Chapitre 25
Monsieur Ford n’a jamais douté des qualités d’aventurière d’Agathe, mais pendant cette nuit de pluie et d’orage, il s’est vraiment inquiété. A Vingt Deux Heure en ne les voyant pas revenir, il a commencé à chercher dans le village, sur le port, dans les jardins. Personne n’a pu le renseigner, personne n’a vu passé les deux adolescents.
Alors quand ils sont rentrés au petit matin, Agathe et Mercure se sont sacrément fait fâcher.
Une fois seul dans la cuisine, Monsieur Ford s’assied à la table avec un café tout juste coulé, et le nouveau journal qu’il a ramassé devant sa porte juste après s’être levé. Il se dit qu’à leur place, il aurait fait la même chose. Il aurait aimé passer la nuit loin de la maison et peu importe les conséquences si c’est pour passer du temps avec sa dulcinée.
***
Pour le reste de la dernière semaine de vacances, Agathe propose à Mercure d’aller remettre en état la Maison de Porcelaine. Cet endroit est trop précieux pour le laisser pourrir dans son coin, il faut sublimer les centaines de petites œuvres d’art, mètre en valeur sa splendide architecture.
Cette fois, la jeune fille décide d’agir de façon responsable et de montrer sur une carte de la forêt où ils vont passer du temps. Agathe et Mercure préparent deux sacs remplies de chiffons et éponges, de produit à vitre, de plumeaux, d’une serpillière, de papier essuie tout. Ils prennent également avec eux deux balais, un sceau d’eau chacun, et surtout de quoi grignoter pour ce midi. Agathe emporte avec elle le vieil appareil photo de son père, elle aimerait prendre quelques photos de la maison et les coller dans son carnet. Et puis, ils garderont des bons souvenirs de ce temps passé à la Maison de Porcelaine.
Pendant le trajet dans la forêt ils discutent, plein de petit oiseaux gazouillent dans les arbres et profites des petites flaques d’eau laissées dans l’herbe et sur les feuilles. Le soleil est revenu naturellement, toute cette eau aura déjà séchée dans l’après-midi. Mais Agathe n’est pas complètement encrée dans la conversation, elle ne peut s’empêcher de jeter un œil derrière elle toutes les deux minutes, de peur de revoir surgir Dylan et sa bande d’amis idiots, près à tout démolir par plaisir. Elle n’a pas parlé de la visite d’hier soir de son ex petit copain à Mercure.
« Est-ce que tout va bien ? » Finit par s’inquiéter Mercure. Agathe lui sourit en lui assurant que ça va, il lui prend le sceau des mains.
Le chemin est de plus en plus mémorable, ils passent à côté d’un énorme rocher plein de mousse et de lierre, puis un arbre qui se divisent en deux branches principales. Des tas et des tas d’oiseaux y vivent, ils ont des couleurs stupéfiantes. Non loin de là on peut même apercevoir le cour d’un ruisseau qui coule tranquillement entre les rochers plus discrets. Quelques petites fleurs blanches sont en train de renaître, fondues dans la végétation humide.
Agathe ressent des airs de Printemps.
Arrivés dans la Maison de Porcelaine, ils posent leur affaires au sol. La première chose à faire est de réussir à ouvrir les volets, de cette façon ils travailleront baignés dans la lumière et faire le ménage deviendra une partie de plaisir.
Le bois est agrippé, Mercure doit tirer avec précaution pour ne pas les arracher. Des lamelles et échardes de déchirent pour s’effondrer au sol, la peinture s’écaille facilement et en laisse sur les mains du rouquin. Mais la première étapes est accomplie, les rayons du soleil se déversent en trombe dans la Maison de Porcelaine, et fait luire tous les objets vernis. On voit la poussière s’envoler et danser avec une lenteur apaisante.
« Regarde, j’ai ramené de la musique pour passer un meilleur moment ! » Agathe s’accroupit sur son sac et en sort une petite enceinte ainsi que son immortel MP3. Le câble qu’elle a ramené est ridiculement court mais suffisant. Elle pose l’ensemble sur la commode, entre les statues de porcelaine et allume enfin la musique. Quelque chose d’énergique et enivrant, elle a trouvé tout ça dans les CD de son père, ça se rapproche du rock’n’roll des années cinquante.
Aussitôt, les jambes d’Agathe se mettent à bouger, à faire des tours, à jouer sur le sol. S’amuser seule est égoïste, alors elle prend les mains le Mercure et l’invite à danser avec elle. Le plancher crisse, il craque dans tous les sens. Cette maison n’a jamais été aussi vivante.
Ce n’est pas dans les habitudes de Mercure de s’amuser ainsi, mais avec Agathe il peut tout faire. Il fait tourner Agathe, la fait sautiller sur elle même, puis l’emmène encore pour un tour.
Mercure a adoré cette époque. Il se souvient encore des après-midi à écouter de la musique sur le tourne disque chez les parents d’Amélie, c’était toujours le dimanche. Elle n’hésitait jamais à se lever et danser dans le salon avec son père, sa robe tourillonnait, ça lui faisait penser à un soleil.
« Aller Mercure, viens ! » Lui priait Amélie pendant que son père la faisait valser énergiquement. Parfois, elle manquait de perdre ses escarpins. Il répondait toujours non et baissait le regard, toujours dans l’objectif de fuir le devant de la scène.
« Il est bien timide ce garçon. » Ne cessait de répéter le père d’Amélie. Peut-être que le vieil homme ne l’appréciait pas beaucoup, Mercure n’était ni banquier, il avocat ou bien un homme d’affaire important. Il n’accumulait pas une grande fortune, il n’avait pas beaucoup d’assurance ou de charisme… Il ne rentrait pas dans les critères d’un bon mari définit pas le père d’Amélie. Ce jugement gênait Mercure. Ça n’avait pas duré très longtemps, Amélie et Mercure etaient tout juste fiancés.
***
Les heures avancent, et le calme est revenu. Le plus gros du travail est fait, ils ont balayé, nettoyé le sol, dépoussiéré les meubles, lavé les carreaux. A présent, Agathe et Mercure sont tous les deux assis par terre devant la table basse, à précautionneusement retirer les saletés sur les statues de porcelaine, à l’aide de pinceaux dont la jeune femme ne se serrent plus pour peindre. Le volume de la musique a baissé lui aussi.
Agathe jette un regard sur Mercure de temps en temps, quand il est concentré il se mord la lèvre inférieure, elle trouve ça infiniment mignon et séduisant. Alors sans avoir besoin d’une raison pour le faire, Agathe sur penche sur lui et lui embrasse la joue. Mercure ne lui pose pas de question, son visage est rougissant.
« Dis, Mercure, le 9 Juin 1941, c’était vraiment la date de ta majorité? » Depuis ce matin Agathe ne pense qu’à ça, elle a relu son carnet avec toutes les dates auxquelles Mercure est apparut dans le temps, et celle-ci l’intrigue plus que les autres. A cette question soudaine, Mercure lève le regard en face de lui, il ne lâche pas la porcelaine et son pinceau mais cesse son activité quelques instants. Le silence perdure pendant plusieurs secondes.
« Non. » Finit-il par répondre en se remettant à dépoussiérer.
« Alors pourquoi apparais-tu dans le registre? » Les questions d’Agathe ne sont pas là pour lui reprocher quoi que ce soit ou lui tirer la vérité de la bouche, le rouquin ne sent que de la curiosité justifié.
« C’était plus facile pour m’envoyer à la guerre. » Mercure pose la statue, puis en prend une autre, il en reste une dizaine à nettoyer. Agathe elle, à cessé de nettoyer, elle observe finement Mercure en attendant qu’il lui apporte des explications.
« Le pays avait besoin de soldats à envoyer au front, et moi j’étais là, on ne savait pas spécialement quel âge j’avais ni à quoi je servais. Alors on a décrété que j’avais dix-huit ans ce jour là, puis on m’a envoyé combattre. Mais je n’étais pas un très bon soldat… Le 9 Juin n’est sans doute pas la date de ma naissance, je ne m’en souviens pas. » Mercure réfléchit mais aussi loin qu’il se souvienne il n’a jamais fêté le moindre anniversaire, même après ce certificat improvisé. Depuis le temps, rien ne lui serre de compter les années.
« Mercure, quelle est la raison ? Comment se fait-il que tu ne te souviennes plus ? »
Aujourd’hui est un jour spécial. Ce genre de discutions n’avaient jamais eu lieu avec Agathe, ou même avec Monsieur Ford. Ça fait partit des secrets enfouis de Mercure, et voilà qu’Agathe meurt d’envie d’en savoir un peu plus. Ça ne changera rien. Jamais. Mais la curiosité d’Agathe est trop forte, elle espère découvrir des trésors dans la vie du rouquin, des souvenirs inestimables.
« C’est le temps.
— Le temps ? » Mercure pose à son tour le pinceau délicatement sur la table, il se coince dans la rainure du bois pour ne pas glisser vers le sol.
« Agathe, je crois que mes souvenirs débordent. Ma naissance est tellement loin, et il s’est passé tellement de choses… que mes premiers souvenirs sont obligés de disparaître pour faire place aux nouveaux. Ma mémoire est un verre d’eau qui déborde, mais qu’on tente de remplir inlassablement. Et je t’assure que je suis effrayé à l’idée d’oublier certains passages de ma vie qui me sont chers. Le temps a déjà effacé mon identité, je suis incapable de dire d’où je viens ou même seulement l’âge que j’ai. »
Agathe ressent plusieurs frissons lui traverser les bras alors qu’elle écoute Mercure, en le regardant droit dans les yeux. C’est une forme de tristesse qu’elle ignorait, que Mercure dissimulait ou bien qu’il évitait volontairement. Elle vient caresser sa main tendrement. Le rouquin répond aux caresses avec Amour en blottissant la jeune femme contre lui.
« J’ai décidé, il y a bien longtemps de ne plus y penser. Que c’était comme ça, qu’on ne pouvait rien y faire. Maintenant je ne pense plus qu’à faire éterniser les moments que j’aime, de les sentir le plus fort possible. Chaque seconde disparaîtra bientôt, je veux les charger de souvenirs intenses. Je ne veux plus que nous parlions de ça, Agathe, je veux apprécier le temps qu’il me reste avec toi.
— Mercure, si un jour tu te rappelais de ta naissance, tu me la raconterais ? »
Les joues rouges d’angoisse et la bouche qui se déforme au fur et à mesure que Mercure retient ses larmes, il réfléchit à la réponse la plus appropriée. Agathe sent la poitrine du rouquin s’élever un peu plus fort contre son oreille, elle lève une main pour lui caresser le visage. Sa présence est la plus efficace des tentatives pour le rassurer. Elle ne veut pas qu’il se torture l’esprit à se souvenir ou s’arracher la mémoire pour retrouver sa vie passée, ou de n’importe quoi qui puisse lui rendre une part d’identité.
Elle ne veut que sa confiance.
« Oui. »
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