Preparations du mariage
Au final j’ai reçu la réponse deux jours plus tard : j’avais prouvé que j’étais capable de faire du bon travail, ils allaient donc me laisser former ma propre unité et voir se qui en découlerait. J’avais gagné le droit d’être à l’essai et je ne comptais pas les décevoir !
Ce fut la première fois que j’avais officiellement des hommes sous mon commandement, je devins donc capitaine de l’escouade Araignée. Et ce nom n’était pas une preuve d’ego de ma part, j’insiste sur ce point, car ce n’est pas moi qui l’ai choisi mais les hauts gradés.
Bien sûr les premières recrues de ma toute nouvelle escouade furent Remd et Natsis. Nous partagions un puissant lien créé par le secret et le meurtre et je savais que je pouvais avoir confiance en eux en n’importe quelle occasion, je leur aurais confié ma vie. Et aucune des années que nous avons passées à nous battre côte à côte ne m’a amené à changer d’opinion à leur sujet.
J’ai également recruté d’autres soldats mais je dois avouer que mon jugement en la matière avait vraiment besoin de s’affiner, tant au niveau de la personnalité qu’au niveau des compétences. Pendant des années j’avais été persuadé d’être bon pour juger les gens et déterminer ce qu’ils valaient mais c’étaient uniquement parce que je passais beaucoup de temps près d’eux que j’y parvenais. Dès qu’il s’agissait de personnes que je croisais vaguement ça devenait plus complexe et cela retarda de façon conséquente la réelle consécration de l’escouade Araignée.
Je fis patienter mes supérieurs par de multiples opérations sans grande envergure, jusqu’au jour où je pus enfin me convaincre moi-même que j’avais assez d’hommes d’un assez bon niveau pour l’opération qui allait me permettre de mettre fin à la guerre.
Ou tout du moins à la guerre actuelle.
À l’époque j’avais eu le temps d’étudier la géographie et la politique en place dans les autres pays - bien plus que celle qui s’était mise en place de le nôtre - et je savais qu’il y avait d’autres pays plus éloignés où l’esclavage était toujours en vigueur. Il me paraissait évident qu’une fois ce pays conquis d’autres suivraient.
Même si c’était plus facile à dire qu’à faire, rien qu’ici le front s’enlisait et avec la venue de l’hiver cela n’allait pas s’améliorer, nous devions avoir brisé les lignes ennemies avant que la neige ne rende l’avancée de nos forces impossible.
Au cours du temps passé à recruter de nouveaux commandos j’avais également pris le temps de me renseigner sur ce mage blanc et rouge et ainsi découvert l’existence d’une sorte de culte dédié à une quelconque entité dont je serais bien incapable de me rappeler le nom. En revanche ce dont je me souviens très bien c’est que cette secte, assez présente dans le pays, apportait son aide à l’ennemi en échange de quelques avantages. Ces sorciers peinturlurés donnaient pas mal de fil à retordre à nos troupes et nos propres mages de guerre ne suffisaient pas toujours à contenir les dégâts qu’ils causaient. Néanmoins la présence continuelle de ces cultistes avait eu une conséquence amusante : la religion s’était largement répandue au sein de l'armée et le culte avait à présent de très nombreux fidèles parmi les soldats, incluant la quasi-totalité de l’état major. Cela allait nous offrir une magnifique opportunité et je comptais bien en profiter pour faire un carton plein.
Moi et mon escouade, une dizaine de commandos dont trois femmes - un petit détail qui avait soulevé un long débat - nous nous sommes mis en route une semaine à l’avance pour avoir le temps de peaufiner chaque détail et nous nous arrêtâmes devant un édifice particulièrement hideux. Les cultistes avaient fait construire une sorte de grande église près d’un bourg à une dizaine de kilomètres de la ligne de front, un mélange de bois et de pierres aux couleurs criardes et à la structure inutilement complexe. Il n’y avait que Remd pour la trouver belle, mais il n’était pas objectif : dès qu’il voyait un bâtiment il l’imaginait en train d’exploser, ce qui le rendait forcément beaucoup plus attractif.
Nous avions établi un campement provisoire, à un kilomètre en amont dans les montagnes, dans un petit réseau de caverne que j’avais découvert lors d’une précédente reconnaissance. Ses entrées se situant toutes du même côté du front il y avait fort à parier que nos ennemis n’avait pas bien considéré les intérêts d’un tel lieu. À croire qu’à force de se tourner vers la spiritualité ils en oubliaient les bases de la tactique.
J’ai commencé par envoyer Natsis en reconnaissance, accompagné de Riil, une héritière du faucon, aux yeux légèrement disproportionnés par rapport au visage mais à la vue prodigieuse. L’héritage visuellement très discret de Natsis le rendait extrêmement efficace lors de ce genre de missions d’infiltration, il suffisait de grimer très légèrement sa gorge pour faire croire que ses problèmes d’élocution venaient d’une vieille blessure. Il pouvait donc facilement passer pour un humain accompagné de son esclave chargée de parler à sa place.
Dès que j‘avais compris quel était exactement le problème de Natsis je l‘avais encouragé à développer une autre façon de communiquer. Bien entendu il maîtrisait parfaitement la signalétique que nous utilisions durant nos opérations mais je voulais qu’il puisse avoir de vraies conversations sans que ce ne soit une épreuve pour lui ou les autres. Ainsi il avait commencé à développer un langage des signes qu’il enseignait à toute l’escouade, que j’avais encouragée à pratiquer autant que possible.
Cela allait finalement prendre du temps mais au bout du compte toute l’unité allait maîtriser cette nouvelle façon de discuter. D’ailleurs beaucoup s’en servaient même quand Natsis n’était pas là, trouvant cette méthode plus amusante que la voie normale. Cela aida grandement à la bonne entente dans l’escouade, Natsis pouvant ainsi faire preuve de son étonnant sens de l’humour. Cela s'est révélé également très utile lorsque, quelques années plus tard, Remd est devenu presque sourd après une de ses expérimentations explosives qui avait réussi bien au-delà de ses espérances.
Je m’égare à nouveau
Donc, Riil était à l’époque une des plus doués de l’escouade dans ce nouveau langage, elle était donc tout naturellement désignée pour accompagner notre muet favori lors de ses excursions.
Ils sont partis un matin et sont revenus deux jours plus tard exactement comme prévu. Ils n’avaient pas eu le moindre problème et avaient ramené quantité d’informations utiles dont une qui était particulièrement inespérée : un mariage princier allait avoir lieu à la fin de semaine. Moi qui étais là pour la grande messe mensuelle, c’était bien plus que je n’en attendais.
La deuxième étape consistait en une analyse scrupuleuse de l’édifice, selon les observations de Natsis et Riil et les considérations de Remd. À ma grande surprise ce fut particulièrement rapide, en une journée les détails du plan étaient bouclés et notre requin commençait à avoir du mal à tenir en place.
Troisième étape, la plus difficile, nous devions tout mettre en place en quelques jours. Ce mariage était une bonne nouvelle mais il nous a obligés à accélérer le rythme, nous ne pouvions pas laisser passer une telle opportunité.
Nous nous sommes séparés en trois groupes, Natsis, Riil et un autre surveillaient le campement, Remd a pris le commandement de trois commandos et est allé se poster près de l’église, pendant que moi, avec les autres j’ai contourné le bourg pour rejoindre le moulin. Je déteste agir de jour mais là nous n’avions pas le choix, de nombreux soldats en manœuvre dans la région transitaient dans le bourg pendant la nuit et nous ne pouvions pas nous permettre un tel risque.
Bien que ce moulin ne représentait pas un réel intérêt stratégique - il y en avait au moins deux autres dans un rayon de cinq kilomètres - il était tout de même gardé. Enfin j’exagère peut-être un peu, disons qu’il y avait deux sentinelles qui essayaient vaguement de rester éveillées malgré l’ennui que devait représenter leur affectation.
Au moins nous avons mis un peu d’animation dans leur journée.
Ils ne nous ont pas vus venir et ils sont morts avant de toucher le sol, les deux meuniers par contre nous ont vus mais ils n’ont pas eu le temps de crier. Sans perdre de temps nous avons entassé les corps dans un coin puis éventré tous les sacs. D’après Remd nous devions être extrêmement prudent lorsque nous y mettrions le feu, la farine étant particulièrement dangereuse. Aujourd’hui encore je ne comprends pas ce phénomène mais Remd lui le comprenait déjà et en la matière je ne doutais pas de ses connaissances, elles avaient beau être récentes et arrivées presque de nulle part elles étaient, surtout, de qualité.
Sitôt notre saccage fini nous sommes sortis prudemment et une fois à distance raisonnable un de mes hommes a tiré un trait enflammé à l’intérieur du moulin. La langue de feu qui jaillit en retour me confirma la véracité des dires de Remd. L’explosion fut bruyante mais la solide structure de bois tint le choc malgré le feu qui se développait rapidement sur toutes ses parois.
Nous avions fait notre part il nous fallait maintenant faire en sorte de disparaître et ça, même de jour, nous le faisions très bien.
Lorsque nous sommes retournés au campement, de notre perchoir nous avons observé l’agitation qui se créait autour du moulin qui se consumait, une foule de gens était en train de s’échiner pour éteindre le feu avant que qu’il ne s’effondre ou que des braises volantes ne débutent d’autres brasiers partout dans le village. Le spectacle ne manquait pas d’intérêt : c’était la première fois que je prenais le temps d’observer un incendie que j’avais allumé.
Néanmoins j’ai rapidement reporté mon attention sur l’église et demandé à Riil ce qu’elle arrivait à distinguer. Sur ce point ses yeux de rapaces étaient véritablement impressionnants ! Elle se mit à me décrire la scène qui se passait à près d’un kilomètre avec force détails, dont certains étaient très clairement superflus. Remd et ses hommes ont travaillé vite et bien et se sont retirés en silence, alors que les trois quarts des habitants de la ville étaient occupés ailleurs. À ce moment je n’avais pas besoin des yeux d’un faucon pour savoir la tête que faisait Remd : il était en train d’exulter.
J’avoue que, même si nos raisons étaient différentes, c’était aussi mon cas. Mais moi quand ça m’arrive, contrairement à lui, je parviens à le cacher. Parfois.
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