait marqué à vie. Dans l’escouade nous savions tous pour ses tendances anthropophages mais il venait à présent de se découvrir un penchant pour les explosions.
Sitôt rentré au camp il me laissa aller me présenter seul au haut commandement pendant que lui, sans la moindre considération pour l’heure qu’il était, se mettait en quête de toute personne pouvant lui apprendre comment réaliser de nouveaux spectacles comme ceux de cette nuit.
J’ignore quel dieu ou démon s’en est mêlé mais le fait est qu’il en trouva un certain nombre, mais j’y reviendrai plus tard.
Lorsque je me suis présenté devant la tente d’état major je fus surpris de constater que Natsis s’y trouvait. Avec l’avance qu’il avait sur nous je pensais qu’il avait depuis longtemps fini de transmettre son rapport.
Sur ce point j’avais tout à fait raison, en réalité il était en train de transmettre - avec toutes les difficultés qu’impliquait son handicap - tout ce qu’il savait sur le campement et sur nos forces en général, afin d’estimer les dégâts que pourrait causer l’interrogatoire des commandos capturés. Quand je me souviens des expressions qu’affichaient tous ses officiers je me dis que ça ne devait vraiment pas être joli.
Heureusement, mon arrivée les décrispa tous et libéra Natsis du calvaire que représentait l’exposé qu’il menait. Il me salua avec un grognement et on lui permit de se retirer tandis que j’entamais le récit - fort court - de ce qui avait eu lieu après le départ de mon camarade, incluant la vocation que s‘était découverte l‘un des nôtres.
La présence du mage en blanc les a intrigués et la mort du reste de mon escouade était une rude perte, tant elle avait prouvé son efficacité au cours des dernières années.
- Laissez-moi la reformer, choisir mes hommes, et je vous jure qu’elle sera plus dangereuse que jamais.
Mon ancien capitaine s’est sûrement retourné dans le trou où Natsis l’avait abandonné en chemin lorsque j’ai prononcé ces mots. Non content de le tuer je lui prenais également sa place, même s’il ne la méritait pas de son vivant. Là où il était, et où il est sûrement toujours, ça a dû lui faire mal.
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