Chapitre 01
ETE
Le mercure grimpe rapidement ici l'été. Nous ne savons pas où nous sommes, et nous ne savons pas pourquoi nous y sommes. L'été doit être vécu, et c'est comme ça.Aussi, il fatigue les habitants, leur procure l'oubli et l'assoupissement. Il est cependant pardonné par sa gentillesse et sa beauté.
Le temps serait-il aussi beau sans lui ? Le ciel est toujours bleu, les étoiles toujours visibles la nuit et heureusement, car Agathe passe son temps dehors lorsque le soleil se couche pour les observer et les introduire dans ses rêves comme protagonistes évidents.
C'est si beau, dit-elle à chaque fois, si seulement tu pouvais venir les regarder avec moi.
***
« J'aime la mer. » Répète Agathe, penchée sur les chaînes qui délimitent la zone de sécurité à ne pas franchir, elle ne voudrait pas tomber. Le vent lui passe sur le visage, et si ses cheveux n'étaient pas attachés, ils voleraient dans tous les sens. Poussant son bateau à la mer, le père de la jeune fille se met à rire.
« Je prendrai la mer d'ici peu, c'est une évidence, et je visiterai des lieux inédits. Je rapporterai des souvenirs de contrées lointaines, j'apporterai du savoir et de la nouveauté et un vent frais glissera sur nos terres.
— Je n'en doute pas. » Son père rit de nouveau, avec un sourire large semblable à celui d'un grand-père aux joues rougies par le temps et la bienveillance. Depuis le pont, il fait un grand pas jusqu'à son bateau qui tangue pendant quelques secondes, puis, avec fierté il pose ses mains sur ses hanches.
« Et voilà !
— Ton bateau est terminé ? » La réponse est sûre, pourtant il se contente d'un « Je crois bien oui. »
Cette partie du port réservé au petit chantier naval de Monsieur Ford est en plein soleil, celui-ci se frotte le front après plusieurs heures de travail pour terminer cette commande. Ce n'est pas un gros navire de guerre, il n'a pas les moyens pour d'aussi grosses productions, mais son petit commerce de petits bateaux suffit à les faire manger lui et sa fille. Les fins de mois sont même plutôt bien gérées et parfois il offre de très beaux livres à Agathe. Elle participe beaucoup à l'élaboration des créations de Monsieur Ford, et tout travail mérite salaire.
Ce sont majoritairement des bateaux de pêche qui ne partent pas plus loin que le phare du village, commandés par les marins du Sud, parfois des barques à but purement créatif, d'ailleurs, Monsieur Ford est davantage considéré comme un artiste plutôt qu'un charpentier naval. Heureusement pour lui, beaucoup des habitants de ce village apprécient ses œuvres, et ses bateaux deviennent avant tout des objets de collection.
« Celui-ci prendra-t-il le large ?
— Oui, il voyagera. Son propriétaire m'a assuré qu'il s'en servirait pour partir vendre des épices dans les îles du Sud. » C'est avec un sentimentalisme de regret qu'Agathe constate que ce bateau n'ira pas bien loin finalement. Les îles du sud ne se trouvent qu'à une trentaine de kilomètres des côtes, là-bas, tout droit où se dirige son regard.
« C'est un joli bateau. » Se contente-t-elle de dire en s'asseyant sur le bord du pont, le bois craque légèrement sous le mouvement, il serait peut-être temps de le rénover.
« Viens avec moi, nous allons le ramener vers le port. » Agathe et son père tirent le bateau le long du canal jusqu'au parking avec les autres embarcations.
Monsieur Ford a plusieurs places qui lui sont attribuées pour ses propres bateaux ainsi que ceux qui seront vendus. Le bois est toujours sculpté de façon douce et précise, les décorations composées d'arabesques et de motifs floraux, rappelant la nature ou la mer. Il lui arrive de les peindre à ses heures perdues et tout le monde ici est capable de les reconnaître.
Agathe est très fière de son père, elle l'imagine construire des galions, des bateaux gigantesques qui sillonneraient les mers et les océans. Ils pourraient même faire le tour du monde. Toutes les civilisations s'arracheraient les talents de Monsieur Ford, il aurait beaucoup de commandes et gagnerait beaucoup d'argent, son travail serait pleinement épanouissant. Malheureusement pour lui, il n'est pas capable de construire d'aussi grands navires seul, même si Agathe vient lui filer un coup de main de temps en temps. Ce n'est sûrement que temporaire, il y parviendra, elle en est sûre.
Quand le bateau est amarré au port, Monsieur Ford et sa fille ramassent les outils laissés au sol et prennent le chemin de la maison, elle n'est qu'à quelques rues d'ici, il est plus facile pour Monsieur Ford d'habiter près du port.
« Dis-moi Agathe, je n'ai pas vu Mercure aujourd'hui. Sais-tu où il est ?
— Je ne sais pas. Impossible de savoir où il est, où il va.
***
Le port est loin d'être son endroit préféré, même si la mer et les vagues ont quelque chose d'attirant, un je-ne-sais-quoi qui le pousserait à rester les observer des heures. Le vent peut-être, le courant, le mouvement. Toutes ces choses dont il n'est pas à l'origine.
Aujourd'hui c'est tout en haut des rochers contre lesquels la mer se bouscule qu'il s'est assis pour observer l'horizon. Il se demande ce qui peut bien se trouver là-bas, où on ne voit rien. Il est difficile d'imaginer quelque chose que l'on ne peut pas voir, pourtant, les livres sont très précis, ils décrivent des villages bien plus grands et modernes, ou vivent des héros et des grands hommes à l'origine des règles de ce monde. Cependant, il a tout autant peur d'être déçu, et si c'était seulement la même chose qu'ici, ou bien même pire. Les livres peuvent nous raconter ce qu'ils veulent, tant qu'on ne peut pas voir, on peut croire, ou ne pas croire. C'est une sensation absolument frustrante pour Mercure qui se questionne régulièrement sur le monde qui l'entoure.
À ne pas cligner des yeux pendant aussi longtemps, il finit par avoir mal et doit tourner la tête, le soleil cognant droit sur lui. C'est à ce moment qu'il entend son nom en bas des rochers.
« Mercure ! Tu viens te balader avec moi ? » Le visage de Mercure devient radieux une fois qu'il reconnaît Agathe. Elle n'ose jamais grimper sur les rochers par peur de se blesser, son père l'a souvent mise en garde.
« J'arrive ! » Avec des mouvements maîtrisés, le garçon descend prudemment les énormes rochers pour se retrouver dans le sable devant Agathe, il a malencontreusement enseveli les pieds de la jeune femme.
« Tu m'as mis du sable partout.
— Une bonne raison pour aller se baigner dans le lac non ?
— Tu es malin. »
Dans la satisfaction générale, les deux amis se mettent en route, direction l'entrée d'un parc naturel qui se trouve bien plus au Nord du village. Pour y aller, il faut marcher un peu plus de vingt minutes. Même si ce village est un lieu calme et agréable, ils préfèrent prendre des chemins périphériques près des champ et croiser quelques agriculteurs en plein travail. L'après-midi est douce, mais les vêtements collent à la peau.
« Bonjour Agathe, bonjour Mercure. » Leur crie un vieil homme dans son tracteur, il est en train de labourer son champs avant le début de l'été. Ici, tout le monde connaît tout le monde, les nouvelles vont vite, il n'y a pas un nom ou une tête inconnue, en revanche, certaines se font plus discrètes.
« Bonjour ! » Répond Agathe avec joie, Mercure se contentera d'un salut de la main, il prête attention à sourire tout de même. Le tracteur s'arrête.
« C'est bientôt l'été, qu'allez-vous faire cette année ?
— Ho et bien... je ne sais pas... » Agathe dissimule une étrange gêne, et son ami hausse les épaules.
« Comme d'habitude je suppose. » Mercure n'est pas très enthousiaste non plus, son regard est fixé vers le sol poudreux de ce chemin de cailloux.
« Quelle ambiance les jeunes, amusez-vous bien tout de même. » Puis le grondement du moteur reprend, et s'éloigne dans le champ. Agathe et Mercure, quant à eux, tournent vers un plus petit chemin à droite, entre les arbres et les buissons, ici il faut faire attention au sol qui n'est plus très droit.
« Mercure ? » Le garçon s'arrête et se dispose de façon à écouter la jeune femme sur ses pas, se tenant aux arbres pour aborder la pente raide.
« J'aime bien les reflets roux de tes cheveux pendant l'été. »
Mercure n'est pas insensible à ce genre de compliment.
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