Un mort à la fois
Avant toute chose nous devions reprendre nos excursions en terrain hostile afin de recueillir les informations dont nous aurions besoin. La géographie je l’avais travaillée mais nous allions avoir besoin d’en connaître beaucoup plus sur ces nouveaux horizons que nous allions annexer. De tout nouveaux terrains de jeu !
Nous avions une totale liberté dans le choix et la manière de mener nos opérations cependant le Loup avait insisté pour qu’une cible bien précise soit affaiblie au maximum d’ici à ce que la guerre soit officiellement déclarée. Considérant la position de la dite cible ça m’a semblé être stratégiquement essentielle.
Il s’agissait d’une garnison placée au beau milieu d’une vallée et bloquant l’accès à l’autre côté de la montagne. Sa défense n’était pas particulièrement optimisée et les légions du Loup auraient été capables de passer au travers sans le concours de mes troupes. Mais cela aurait pu prendre du temps et l’effet de surprise en aurait été très nettement amoindri.
Nous devions faire en sorte que cette place tombe avant qu’ils n’aient le temps d’alerter le reste du pays. J’avais une dizaine de commandos avec moi sans compter mes quatre tueurs favoris, deux jours d’observations cachés dans les montagnes - les yeux de Riil étaient maintenant concurrencés par deux longues-vues - et je savais déjà que ça allait être un jeu d’enfant.
Grâce à l’aide, généreuse et surprenante, d’un contrebandier en épices nous avions découvert un tunnel dissimulé dans la montagne pour passer la frontière et installer notre campement dans une ancienne grotte d’ours aux pieds de la montagne à quelques kilomètres de notre cible.
La garnison devait recevoir régulièrement du ravitaillement, et c’est sur ça que je comptais pour la faire vaciller. Les gardes étaient relâchés, la discipline était presque inexistante, mêmes les sentinelles en faction semblaient totalement se désintéresser de leur tâche. Ces hommes n’avaient pas la moindre idée de l’importance stratégique de leur position.
Pour leur défense il est vrai qu’il y avait des accès plus proches si nos forces voulaient envahir leur pays et c’est justement ça qui le rendait si intéressant.
Je pense que je vais arrêter de m’étendre sur l’importance de l’endroit et les piètres soldats qui s’en occupaient et me concentrer sur comment nous nous en sommes occupés.
Nous avons fait un repérage sur une dizaine de kilomètres pour repérer tous les points d’intérêt du secteur, et il n’y avait pas grand-chose. Nous avons tout de même eu la surprise de croiser une petite troupe de cavaliers, des chasseurs d’esclaves. Ils ont bien vite réalisé le danger que nous représentions mais cela n’a pas suffi à les sauver. L’un d’eux était un natura, un héritier du hérisson - ou du porc-épic je ne connais pas la différence entre les deux - au crâne couvert de pointes, et le hasard a voulu qu’il survive à l’escarmouche avec un poignard profondément enfoncé dans l’épaule. Nous avons longuement hésité sur son sort, finalement comme nous n’avions pas beaucoup de temps à perdre nous avons laissé Cutler lui cuire la tête entre ses mains - après l’avoir bâillonné bien sûr.
Au bout du compte nous avons trouvé ce qui devait être le dernier point de passage des chariots de ravitaillement. C’était un petit village de fermiers somme toute sans grand intérêt, ils travaillaient dur pour rester pauvres et ne pas sombrer dans la misère. Le genre de vie qui aurait pu me faire regretter le statut d’esclave de mon enfance, malgré la présence de la taverne qui semblait particulièrement attrayante en comparaison du reste.
Puisque nous avions des chevaux à disposition et que nous venions d’apprendre que les naturas pouvaient être libres dans ce royaume autant en profiter. Certains à pied et les plus humains à cheval nous sommes donc entrés dans ce village comme si nous étions chez nous, jusqu’à cette fameuse taverne. Le moins qu’on puisse dire c’est que nous avons fait une forte impression, ils ont cru que nous étions une bande de pillards et nous avons pu voir toutes les femmes et les enfants rentrer précipitamment dans leurs masures.
Je me suis redressé sur mon cheval et j’ai annoncé haut et fort que nous étions une bande de mercenaires en route pour la frontière et que nous n’avions pas la moindre intention belliqueuse. a n’a pas suffit, alors nous sommes entrés dans la taverne et j’ai commandé une tournée générale en jetant une poignée de pièces, toutes nouvellement acquises, sur le comptoir sale.
Là par contre ils ont commencé à se dérider. J’ai étoffé notre histoire en racontant que nous étions persuadé que le Loup allait bientôt mener une nouvelle campagne contre un pays limitrophe, ce qui présentait une belle opportunité pour des affranchis sachant se battre. Je commençais à raconter que nous avions été chasseurs d’esclaves quand Cutler mit fin prématurément à mes envolées romanesques en m’annonçant discrètement par gestes que l’objectif approchait. J’ai souvent eu beaucoup de chance en matière de temps d’attente, comme si quelqu‘un cherchait à se faire pardonner l‘attente du mariage princier.
Effectivement, à l’extérieur quelques chariots et cavaliers étaient en train de traverser la rue principale. C’est à peine s’ils ont jeté un regard aux villageois alors qu’ils passaient, c’est dire s’ils nous ont loupés. J’en finissais presque par me demander s’il n’y avait pas un piège quelque part.
Sitôt qu’ils eurent parcouru une distance suffisante nous sommes repartis au pas de course pour les précéder et, au détour d’un bosquet, nous leur sommes tombés dessus.
Ce fut brutal.
Être à cheval n’est pas très utile quand on est pris en embuscade par une troupe à pied qui attaque à deux mètres de distance.
Le sergent était en train de hurler des ordres lorsque je l’ai envoyé à terre et lui ai planté mon fendoir dans le ventre.
Ce fut le premier vrai combat où j’ai utilisé les « Crocs de l’araignée ». Je les avais fait forger sur mesures dans un alliage léger et résistant, pour un équilibre parfait et un tranchant inaltérable. Ils étaient même adaptés pour des lancés, des petites merveilles qui m’avaient coûté une sérieuse avance sur ma solde de commandant.
Je précise également que ce n’est pas moi qui les ai nommés les « Crocs de l’araignée », ils sont simplement devenus presque aussi célèbres que moi parmi nos soldats et de fil en aiguille ce nom a fini par s’installer dans la culture populaire.
L’escarmouche, bien qu’improvisée, se déroula sans accroc : gardes et conducteurs furent tués en quelques instants, seul le sergent était toujours en vie, mais pas beaucoup. Sur l’instant j’y suis allé un peu fort, emporté par l’excitation du combat j’avais oublié qu’il fallait le capturer.
Le regard de Natsis était lourd de sens quand il a constaté l’état de notre prisonnier, mais il n’a fait aucun commentaire et lui a rapidement fait avaler le contenu d’une petite fiole de verre.
Une conquête pouvait vraiment avoir des conséquences surprenantes, nous allions tous nous en rendre compte avec les années, mais celle-ci était sans aucun doute la deuxième plus importante de notre première guerre. La première étant bien sûr les bains.
Il s’agissait d’une mixture qui affaiblissait mentalement son consommateur et le rendait à la fois loquace et sincère, une petite chose très pratique qui était auparavant utilisée pour interroger les esclaves soupçonnés d’avoir des idées d’évasion.
Nous voulions connaître les signaux de reconnaissance, les mots de passe, les noms des officiers responsables… Tout ce qui pourrait nous permettre de passer les contrôles de la garnison.
J’ai failli hurler de frustration quand ce maudit moribond nous a révélé qu’il n’y a avait rien de ce genre au poste. À quoi servait tout le mal que l’on se donnait à essayer de faire les choses comme il faut ?!
Nous nous sommes changés et avons repris la route du poste de garnison, bien décidé à en finir au plus vite avec cette histoire pour pouvoir faire quelque chose d’un peu plus intéressant.
On oublie vite à quel point il est long de voyager en chariot, même sur quelques kilomètres… Lorsque nous sommes arrivés en vue des tours de guet j’ai préféré vérifier que personne ne s’était endormi sur sa selle.
Nous sommes entrés sans soucis, les gardes en factions étaient trop occupés à ouvrir les portes - ça n’avait pas l’air facile - pour vraiment s’intéresser à nous.
C’est lorsque nous fûmes dans la cour et que tout le monde s’approchait plus ou moins pour aider au déchargement ou récupérer une petite bricole qu’ils commencèrent à se dire que certains d’entre nous avaient une allure étrange. C’était un peu tard pour avoir un éclair de lucidité.
Tranquillement assis dans son chariot Remd avait déjà allumé sa mèche.
Pendant ses trop nombreuses expérimentations Remd avait notamment essayé de développer un produit brûlant sans fumée et donc plus discret. En avait résulté une substance brûlant presque sans flamme mais émettant une fumée incroyablement dense et irritante qui à elle seule avait justifié le fait qu’il fasse ses expérimentation dans un lieu isolé de tout.
Un épais nuage de fumée à l’odeur agressive se répandit donc tout autour des chariots, inondant toute la cour. Dans le même temps nous avons tous remonté sur nos visages des bandeaux trempés dans du vinaigre pour contrer au maximum les effets de cette purée de poix et nous avons sortis nos armes dans un parfait ensemble.
La fête pouvait commencer.
Les soldats les plus proches sont morts dans la seconde, leurs gorges tranchées, puis nous nous sommes dispersés. Riil et un autre héritier de sang de rapace se sont placés à l’écart pour éliminer de leurs flèches les gardes postés sur les remparts et dans les tours, Remd et deux autres ont lancés des fioles d’explosifs à travers toutes les fenêtres et sur tous les attroupements à portée, alimentant plus encore le chaos ambiant, quant à moi et tous les autres nous avons exterminé tous les soldats qui étaient présents.
Quand la fumée s’est enfin dissipée, le silence s’était installé dans la place. Trois des mes hommes avaient été blessés dont un sérieusement, malgré ses protections. Il allait s’en sortir mais il ne pourrait plus se battre pendant un moment, avant même le début de la guerre c’était bien dommage. Je l’ai fait ramener - ainsi que tous les chevaux que nous avions - à notre quartier général du bon côté de la frontière le temps qu’il se rétablisse, en lui disant que nous ferions durer la guerre pour qu’il ait le temps de participer.
Après cette petite blague je suis revenu à quelque chose de sérieux et j’ai ordonné la fouille minutieuse de l’endroit en encourageant tout le monde à la prudence. Il était parfaitement possible que des soldats se terrent dans un coin et on ne pouvait pas se permettre d’en oublier en partant.
J’étais en train d’inspecter le bureau du commandant lorsque Riil m’appela dans la cour et je pus alors constater que la discipline du fort était encore plus limitée que le piètre aperçu que j’en avais eu depuis la montagne.
Natsis et Riil étaient tombés sur les familles de certains soldats.
Des femmes et des enfants en pleurs et terrifiés, près des cadavres du père, du frère, de l’époux et que sais-je encore ! À cet instant j’ai prié de toutes mes forces pour qu’aucune garnison de notre pays ne ressemble jamais à ce pitoyable exemple du genre que j’avais alors sous les yeux.
J’ai prononcé deux mots, sans la moindre émotion dans la voix.
- Tuez-les.
Mes commandos n’ont pas hésité une seconde et ont commencé l’abattage malgré les cris qui s’intensifiaient. Un enfant qui devait avoir dix, ou douze ans, a mordu la main de Natsis qui s’apprêtait à l’égorger et lui a écrasé le pied avant de détaler à toutes jambes.
Je ne sais pas jusqu’où il espérait aller mais mon fendoir s’est envolé pour l’interrompre dans sa course et a ainsi épargné à mon ami la peine de devoir lui courir après.
- Mihail !
Le cri avait résonné comme une complainte mêlée à de la rage. C’était une femme qui l’avait poussé, une brune qui devait avoir une trentaine d’années, probablement la mère de l’enfant que je venais de tuer. Elle a franchi la frontière que formaient mes hommes et a couru vers moi, sans doute pour m’arracher les yeux avec ses ongles ou me trancher la gorge avec ses dents. Je l’ai laissée s’approcher autant que possible puis j’ai attrapé un de ses bras que j’ai tordu dans son dos pour l’immobiliser. Ensuite j’ai passé mon autre bras autour de son cou.
- On ne peut pas tous être des gens biens, lui ai-je soufflé avant de lui briser la nuque.
Une fois que tout le monde eut nettoyé le sang qui restait sur leurs armes nous avons enterré les corps de l’autre côté de la frontière, par-delà les montagnes afin qu’aucun attroupement de charognards ne vienne éveiller des soupçons.
Nous avons également soigneusement entreposé le ravitaillement, pour que nos troupes puissent le récupérer lorsqu’elles prendraient l’endroit.
Notre mission était plus qu’accomplie : nous devions affaiblir une garnison et nous l’avions décimée. Cette guerre qui n’avait pas encore commencé s’annonçait sous un jour favorable.
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