Chapitre 29
La robe d'Agathe est noire, parfaitement sobre, sans atout particulier. Ses tennis sont noir également mais ses lacets sont blancs, elle n'en a pas d'autre. Elle ne se maquille pas et ses cheveux sont parfaitement attachés en un chignon propre derrière la tête.
Le miroir lui renvoie simplement qu'elle ne se plaît pas. Agathe préfère garder la tête baissée. Aucune lumière ne rentre dans sa chambre, c'est normale, le ciel était embrumé, complètement opaque.
Monsieur Ford frappe à la porte avec douceur, il est lui aussi habillé d'un costume noir et d'un chapeau. Pour l'instant le silence est installé, c'est un peu délicat, la voix de Monsieur Ford est chaude et réconfortante.
« On y va, Agathe ? » Un petit oui de la tête pousse ses jambes à avancer vers son père, l'une après l'autre, par petite enjambés. Elle vient se blottir contre lui comme lorsqu'elle était petite, puis se fait caresser la tête et embrassé le front.
« Cette période est toujours compliquée, je le sais. » Chuchote t-il en fermant les yeux. Le câlin fait du bien à Agathe, dans les cinq minutes plus part, ils se mettent en route.
Le voyage n'est pas très long et ils seront de retour avant ce soir. Ce n'est pas au cimetière de Dryade qu'ils vont, mais sur la baie d'un village voisin, où on voit la mer à perte de vue. Pour l'occasion, Monsieur Ford à sortie les clefs de sa vieille Studebaker, il ne s'en sert qu'une fois par ans, et outre ce jour, cela fait des années qu'elle ne sert plus.
Elle est stationnée dans un garage près de la sortie du village, ils y stockent aussi tout un tas de chose dans des cartons qui prennent la poussière.
Le rideaux dépliant grincent jusqu'à l'ouverture totale. Et la lumière ne s'allume plus automatiquement depuis des années. Agathe attend patiemment que son père aille démarrer la voiture, elle tient dans les main leur déjeuner dans un sac, ils iront pique-niquer dans un parc qu'ils connaissent bien pas loin de la baie, sur la même table en bois, sous le même arbre. La jeune femme tourne le regard vers les cartons sur le sol, elle est à quelque pas d'entre voir les livres qui sont à l'intérieur.
« Non Agathe, ne regarde pas s'il te plaît. Ne te fais pas de peine. » La voiture démarre, Monsieur Ford invite sa fille à venir s'asseoir près de lui.
***
Un énième caillou vient se frapper sur la baie vitrée de la chambre de Mercure, et c'est bien Dylan qui les lance, assis dans sur la pelouse du jardin, entre deux rejets de fumée de cigarette. Il en prend un autre dans la petite réserve d'une trentaine de cailloux dans un sac en plastique abîmé, puis le lance. L'impact produit un « Toc ! » qui résonne. Un autre garçon vient le rejoindre et s'assoit près de lui.
« Ça fait trente minutes que tu essaie de fracasser cette vitre et encore personne n'est venu te chasser.
— C'est parce qu'il n'y a personne aujourd'hui. A part ce connard qui dort.
— Ça ne le réveille pas. » Se met à glousser le garçon, il n'a pas l'air très malin. Dylan écrase sa cigarette dans l'herbe.
« Non, il est bizarre ce mec, il dort tout l'hiver. »
Le nouvel arrivant allume une cigarette à son tour, Monsieur Ford ne serait absolument pas contant de savoir que des jeunes se mettent à fumer dans son jardin pendant qu'il n'est pas là, peu importe ce qui est consommé. Ensuite il s'allonge sur l'herbe en s'appuyant sur ses coudes.
« Tu te venges de ce gars en jetant des cailloux sur sa vitre ?
— Non. » Dylan est sérieux. Le regard qu'il jette sur cette vitre qui le sépare de Mercure est plain de haine.
« OK. Et où sont les Ford ?
— Ils sont partis dans la baie de Femir, c'est à trente kilomètres d'ici. Tous les ans, pour la date de mort de sa mère. Enfin... on ne sait pas si elle est morte, mais il y a dix ans, elle a disparue en mer. » Un autre caillou se tape mollement contre la vitre. Dylan les a vu partir chaque année, et il se souvient aussi que chaque année, Agathe venait pleurer dans ses bras. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Mercure ne sait probablement rien de tout ça, et c'est lui qui mériterait de réconforter Agathe en hiver ?
« Heureusement qu'il ne peut pas se réveiller, ce pauvre con... »
Agathe tient fermement son bouquet de fleurs contre sa poitrine. Son père à une main posée sur son épaule et tous les deux ne parlent pas. Le mouvement des vagues est un peu agité, un léger souffle de vent leur glace le visage. Tous les ans c'est une sorte de calvaire qui rassure Agathe. Elle a peur d'oublier, elle est terrifiée, alors elle revient à chaque fois et se déchire le cœur. Son père la suit pour lui faire plaisir, même s'il pense que cette visite annuelle fait d'avantage de mal que de bien.
« Il y a une tombe à son nom au cimetière, mais sans rien ni personne dedans. La mère d'Agathe est dans la mer, quelque part. Alors pourquoi se rendre au cimetière alors qu'il n'y a personne ? Agathe à raison en un sens, mais sa mère n'est peut-être plus dans l'eau non plus. Quelle tristesse. » Explique Dylan alors que ses yeux n'expriment pas la moindre empathie. De la rage, toujours, et de plus en plus.
Ce caillou finit par s'enfoncer dans la vitre et crée un énorme impact. Le garçon à côté de Dylan sursaute. Mercure dort.
Agathe jette son bouquet à la mer.
Annotations