I

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Au bal des faucheuses

Dix-huit heures ; le carnaval ouvrait ses portes.

Élodie, une adolescente de dix-sept ans coiffé d’un bonnet noir, se présenta devant l’un des deux vendeurs de billet. C’était un homme d’une cinquantaine d'années habillé d’une salopette par-dessus un tee-shirt marron. Le nom Jordi était lisible sur le badge accroché à ses vêtements. Il demanda la modique somme de dix euros pour l’entrée étant donné qu’elle n’était pas une adulte. Avec un tampon, il lui fit une marque violette sur le poignet droit et lui fila un bracelet de même couleur avant de lui permettre d’entrer à l’intérieur du Festival.

Elle se sentait drôlement excitée. Élodie n’avait dit à personne qu’elle se rendait au carnaval, et de toute façon, personne ne se souciait d’elle. L’adolescente se balada entre les stands de jeux, se faufilant entre les étranges personnages qui parcouraient les allées, avec un air émerveillé plaqué sur son visage. Élodie aperçut une statue au détour d’un chemin. Celle-ci était grande et représentait une sorte de créature humanoïde avec de grandes cornes sur le crâne.

— C’est notre patron, dit une voix féminine la faisant sursauter.

Élodie se tourna vers son interlocutrice. Au loin, la vesprée venait. Elle haussa un sourcil en contemplant la personne en face d’elle. Une jeune femme de grande taille vêtue de l’uniforme des employés du carnaval, elle possédait une longue chevelure noire attachée en queue de cheval. Ses yeux bleus étincelaient dans l’obscurité naissante.

— Seren, se présenta la femme en chuchotant dans son oreille comme si elle lui disait un secret.

— Élo.. die, bafouilla la plus jeune.

— Nous faisons un spectacle ce soir dans la Tente du Cirque, si cela t’intéresse.

Sur ces mots, Seren s’évanouit dans la foule. Les joues rouges, l’adolescente décida d’aller voir ce qu’était la Tente du Cirque. Elle navigua, non pas sans difficulté, jusqu’à l’un des grands chapiteaux où une petite queue se formait déjà à l’entrée. La jeune fille aperçut une affiche collée à un panneau en bois. Dessus, elle pouvait y lire :

Bienvenue au Carnaval Ambulant !

Ce soir, nous accueillerons des faucheuses qui viendront nous raconter de fabuleuses histoires. Prenez place et appréciez notre show !

Intriguée, Élodie se plaça dans la queue. Une employée à l’allure d’un clown remarqua son bracelet violet et la laissa entrer à l’intérieur de la tente.

Une autre personne vint l’emmener dans les estrades sans un mot. Élodie nota qu’il n’y avait pas énormément de monde. Quelque chose la troublait : les gens ne portaient pas de bracelet violet. Y avait-il un code couleur ? Toutefois, la jeune fille chassa cette pensée quand quelqu’un vint lui apporter un plateau en lui disant que c’était offert par la maison. Il y avait une boisson sucrée dans un verre en plastique, une part de tiramisu et quelques spéculoos.

Au bout d’une quinzaine de minutes, toutes les lumières s’éteignirent.

La scène apparut abruptement sous le feu des projecteurs. Seren pénétra dans l’arène et se mit à monter jusqu’à une passerelle en hauteur.

— Avez-vous déjà entendu parlé du Petit Chaperon rouge ? Le Chaperon, une jeune fille d’à peine douze ans, se baladait souvent dans les bois près de son village. Sa mère travaillait à la ferme de son père et envoyait presque tout le monde sa fille cueillir des champignons. L’histoire débute avec la requête de rendre visite à une grand-mère et se termine avec un enfant sauvé du grand méchant loup. Mais ne vous a-t-on jamais dit que tout n’était qu’une question d’apparence ?

Alors que Seren se mettait à raconter l’histoire, Élodie se concentra sur la scène où des silhouettes vêtues de costumes similaires à ceux des détraqueurs dans Harry Potter venaient d’entrer. Alors qu’une musique débutait, des couples se formèrent et commencèrent à danser.

— … car le Chaperon était en réalité le grand méchant loup.

Un hurlement retentit, coupant court à la performance. Toutes les lumières s’allumèrent. Élodie tourna la tête vers la source du cri. Il y avait une femme dont la voix stridente résonnait au travers du chapiteau. La jeune fille remarqua le filet de sang dégoulinant de ses yeux nacrés. L’inconnue se mit à proférer des insultes envers les employés du cirque. Elle se précipita à travers les estrades trébuchant à cause des autres visiteurs bien trop choqués pour bouger. Élodie se décala en arrière pour éviter l’hystérique, toutefois cette dernière s’arrêta à sa hauteur quand elle vit le plateau que la jeune fille tenait.

— Crache, gamine ! lui cria-t-elle à la figure en balançant sa nourriture par terre. C’est du poi…

Sa bouche se ferma abruptement. Ses paupières se fermèrent et le corps de l’inconnue bascula en arrière, s’écroulant au centre de l’arène dans un amas de paille. Les lumières s’éteignirent et le spectacle reprit comme si de rien n’était. Perdue, Élodie accepta un nouveau plateau.

— Les habitants du village disparaissaient les uns après les autres. Les survivants disaient voir « un loup sous forme humaine » les attaquer. Seul le Chaperon ressortait indemne de ses balades. Tout le monde pensait que le Mal se propageait. Seule la mère de l’enfant savait que quelque chose se trafiquait. Alors l’enfant décida de se débarrasser de sa génitrice en lui apportant un gâteau avant de s’en aller voir sa grand-mère.

Les faucheuses cessèrent de danser. Les feux clignaient. Entre une flopée de couleurs, une femme retira sa capuche sous le regard des spectateurs. Elle enleva sa longue cape dévoilant son costume de Petit Chaperon rouge. Son partenaire vint la coiffer d’une gueule de loup. Au fond de la scène, quelques personnes s’activaient pour tirer une grande cage en acier où un individu s’y trouvait caché derrière une couverture.

— Sauf que la grand-mère n’a jamais existé. Ce n’était qu’une vieille femme rejetée par tout un village, par la fille qu’elle avait élevé. Le Chaperon s’est vengé au travers des meurtres au fil du temps tout en rendant visite à la vieille peau jusqu’à la fin de ses jours. Quant au chasseur, l’homme a fini ses jours dans le souterrain de la demeure du Petit Chaperon rouge. Du prédateur, il est devenu la proie.

Quelqu’un retira la couverture. Élodie aperçut un homme nu dans la cage recroquevillée sur lui-même. Il y avait un gros collier autour de son cou. L’adolescent sentit les larmes monter. Elle reconnaissait parfaitement l’homme. Elle observa le Chaperon rouge se détacher de ses camarades et se positionner en face du prisonnier.

Les spectateurs partaient les uns après les autres alors que l’adolescente demeurait immobile, les yeux rivés sur l’ancien petit ami de sa mère. L’actrice passa un bras dans la cage, sa main se renferma autour du cou de sa victime puis elle débuta son horrible spectacle en fracassant le crâne de l’homme contre les barreaux. Sauf que ce n’était pas suffisamment fort pour le tuer. Les faucheuses sortirent « le chasseur » de sa prison et le trainèrent jusqu’à une plateforme métallique où l’on le força à s’allonger.

La haine pour le meurtrier de sa mère clouait Élodie à son siège. Sa génitrice avait été tuée dans un accident de la route deux ans auparavant à cause d’un malade roulant en contre-sens sur l’autoroute. Seulement, il s’était révélé que l’accusé n’avait pas toute sa tête et avait donc été envoyé en hôpital psychiatrique. Pourquoi était-il dehors ?

Les faucheuses se rassemblèrent en cercle autour leur victime. Au-dessus de celle-ci se trouvait une grande bar en acier attachée à deux piliers. À leurs extrémités se situaient une manivelle.

— Le chasseur a été chassé ! Il a échappé à toute justice jusqu’à maintenant ! s’exclama une voix farouche. Ce soir, ce sera le somptueux dessert que nous avons tant rêvé !

Restée seule sur les estrades, Élodie observa l’événement qui prit place. Le Chaperon rouge vint faire une incision à l’abdomen. L’actrice utilisa un crochet relié à une manivelle pour accrocher un morceau d’intestin. Un grand personnage apparut sur la scène que la jeune fille remarqua à peine. Il se mit à tourner le manche. Il commença ainsi à retirer lentement l’organe sous les hurlements étouffés de la victime.

— Célébrons la justice !

Élodie contempla la scène dans un état second. Bizarrement, elle éprouvait un second de culpabilité envers l’homme ayant achevé la vie de sa mère, mais d’un autre côté, l’adolescente prenait plaisir à le voir être torturée ainsi. C’était comme obtenir la justice qu’elle n’avait jamais pu avoir.

Finalement, la jeune fille quitta à pas lent les estrades sous le regard de tous les employés du Carnaval Ambulant présent sur la scène.

Et si j’allais m’amuser avant de rentrer ? songea Élodie, oubliant momentanément ce qu’elle venait de voir.

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