Panthère dressée

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  C’est dans les montagnes de ce pays, que nous avons par la suite rencontré Snike : un héritier de la panthère assez… monomaniaque. Lui et son clan - qui était né d’esclaves ayant fui vers les confins du pays - vivaient en autarcie dans la périphérie du royaume et n’avaient qu’une seule passion : la chasse. Hommes et femmes étaient logés à la même enseigne, tout ce qui importait c’était si tu étais ou non capable de chasser quelque chose de plus gros et de plus dangereux que toi. L’héritage de Snike était assez conséquent et se présentait sous la forme d’une épaisse fourrure qui lui couvrait le dos et une partie des jambes, d'une queue, d'oreilles de fauves et d'une ouïe et d'un odorat particulièrement développés. Pour les habitants de son village sa naissance avait été un jour de fête tant son héritage semblait le prédestiner à devenir un grand chasseur des montagnes.


 Sa petite enfance avait été celle d’un enfant-roi, mais sitôt qu’il eut été suffisamment grand pour tenir et manier un couteau de chasse le ton avait changé. Son clan voulait faire de lui un chasseur dont les dieux eux-mêmes reconnaîtraient la valeur, et après c’est moi qui suis orgueilleux.


 Lorsque moi et les autres, en pleine mission de reconnaissance, sommes arrivés dans son village, cela faisait plusieurs années qu’il était devenu le seigneur de son clan de par ses exploits et il commençait sérieusement à s’ennuyer. Il fut un hôte des plus agréables : il était ravi d’avoir des nouvelles venant de plus loin que de la cabane d’à côté. Nous lui avons parlé de l’esclavage, de la révolte démarré par l’Aigle de Feu, des guerres qui avaient éclaté, mais il parut surtout intéressé par notre tâche en tant que commandos. Quand je lui parlais de tout ce que nous faisions et de comment nous le faisions j’ai bien vu qu’il était en train de faire le parallèle entre mes propos et une nouvelle sorte de chasse qu’il pourrait entreprendre, afin de le changer de son quotidien répétitif et sans véritable intérêt.

 Aussi, n’ai-je pas été surpris quand, le lendemain de notre arrivée il m’annonça qu’il venait avec nous. Il était encore jeune à l’époque, plus encore que moi que beaucoup trouvaient trop jeune pour mon poste, et j’avais encore du mal à juger la valeur des gens que je ne connaissais pas bien, alors j’ai refusé. Je lui ai dit que s’il parvenait à rejoindre notre armée qui progressait alors, il pourrait s’engager et peut-être devenir un commando. Et nous sommes partis après un rapide au revoir.


 Le matin suivant j’ai trouvé à mon réveil une pierre taillée en pointe posée près de mon couchage. Lorsque le soleil était au zénith une flèche venue de nulle part se planta dans un arbre à deux centimètres de mon crâne. Et alors que la nuit était tombée j'ai trouvé Snike avec Cutler, à l’écart du campement, chacun plaquant son poignard sur la gorge de l’autre.

 J’ai alors révisé mon jugement et intégré ce jeune natura à mon escouade : il était bien plus doué que je ne le pensais. Mieux valait l’avoir parmi mes hommes que vexé et dans la nature.


 Malgré le fait qu’il découvrait le monde il se révéla d’une efficacité redoutable sur le terrain, ses talents de chasseur s’adaptant parfaitement à toutes sortes de missions. Son incroyable patience et ses dons naturels pour traquer une proie ont rapidement fait de lui un tueur des plus redoutables face à un nouveau type de proie qu’il découvrait mais appréciait déjà : les humains. Il devint notre chasseur de commandos attitré et il a toujours semblé aimer ce rôle.

 Un soir je lui ai demandé si sa vie au village lui manquait parfois. Il a ri un moment puis a sorti son couteau de chasse de son étui.


- Mon père m’a offert un excellent couteau le jour où j’ai eu douze ans, une très bonne lame qui m’a beaucoup servi. Mais quand j’ai mis la main sur celui-ci j’ai su que j’avais trouvé mieux et j’ai offert le couteau de mon père à un autre gamin du clan à qui il serait utile. Tu m’as montré une nouvelle façon de vivre Leyk, j’ai laissé l’ancienne au clan car ça me semblait être la bonne voie à suivre. Je ne regrette pas ce choix et peut-être qu’un jour je verrai commencer devant moi un meilleur chemin que celui que nous parcourons pour le moment. Mais ça m’étonnerait.


 Un beau discours plein de ferveur et de passion. Je commençais un peu à cerner son caractère : tout ça n’était pour lui qu’un jeu dans lequel il pariait sa vie contre celle de son ou ses ennemis quels qu’ils soient, humains ou animaux. C’était une bonne chose qu’il prenne ça avec simplicité tout en s’y investissant autant, mais il fallait également qu’il prenne conscience de l’impact de nos actes pour notre peuple et notre jeune royaume.

 Je lui ai donc confié une opération devant se dérouler dans une foire aux esclaves : un rassemblement d’esclavagistes professionnels se réunissant pour faire affaire entre connaisseurs éclairés. Celle-ci était particulière par deux points : déjà, certains des pontes faisaient des dons généreux à l’armée et ensuite, l’homme qui chapeautait toute l’organisation de la foire était un natura. Sa mort et celles de ses collaborateurs porterait un rude coup à nos ennemis et nous feraient à tous beaucoup de bien.


 Nous ne pouvions pas espérer libérer calmement les esclaves présents à ce rassemblement, il y avait beaucoup trop de gardes. Dans le meilleur des cas nous pouvions déclencher un soulèvement dans ce ramassis de chaînons, au pire nous nous contentions de nos cibles prioritaires. J’ai envoyé Cutler et deux autres commandos pour épauler Snike en insistant bien sur le fait qu’il était à la tête de cette opération, ce que Cutler n’a pas relevé. J’aurais préféré envoyé Remd ou Natsis mais leurs défauts physiques les auraient rendus trop voyant dans cet attroupement d’esclaves pour riches. Nous savions que ce traître à son sang se dissimulait parmi les esclaves et usait d’artifices magiques pour garder le contrôle sur son maître fantoche, Snike allait devoir le repérer et l’éliminer pendant les cinq jours qu’allait durer ce grand marché. Si passé quatre jours il n’était pas sûr de l’identité de notre négociant il avait ordre de se replier, pendant ce temps Cutler et ses hommes devaient préparer un éventuel soulèvement de masse et faciliter le travail de Snike vis-à-vis des généreux donateurs. En toute franchise même si j’étais assez confiant en la capacité de ces hommes à survivre je n’étais pas très sûr de leurs chances de réussite.

 Il lui aura fallu trois jours pour flairer l’odeur de la magie - lui-même ne savait pas que c’était possible avant cette mission - et trouver sa cible. C’était un natura héritier de la méduse aux doigts empoisonnés qui se tenait toujours à quelques mètres de son propriétaire officiel. Il les a tués le soir même sans préparation aucune, en se laissant guider par son instinct comme il disait. Il m’a raconté qu’il a profité d’un passage aux latrines de la méduse pour s’infiltrer dans la tente et égorger l’humain avec sa propre dague d’apparat. Puis il a paisiblement attendu que le véritable cerveau de cette écœurante réunion revienne pour lui sauter dessus, de face. La suite n’est pas vraiment clair et, quand on prend en compte la fâcheuse tendance de Snike de déformer ses histoires à chacun des récits qu’il en fait, c‘est assez logique.


 Remd a toujours été partisan de la théorie qu’il s’agissait d’une volonté d’enjoliver les choses selon ses humeurs mais je pense que Snike ne se rend même pas compte du phénomène.


 Dans un cas comme dans l’autre je n’ai jamais été vraiment sûr des détails techniques mais au bout du compte cette nuit-là il avait tué un traître à sa race. C’était la première fois qu’il tuait un natura, quelques semaines après avoir tué son premier humain. Il m’a dit ne pas avoir ressenti de différence entre la méduse et son « maître » ou entre cet humain et les précédents.


- Il n’y a aucune différence, lui ai-je alors répondu, nous sommes de chair et de sang, nous avons une vie qui est longue ou courte et une mort qui est rarement douce. Ce qui différencie les gens, peu importe leurs races, c’est leurs noms, quand tu tues quelqu’un dont tu connais le nom ou la vie, tu peux connaître l’impact que ça aura sur le monde, à petite ou à grande échelle. C’est pour ça que je veux la fin de l’esclavage et la paix, pour que tous sachent l’impact que peuvent avoir leurs vies sur celles des autres et qu’ils cessent de tuer aussi facilement.


 Et les conséquences de ses actes il a pu les voir, j’avais donné des instructions claires à Cutler : il devait anéantir cet endroit. Bon sang il a fait un super boulot ! Il a répandu des rumeurs dans tous le camp, selon quoi un des esclavagistes aurait vendu des informations au Loup Noir en échange d’un pardon et que l‘armée natura était en route pour la foire. Le tout en repérant les esclaves avec suffisamment de volonté pour envisager autre chose qu’une vie enchaînée et les préparant à ce qui allait suivre. La mort de la méduse et de son maître a déclenché une véritable furie paranoïaque au sein des esclavagistes et bien sûr il l’a amplifiée : le soir même un autre ponte mourrait et sa tente était incendiée.

 Le dernier jour fut le théâtre de règlements de compte et de batailles rangées entre les différents groupes, des humains s’entre-tuaient pendant que la précieuse marchandise natura observait bien sagement le massacre. Enfin, bien sagement au début, jusqu’à ce que Snike et Cutler parviennent à se mettre d’accord sur le meilleur moment pour qu’il en soit autrement. Dès lors les esclavagistes, leurs serviteurs et leurs gardes - en sous-nombre - ont commencé à se faire exterminer de manières plus ou moins sanglantes.


 C’est quand je lui ai montré la joie de tous ces hommes, ces femmes et ces enfants à présent libres que Snike a compris ce que j’essayais de lui apprendre. Honnêtement cela a pris encore un certain temps pour qu’il devienne réellement civilisé, mais il y avait de quoi être fier du résultat.

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