Mariage Princier

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 Quelques jours plus tard un véritable défilé de cavaliers en armure et de carrosses est arrivé pour assister au grand événement : un prince allait se marier ! Il ne pouvait y avoir de jour plus important pour la noblesse de ce pays, alors que le pays était en guerre, l’héritier du trône - qui était également un membre réputé de l’état major - offrait à son peuple une journée de fête dédié à la joie et à l’amour.

 Il faut reconnaître que l’idée était bonne : rien de tel qu’un mariage pour attirer la sympathie et remonter le moral des troupes avant la longue attente qu’allait entraîner l’hiver. Ajouté à cela que sa future était une jeune fille fort riche c’était un coup particulièrement malin.


 Bon, peut-être qu’il y avait aussi des raisons sentimentales et sincères à ce mariage mais ça, je n’avais aucun moyen de le savoir.


 À travers les yeux de Riil j’avais une vision assez claire de ceux qui arrivaient en ville et prenais garde à consigner chaque blason, chaque visage connu, tout ce qui permettait de se faire une idée plus précise des invités.

 Pendant un fol instant j’ai espéré que le roi en personne vienne mais si près du front et par un temps pareil il aurait été présomptueux de demander plus de miracles.

 Nous sommes vite arrivés à la conclusion que cette cérémonie allait réunir bien plus de nobles en armures venant du front qu’en tenue de soirée venant de la capitale. Le prince était un guerrier et la majorité de son entourage également. Et c’était très bien comme ça.


 Une fois que le flot de nouveaux venus se fut apaisé - un peu avant midi - nous en étions arrivés au bilan que nous avions tout le haut commandement adverse à portée de main. Nul n’avait voulu faire affront au prince en ratant son mariage, les joies de la politique ! Il y avait également tout un tas d’autres personnes qui méritaient pleinement leurs places en ce jour de fête mais, en ce qui me concerne, ils représentaient un simple bonus.


 Je pense qu’une bonne partie d’entre eux auraient été incroyablement vexés s’ils avaient entendu ça.


 Un banquet commençait à se mettre en place dans un pré derrière l’église, ce qui sur l’instant m’agaça particulièrement. Il m’aurait parut beaucoup plus logique de manger après la cérémonie ! Ce n’est que deux heures plus tard que j’ai compris qu’ils attendaient encore la mariée qui, d’après Riil, devait être sérieusement en retard si on considérait l’état d’agitation général.

 Je ne sais pas comment s’est senti le futur marié en attendant sa promise, mais une chose est sûre : moi, j’étais sur les nerfs ! Après m’avoir fait miroiter un tel cadeau le Destin n’avait pas le droit de me l’enlever juste avec la disparition d’une petite cruche de la noblesse ! Elle devait venir ! Elle n’avait pas le droit de me faire ça !


 Rien que d’y repenser je commence à perdre mon calme.


 Ce jour-là j’ai atteint un tel niveau de nervosité que j’en ai juré de ne pas faire de cérémonie si jamais je venais à me marier. Mon cœur ne serait pas capable de supporter le moindre retard de plus.

 Lorsque, enfin, elle arriva nous ne perdîmes pas une seconde. Nous étions tous déjà prêts depuis plusieurs heures et nous avons parcouru le kilomètre qui nous séparait de notre objectif en un temps record. Nous étions quatre à être descendus : moi, Natsis, Riil et un héritier de la salamandre à la peau écailleuse et colorée répondant au doux nom de Cutler. Dans ce pays en proie aux troubles il était particulièrement bien vu d’avoir des esclaves, une sorte de provocation qui nous était adressée. Natsis avait donc gagné deux esclaves supplémentaires pour être sur les lieux de la cérémonie, cela afin de voir s’il nous serait possible de trouver d’autres de nos frères sur place. Le pari était risqué mais je ne voulais pas perdre la moindre chance de libérer des esclaves, passer autant de temps près de cette ville sans pouvoir rien faire pour ceux qui s’y trouvaient était déjà assez difficile à accepter.

 Dans le rôle que nous jouions j’étais sensé être le garde du corps de Natsis et Cutler était juste là pour montrer les belles couleurs de ses écailles, de la même façon qu‘une dame se promènerait avec un perroquet dressé aux plumes bariolées.


 Soit dit en passant ce rôle lui allait parfaitement, Cutler adorait montrer ses écailles. C’était à se demander comment il faisait pour se retenir de se déshabiller en permanence.

 Les convives étaient en train de finir d’entrer dans l’église lorsque nous sommes arrivés, un timing magnifique. Ce que j’avais appris sur les protocoles de cette secte m’avait permis d’estimer que le mariage prendrait au minimum une heure pour se finir : nous avions du temps devant nous mais mieux valait ne pas le perdre inutilement.

 Un rapide tour d’horizon nous a appris qu’il y avait un bataillon entier de soldats en stationnement tout contre les portes de l’édifice et sans doute encore d’autre à l’intérieur. En revanche il y en avait bien moins, et bien plus disséminés, là où étaient parqués chevaux et carrosses. Ce qui était assez singulier quand on prend un instant pour y réfléchir, car c’était également là qu’attendaient les esclaves appartenant aux différentes personnes présentes. La plupart étaient enchaînés à un poteau ou au véhicule de leur maître, d’autres étaient entravés au niveau des poignets ou des chevilles et assis à l’arrière de chariot. Lorsque je pris, par la suite, le temps d’y réfléchir je suis arrivé à la conclusion que la seconde catégorie devait représenter des cadeaux pour les mariés, ce qui ne changeait pas grand-chose en ce qui me concerne.

 Notre groupe s’est alors mis à parcourir ce petit labyrinthe de bois pour trouver tous les soldats qui s’y trouvaient. Ils étaient peu nombreux, espacés, relâchés, non coordonnés… En clair ils étaient déjà morts.

 Riil fut particulièrement redoutable durant cette petite heure, approchant ses cibles tranquillement, de face, sans précaution aucune et tuant d’un coup net et précis à une vitesse prodigieuse. Même nous qui savions ce qu’elle allait faire nous arrivions à être surpris par ses attaques « clin d’œil de faucon » comme nous nous mettrions à les appeler par la suite.


 Tous les gardes présents dans ce parc moururent en silence, étouffés par leur sang, le cœur transpercé, ou bien la nuque brisé. Les seuls cris qui retentirent, furent ceux des esclaves surpris par les événements qui avaient lieu près d’eux et, même s’ils nous compliquèrent un peu la tache, ils n’eurent au bout du compte aucune conséquence funeste.

 Puis vint le moment de libérer nos frères, malgré la présence de notre salamandre ce fut un brin long et j’ai bien cru que nous n’arrivions pas à finir à temps. Heureusement que Cutler s’est donné à fond jusqu’à vaciller d’épuisement. Il avait beau dire qu’il avait hérité du sang de la salamandre jamais au grand jamais, je n’ai vu de salamandre avec la peau suffisamment chaude pour faire fondre du métal ! Tous les spécialistes du monde ne pourront pas me convaincre que Cutler n’était pas un héritier du sang du dragon. Aussi étrange que soit cette théorie c’est la seule qui me paraisse viable, en plus d’être particulièrement classe.

 Nous avions encouragé les naturas nouvellement libres à se tenir tranquille jusqu’à notre signal, une partie sur des chevaux et les plus jeunes et les plus faibles, incluant Cutler, dans des chariots. Le plan était qu’ils rejoignent au plus vite la forêt et se dissimulent dans les cavernes jusqu’à ce que nous puissions organiser leur traversée du front.


 Je dois bien l’admettre : cette « évasion » de masse n’était vraiment pas bien organisée.


 Juché sur le dos d’un cheval noir, particulièrement rétif - sans doute appréciait-il plus son véritable propriétaire - je fixais mes soldats tout en sentant les très nombreux regards des autres cavaliers dans mon dos. Natsis et Riil tenaient chacun les rênes d’un chariot, tandis que je devais guider les autres moi-même. Tout le monde attendait mon signal.

 Je me suis juché haut sur ma selle, je me suis tourné vers l’église puis j’ai hurlé de toutes mes forces.


- Longue vie aux mariés !


 Puis j’ai fait claquer mes rênes, enfoncé mes talons dans les flancs de ma monture et je suis partie au grand galop, entraînant tous les autres à ma suite. Les explosions ont retenti derrière nous et je dû vraiment lutter pour ne pas me retourner pour admirer la scène qui se déroulait derrière moi.


 Aujourd’hui je regrette vraiment de ne pas avoir jeté un tout petit coup d’œil.


 Remd et ses hommes avaient placé des runes de feu de tailles variables ainsi que des produits plus « normaux » en différents points névralgiques de la structure. Nous ne pouvions pas espérer faire exploser un bâtiment d’une telle taille mais nous pouvions le faire s’effondrer en sapant ses murs porteurs et les autres points clé qui permettaient sa stabilité.

 Derrière le bruit des explosions je devinais les cris qui résonnaient à l’intérieur. J’imaginais les murs se fissurer, la voûte tomber, les tourelles basculer. Je me suis mis à hurler de rire en imaginant le chaos qui devait régner dans cette église, les gardes sur le perron se pressant d’entrer pour comprendre se qui se passait et tous les convives se pressant pour sortir avant que tout ne leur tombe sur le crâne.


 Une autre explosion a retenti, accompagnée de cris mêlant peur et douleur, alors que mon hilarité se calmait : deux autres runes avaient été posées au niveau du porche de l’église afin de le faire également s’effondrer dès que les mots « Laissez passer le prince ! » seraient prononcés.


 La vie est une pièce de théâtre où chacun joue son rôle pour le plaisir des spectateurs.

 Je dis ça et pourtant je déteste le théâtre, c’est beaucoup trop mou !


 La suite s’orchestra exactement comme je l’avais prévue : sitôt que les explosions avaient retentis deux de mes hommes pouvant passer pour humains - si on ne s’attardait pas trop - avaient courus vers les lignes ennemies pour répandre la nouvelle. Ils avaient pour consigne d’insister sur le côté dramatique que tous leurs officiers supérieurs étaient morts dans une église, sans trop parler du côté artificiel de la chose ou de l‘implication de naturas. Si cette étrange religion s’était, comme je le pensais, suffisamment répandue dans les rangs ennemis cela allait avoir un effet bœuf.

 Comme le Loup me l’avait dit les quatre plus grands fléaux d’une armée sont : la faim, les maladies, la peur et le désespoir, dans cet ordre. En ce jour nous leur avons offert la peur, la peur du châtiment divin qui commençait à s’abattre sur eux.

 Dans le même temps Remd rejoignait nos lignes au pas de course pour qu’une attaque massive soit lancée. Il fallait juste laisser le temps à nos messagers de la peur de suffisamment distiller leur venin.

 Les autres étaient disséminés dans la forêt pour protéger nos nouvelles recrues potentielles et éliminer les poursuivants isolés. Pour ce second point ils n’ont pas eu à faire grand-chose mais c‘est sans importance.


 Moins d’un mois plus tard la capitale tombait et le roi était exécuté publiquement après avoir proféré malédictions et insultes pendant près d‘une heure. Le spectacle fut particulièrement pénible. Voir une grosse teigne bedonnante avoir la tête tranchée d‘un coup d‘épée du Loup, certes on ne voyait pas ça tout les jours, mais ça n’avait rien de palpitant et le tumulte avait été insupportable.

 Mon opération avait été un véritable succès : tous les occupants de l’église étaient morts, le prince et les généraux bien sûr, mais également un certain nombre de mages cultistes et de proches de la couronne, ce qui avait grandement facilité l’avancée de nos troupes après qu’elles aient brisé la ligne de front avec, selon les propres mots du Loup, « une facilité embarrassante ». Nous avions également pu récupérer tous les esclaves en fuite et leurs connaissances récupérées près des plus hautes sphères du pouvoir avaient été très utiles. Seul ombre au tableau, un de mes émissaires avait été tué, apparemment il avait été démasqué alors qu’il quittait le camp après y avoir semé les graines de la peur.

 C’était dommage mais insuffisant pour gâcher le bilan final. Ce n’était pas le plus beau coup de ma carrière mais à n’en pas douter c’était un de ceux qui a eu le plus d’impact : la guerre était terminée après une semaine de préparatif.


 Le bruit de cette église ensevelissant sous ses gravats plus d’une centaine de fidèles hurlant de peur résonne toujours dans ma mémoire. Je n’ai pas honte de ce que j’ai fait en ce matin qui fut marqué par le sang des habitants d’un royaume d’esclavagistes, mais j’ai honte d’avoir éprouvé une telle joie après une telle tuerie. J’ai toujours apprécié un plan bien mis en place et bien orchestré, mais la mort, ce n’était pas dans mes habitudes.

 Cela m’a tellement choqué quand je l’ai réalisé, que j’en suis resté amorphe et que l’unité Araignée n’a rien fait pendant tout le reste de la guerre.

 En même temps je pense que nous en avions déjà fait beaucoup.

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