Chapitre 21
C’est d’un pas précipité que Monsieur Ford parcourt le long couloir du premier étage. Depuis le retour des habitants, le Docteur Willem s’est enfermé dans la chambre de l’auberge. Il règle l’addition chaque jour, et a bien sur remboursé le temps passé avec Mercure en l’absence du gérant de l’auberge. Quelques soirs au cours des dernières semaines, il venait dîner chez Monsieur Ford et Agathe, il ne restait pas longtemps. Pas d’humeur, pas d’envie, pas de motivation.
Monsieur Ford frappe à la porte de la chambre du médecin, et pousse la porte. Il le trouve en train de remplir sa valise, sur le grand lit deux places. Ses vêtements sont parfaitement pliés et repassés grâce à la laverie à disposition près de la buanderie du rez-de-chaussée. Ses chaussures sont cirées, son stylo favori rebouché, son carnet fermé.
« Vous partez ? » S’empresse de questionner Monsieur Ford en observant la valise se fermer pour de bon.
« Mercure va mieux, il n’a plus besoin de moi, mon ami n’est pas revenu, et je n’ai rien à faire de plus dans le coin. Il est temps pour moi de rentrer. » Le Docteur ressent de la déception, mais aussi de la satisfaction. Il n’a pas vu son ami comme c’était prévu mais à la place il a rencontré le plus étrange et fascinant des garçons d’un point de vue biologique. C’était peut-être une manigance de son camarade, le ramener jusqu’ici pour passer du temps avec Mercure, mais le Docteur Willem avait plus que hâte de revoir son ami.
« Vous devriez venir voir, il s’est passé quelque chose de bizarre avec Mercure. »
Le Docteur enfile son chapeau tout en riant avec une certaine discrétion. Il prend maintenant sa valise par la poignée horizontale.
« J’ai bien compris comment fonctionne ce garçon, si quelque chose de normale se passait, alors je m’inquiéterai.
— Je me suis blessé à l’atelier, et Mercure a fait disparaître la blessure seulement en passant ses mains sur les miennes. Regardez ! » Monsieur Ford tend les bras, on y voit encore clairement le sang séché sur ses vêtements et sur sa peau, mais pas la moindre trace d’une blessure quelle qu’elle soit. Monsieur Ford assure de nouveau qu’il ne sent plus rien, qu’il ne saurait même plus dire où se trouvait l’entaille exactement, alors le Docteur Willem repose lentement sa valise au sol.
« Nom de Dieu... » Jure-t-il en rehaussant ses lunettes.
***
Un peu moins d’une heure plu-tard, Monsieur Ford et le Docteur Willem rejoignent la propriété des Ford. Agathe et Mercure s’y trouvent, ils sont assis à la table en bois de la salle à manger. La fin d’après-midi donne une teinte orangée à absolument tout ce qui se trouve dans la pièce, il faut se dépêcher avant que la nuit pointe le bout de son nez.
« Mercure, mon garçon, qu’as tu fait ? » Demande le médecin en prenant place parmi les deux jeunes gens à table. Mercure se sent un peu mal de se retrouver encore une fois au centre de l’attention, et il a le sentiment d’avoir fait une bêtise, même s’il n’en est rien.
« Je ne sais pas... » Marmonne-t-il en détournant le regard. Sous la table, Agathe lui serre les mains.
« Tu n’avais jamais fait une chose pareille avant ?
— Non. Je n’ai pourtant rien ressentit de spécial. Rien de différent. J’ai seulement serré les mains de Monsieur Ford pour retenir le sang de couler d’avantage, et l’instant d’après, il n’y avait plus de blessure. S’il ne me l’avait pas montré, je n’aurais rien remarqué. » Le Docteur ressort son petit carnet et son stylo fétiche. Agathe caresse délicatement le bras de son amoureux.
« C’est absolument fantastique. Tu ne dois pas t’en vouloir pour quoi que ce soit. » Ils échangent un sourire réconfortant, quand le docteur se lève et avance en direction de la cuisine ouverte. De la vaisselle est en train de sécher sur l’évier, un long pot en aluminium contient des couverts dont seuls les couteaux sont retournés, le docteur en saisie un avec précaution.
Alors, Mercure devient tout blanc, des frissons lui parcourent les bras, et de mauvais, très mauvais souvenirs traversent ses esprits. Il se dit que peut-être, le Docteur Willem a changé d’avis et s’apprête à lui découper les entrailles pour comprendre ce qui cloche avec son corps. Il agrippe la main d’Agathe brutalement, et Monsieur Ford se lève d’un bond, barrant la route au Docteur.
« Eh ! Qu’est-ce qui vous prend ? » Le Docteur à de grands yeux ronds de stupeur, il retourne le couteau afin de le tenir par la lame et de ne menacer personne.
« Calmez-vous ! Je ne vais faire de mal à personne. » Le Docteur Willem rejoint la table sous les regards très sévères de Monsieur Ford et sa fille. Ensuite, il se retrousse les manches, pour l’instant, le couteau est posé à côté de lui. C’est un couteau de chef parfaitement aiguisé, à la lame blanche et au manche marbré. Monsieur Ford s’en sert pour à peu près tout cuisiner, que ce soit les légumes ou la viande. C’est un objet qui provient d’un set qu’on lui à offert il y a longtemps, il se porte pourtant toujours très bien. La seule chose que ce couteau n’avait jamais tranché, c’est la peau humaine.
Le Docteur Willem se munie de nouveau du couteau et la pointe en direction de sa main libre, posée à plat sur la table. Monsieur Ford s’affole d’avantage.
« Inutile d’en arriver à ces extrémités !
— Détendez-vous, je suis médecin. » Malheureusement personne n’est d’humeur à plaisanter ici, surtout en voyant la pointe du couteau entailler la paume ridée du Docteur. Les premières gouttes de sang jaillissent de la main, elles glissent lentement vers la table qu’il n’a pas prit soin de protéger au préalable. Un frisson douloureux parcourt le visage du Docteur, il s’estompe rapidement cependant, et maintenant, il se tourne vers Mercure, qui est horrifié par cette mutilation improvisée.
« Essaie, maintenant. Ne doute pas de toi ou de ce que tu peux faire, ou ne pas faire. Pose simplement tes mains comme tu l’as fait avec Monsieur Ford, et nous verrons bien ce qu’il se passera.
— Si je n’y arrive pas, vous vous serez blessé pour rien.
— N’y pense pas. »
Alors avec appréhension, Mercure se rapproche pour prendre entre ses mains celle du Docteur, et les serrer de la même façon qu’il a soigné la blessure de Monsieur Ford. Il observe le Docteur droit dans les yeux alors qu’il ne se sent pas très à l’aise et n’est pas persuadé qu’un miracle pareil puisse se produire une seconde fois.
« Je ne ressens rien.
— Attendons encore un peu. Moi non plus je ne ressens rien. »
Le Docteur ment, il ne s’en rend même pas compte. Il ressent la splendide chaleur des mains de Mercure, le sentiment de se retrouver directement en contact du soleil. Il oublie également la senteur particulière des fleurs jeunes que Mercure chérie tant. Tout ceci s’infiltre discrètement dans la plaie, personne ne s’en rend compte.
Au bout d’une bonne minute entière, Mercure retire ses mains et tout le monde scrute attentivement la peau du docteur.
Encore une fois, plus rien.
La fascination gagne les visages, le docteur bouge sa main dans plusieurs sens et inspecte ses propres sensations, plus rien, comme si rien ne s’était passé.
« Bon sang Mercure, te voilà meilleur médecin que moi ! »
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