Partie XIV

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Eddy sentit un gros nœud lui ficeler l'estomac.

— Mais non, pas du tout ! s’insurgea-t-il.

— Alors quoi ? lui demanda Isidore en lançant un regard blessé.

Eddy ne répondit pas, mal à l'aise.

— Le problème vient du regard des autres dont t'es fan, c'est ça ? Ceux que tu peux pas tromper avec moi parce qu'ils ont des yeux et des oreilles partout, hein ? À moins que ce ne soit autre chose, n'est-ce pas ? poursuivit le brun, laissant transparaître une légère colère.

Eddy leva les yeux au plafond, se mordant les lèvres tellement il se sentait gêné, d'autant plus dû au fait qu’Isidore tombait partiellement juste.

— Alors, pourquoi m'avoir jeté à ce moment-là ? Si l'idée que les autres te voient avec un mec t'emmerde, pourquoi être allé aussi loin ? C'est pas spécialement crédible, tu me l'accordes.

Le jeune homme entortilla ses doigts, et reprit.

— Je suis plutôt d'avis, comme tu l'avais si bien dit avant, que je suis un gros thon à tes yeux et qu'au moment où t'as senti que t'allais devoir rendre la pareille, tu t'es dit que c'était pas possible, j'étais vraiment trop affreux pour toi, pauvre chou...

Edouard soupira, ouvrant la bouche pour s’exprimer. C’était sans compter sur Isidore, qui ne comptait pas mettre un terme à son monologue.

— Ça, cumulé au fait que t'as honte de moi parce que d'une, ben je suis moche, de deux je suis pas comme tes potes, de trois je suis un mec, de quatre je suce comme une quiche, de cinq j'ai pas de style, de six je suis con, de sept ajoutons que je suis taré, de huit je suis encore plus moche qu'en « un » car en plus je suis super maigre, de neuf je suis encore plus naze qu'en « quatre » mais t’as pas osé le dire, de dix je suis encore plus moche encore qu'en « un » et en « huit » car en plus j'ai l'air plus mort qu'un cadavre.

Eddy écarquilla les yeux.

—Tu vois, je comprends bien pourquoi tu veux pas de moi, acheva Isidore, laconique.

— Putain ! Mais non ! C’est pas vrai ! s’exclama le châtain, outré.

— Ah, parce que tu crois que j'ai oublié ce que t'as balancé hier ? « Espèce de merde », « va te faire refaire la tronche », « t’es trop laid », « tu ressembles à rien » et j’en passe, sans compter ma préférée : « on me paierait que je préfèrerais crever que de t'emballer ». Au moins ça, c'est fait.

Gêné, Eddy baissa les yeux, fixant le sol, se sentant comme un enfant pris en faute.

— Je peux te dire, poursuivit Isidore, j'ai jamais complexé de ma vie sur mon physique — que je trouvais plus qu'honorable jusqu'alors —, mais toi t'as réussi l'exploit de me faire me sentir mal dans ma peau. Je devrais presque t'applaudir mais je le ferais pas, j'ai trop peur de briser mes mains de squelette, reprit le brun, amer et sarcastique.

— Je voulais pas... commença le châtain, avant d'être interrompu par l'aîné.

— Bien sûr ! T'as dit tout ça sans vouloir. Quoique, vu ce que t'as dans le crâne ça m'étonnerait même pas. Un peu d'honnêteté te tuerait pas, tu sais. Et tu pourrais au moins savoir ce dont tu as envie, parce que le « un coup je t'insulte, un coup je te roule des pelles », ça t’aide pas à paraître moins con, asséna Isidore.

— Ferme. Ta. Gueule, prononça distinctement Eddy, qui n'était pas friand des monologues du brun, et qui avait aussi envie d’en placer une.

— Alors vas-y, parle… tu vas me détromper ? Tu m'as jeté pour quelle raison spécifique alors ? J'avoue que j'hésite entre « tu suces pas aussi bien que l'autre pouffiasse de voisine » — oui, j’ai été jaloux d’elle, quel abruti j’ai pu être ! —, et « t’es trop moche pour rester près de moi ». Sachant qu'il y a moyen de combiner les deux, termina-t-il.

Isidore était on ne peut plus déchaîné. Au comble de la gêne, Eddy ne savait même pas quoi lui répondre.

— T’es relou, je sais pas ce que tu veux que je te dise, répondit-il, perdu.

— La vérité, non ? C’est pas toi qui voulait me dire quelque chose ? Je te rassure, t’es plus à ça près question humiliation, affirma le brun, venimeux, ses mains terriblement nerveuses toujours sur ses genoux tandis que le châtain ne cessait maintenant de passer les siennes sur son visage.

— Okay... fit simplement Eddy, se secouant pour rassembler ses esprits, assommé qu'il l'avait été par les dires d'Isidore.

L'aîné le toisa, souhaitant laisser transparaître une colère froide. Ça ne fonctionnait qu’à moitié, il avait aussi l’air meurtri.

— Bon. Les rumeurs et l'opinion des autres m'emmerdent et oui, tu fous la honte. C'est vrai, t'as pas de style, tu t'habilles mal, tu te coiffes pas, tu t'arranges pas on va dire, et en plus t'es ridicule... je continue ? questionna Eddy, ne souhaitant pas vraiment enfoncer une porte ouverte.

Mais Isidore hocha la tête.

— Tu dis des trucs qu'on comprend jamais, alors c'est pas facile de t'intégrer dans un groupe et de te faire passer pour quelqu'un de normal. En plus, je suis sûr que t'as même pas envie d'être dans un groupe de potes. On est pas du tout faits pour être ensemble, tu vois bien ! J'ai pas envie de faire genre je passe au-dessus, et je suis désolé de te dire ça, exposa finalement le châtain en toute honnêteté, malhabile et avec un nœud aux tripes d'autant plus intense.

— Oui, bon, sois gentil, fais pas de bruit, répliqua simplement le brun, tendant l'oreille vers Eddy-ne-savait-où.

Le plus jeune resta planté là, perplexe, tandis qu'Isidore quittait la pièce, le laissant seul quelques minutes.

— Tu disais quoi déjà ? lui demanda l'aîné en revenant ; une fois la porte de sa chambre soigneusement refermée.

— Euh... commença Eddy, avant d'être interrompu par le brun.

— Non, c’est pas la peine de te faire chier à me redire ça, je me souviens parfaitement que c'était très désagréable, dit Isidore.

— Cevi, putain... tu sais, franchement si on enlève ça, je t'aime vraiment bien, bougonna le plus jeune, faisant de grands gestes en plein milieu de la pièce, son hôte l'observant sans ciller.

— En gros, tout ce qui fait que je suis moi mis à part : tu m'adores, ricana nerveusement le brun.

— Non, mais...

— Parce que tu penses que personnellement, j'ai envie de me balader avec toi main dans la main ? Tu crois que j'ai envie que tout le monde soit au courant de ça ? Tu crois que tu me fais pas honte non plus avec tes attitudes de gamin trouillard, ton style vestimentaire tendance de mes deux, et ton parlé de débile ? le coupa l'aîné, d'une voix basse mais farouche.

— J’ai capté... marmonna le châtain, les sourcils froncés. Mais tu sais quoi ? C’est toi qui me court après, non ? Et c’est toi qui est vexé comme un clou — un pou, pensa très fort son interlocuteur —, pas moi. Parce que la vérité gros, c’est que crari tu penses ce que t’as dit ? Tu me kiffes, et t’as la haine. Mais moi, je suis sincère. Toi, non.

Isidore ne pipa mot, se contentant d'agresser physiquement son couvre-lit.

— Toi, t'es pas comme moi, poursuivit Eddy. C’est pas vital pour toi que les autres t'apprécient et parlent pas dans ton dos pour dire de la merde. Moi, j'meurs si j'perds mes potes, c’est ma vie ! affirma-t-il.

— T’as pas encore compris que dans ton foutu monde d'hypocrites, vous faites tous genre ? Tu crois sincèrement que parce que ta bande de guignols et toi vous vous dites potes, que vous vous adorez sincèrement ? Ouvre les yeux : c'est déjà rare d'avoir un bon pote, un ami sur qui tu peux compter, alors toute une bande ! C'est déjà pas simple de s'entendre à deux, mais alors à cinq ou à vingt, je te dis pas le bordel ! s’emporta Isidore.

Il chuchotait avec hargne, les yeux brillants. Il reprit.

— Tu crois qu’ils sont honnêtes avec toi, eux ? Tu sais ce qu'il y a de merveilleux avec les rumeurs, c'est que ça touche jamais les principaux intéressés. Toi, con comme t'es, tu t'es dit qu'il n'y en avait aucune te concernant vu que tu l'entendais pas !

Le châtain déglutit, ne sachant que dire ; son silence permettant au brun de reprendre sa diatribe.

— T’es qu'un abruti pour croire que parce que t'entends rien de mauvais à ton sujet, tout le monde t'adore et t'as que des copains et copines. À ton avis, pourquoi j'ai débarqué l'autre nuit ? Je t'ai vu à la fenêtre et j'ai pensé aux rumeurs que je connaissais et qui te concernaient. Je me suis dit « pourquoi pas tenter ta chance, il y en a peut-être une ». Tu te demandes quelles sont ces rumeurs ?

Eddy devint livide.

— Sache donc que la moitié des gens dans cette rue pensent que t'es un petit pédé. Certains le pensaient déjà à tes airs un peu maniérés, mais devine qui a amplifié cette jolie rumeur ? L'autre pétasse avec qui t'es sorti. Ça t'en bouche un coin, hein ? Elle aurait parlé à quelqu'un, qui aurait parlé à quelqu'un, et ainsi de suite. Vive les potes !

Edouard recula de deux pas, se retrouvant dos contre la porte

— Apparemment, t'étais pas assez viril avec elle et tu semblais te poser des questions sur ta sexualité. Tu donnais pas l'air d'avoir envie d'elle, tu lui as vraiment laissé l'impression que les mecs t'intéressaient bien plus que les filles.

Isidore se tut quelques secondes et croqua violemment dans le biscuit posé sur le paquet transporté par les bons soins du plus jeune, puis poursuivit, les larmes coulant sur ses joues.

— La voilà ta foutue vérité, Edouard. C'est pas parce que tu fais plein d'efforts pour aimer les autres et être accepté par eux que c'est le cas. Tu vois, qu'on fasse bien illusion ou pas, dans le fond c'est la même pour tout le monde. Seule l'attitude apparente des gens à ton égard change. Si t'es faux-cul, ils te diront pas qu'ils t'aiment pas, si t'es franc, ils te le diront.

Le biscuit dévoré, le brun en attrapa un autre avant d'achever son discours.

— Je voulais pas te dire tout ça, mais c’est ce que tu voulais savoir, non ?

Il essuya ses larmes d’un revers de la manche. Son nez dégoulinait aussi, mais il n’y prêta pas attention.

C'était désormais au tour du châtain de se sentir extrêmement blessé. Tête baissée, sans un mot, il quitta la pièce et descendit au rez-de-chaussée. Il salua poliment la mère d'Isidore, le regard perdu. Il quitta la maison par la porte donnant vers le bois, au grand étonnement de la femme, et s'en alla à l'orée dudit bois pour empêcher ses yeux humides de céder.

La tête penchée en arrière, il espérait ainsi que les larmes refluent vers ses glandes lacrymales et oublient leur envie de s'écouler. Fermant les yeux très fort et tentant de respirer normalement, Eddy peinait à avaler sa salive et ne parvenait pas à digérer les mots du brun.

C'était dingue, tout de même... Il en avait fait des choses pour cacher ça et ça n'avait servit à rien, il avait immédiatement été mis à nu. Eddy savait qu'il avait eu de gros doutes qu'il avait sans doute laissé transparaitre — malgré ses tentatives pour tout cacher — quelques temps auparavant, ce d'autant plus avec cette fille en question, la première qui avait eu une certaine importance pour lui. Ses amis étaient peut-être tous au courant... dans ce cas, pourquoi certaines filles sortaient quand même avec lui ? Serait-ce que la nouvelle n'avait circulé que dans l'impasse ? Et Anthony, savait-il ?

Affolé, perdu dans ses questions et réalisant soudain l'horreur de la situation, Eddy trébucha, la vue brouillée par les larmes qui se stockaient sans pour autant couler. Il plaqua ses mains tremblantes sur son visage, ne sachant que faire. C'était stupide, mais il pensait qu'il y avait urgence. Comme si ce qu'il venait d'apprendre était quelque chose de nouveau et que d'un instant à l'autre, quelqu'un appellerait toute sa famille pour leur annoncer la nouvelle.

S'appuyant contre un tronc d'arbre, Eddy songea à aller voir Anthony. Après tout, il était son ami, son vrai ami, celui qui jamais ne l'avait abandonné depuis toujours. Il n'y avait aucune raison pour qu'il le fasse un jour, le châtain essayait de s'en convaincre.

Une main le prit brusquement par l'épaule et le secoua.

— Ça va aller, y a pas mort d'homme, murmura Isidore.

— Ta gueule ! Tu captes rien ! s’exclama Eddy, rageur, clignant des yeux comme jamais pour retenir ses larmes.

Il se détacha du brun et s'éloigna maladroitement, zigzagant.

— Bien sûr que je comprends ! Je voulais vraiment pas te blesser, écoute, sinon je te l'aurais avoué avant... Je vais t'expliquer pourquoi je t'ai révélé ça... dit Isidore en rattrapant le plus jeune.

Eddy stoppa son avancée et plié en deux, les mains sur les genoux, il se contentait de respirer bruyamment tout en grimaçant.

— Je voulais juste... Comment dire... Tu vois... Enfin, ils connaissent déjà ces rumeurs. Pas tout le monde, mais certaines personnes dans la rue. T'en es pas mort, ils savent déjà depuis un certain temps, et tout va bien. T'as pas perdu de prétendus amis et quoi que tu fasses, la rumeur est lancée. Ce genre de truc, ça te suit jusqu'à ce que tu te barres, et si tu restes, ça continuera peut-être même après ta mort, expliqua l'aîné en plaçant de nouveau sa main sur l'épaule du châtain.

Eddy grogna et plaqua une main sur sa bouche.

— Putain, j’ai envie de gerber, marmonna-t-il.

— Vas-y, si ça te fait du bien, répliqua Isidore, lui tapotant sur l'épaule.

Le plus jeune se contenta de cracher par terre tandis que le brun reprenait la parole.

— En tout cas, si t'as besoin de quelqu'un avec qui parler, je suis là... même si tu m'as traité comme une merde, moi, je t’aime bien, et ça me plairait qu'on essaie de construire quelque chose ensemble, tous les deux dans notre coin, sans s'occuper du reste de la planète, chuchota-t-il.

Ses yeux brillaient encore : un reste de larmes, et un fond d’espoir mal contenu.

Eddy leva la tête en direction d'Isidore et esquissa un léger sourire avant de le prendre dans ses bras.

— S’il te plait, excuse-moi pour ce que j'ai dit, c'était pas contre toi, affirma le châtain tout en entraînant le brun dans cette accolade à la fois virile, tendre et chargée de peines et de remords.

— T’en fais pas, ça ira, répondit simplement Isidore.

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