II
La boutique de Madame
Une peluche de grande taille fermement attachée dans son dos par des tendeurs, Élodie vagabondait entre les allées, cédant autant aux jeux qu’à la gourmandise.
Sa coordinatrice n’était pas là pour lui donner des ordres ni même lui envoyer des critiques à la tronche pour la moindre petite chose. Elle n’était pas là pour contrôler les sucreries qu’elle engloutissait.
Parfois, l’adolescente songeait à fuir le foyer où elle vivait depuis le décès de sa mère, cependant, elle ne savait pas comment survivre dans les rues. Les adultes la troublaient, en particulier les hommes aux propos dérangés qui l’assommaient de paroles perverses à chaque fois qu’elle marchait dans la rue. Souvent, certains lui faisaient des propositions déplacées et d’autres tentaient de la toucher d’une quelconque manière. Élodie avait fini par faire des détours pour aller au lycée, au risque d’arriver en retard.
Les éducatrices lui martelaient que c’était ça d'être une femme, qu’il fallait qu’elle s’habitue. La cuisinière du foyer lui conseillait d’avoir un spray à poivre sur elle ou une arme facile à dissimuler dans ses affaires.
Élodie soupira en chassant ces pensées. Personne ne lui cherchait des noises dans ce carnaval pour le moment alors il fallait qu’elle profite au maximum. Ses pas la menèrent en face de la devanture d’une boutique de lanternes. Un panneau fluorescent indiquait la boutique de Madame. Intriguée, l’adolescente se glissa à l'intérieur.
Le magasin était assez grand. Il y avait quatre étagères remplies de babioles en tout genre, qui faisaient toutes de la lumière. Élodie se faufila entre les plantes vertes et les citrouilles flippantes, s’arrêta devant des peluches et des jouets enfantins quelques instants avant de s’enfoncer dans un long couloir de portraits où les personnages des toiles l’observaient passer. De la fumée épaisse obscurcissait sa vision. Un petit gloussement s’échappa de ses lèvres. Elle s’étonnait de sortir son enfant intérieur et semblait se revoir petite dans les bras de sa mère.
Élodie déboula vers la caisse. Personne ne s’y trouvait. Elle continua son chemin se stoppant pour regarder les diverses lanternes. Finalement, son regard se posa sur un grand coussin. La jeune fille vint s’y poser quelques minutes.
Soudain, toutes les bougies s’éteignirent la mettant en alerte. Elle demeura, cependant, immobile dans son assise. Puis, l’adolescent aperçut au loin, dans un couloir interdit au public, une silhouette avançant lentement. Son sang se glaça.
Entrez
Ici, vous trouverez votre âme d’enfant
et vous danserez au milieu des bougies
jusqu’à l’aube.
Une voix à la fois douce et terrifiante résonnait au travers de la boutique. Elle provenait de cette étrange figure qui s’avançait, entourée d’une aura si horrifiante que la jeune fille restait pétrifiée là où elle était assise.
Entrez
Ici, vous chasserez les mauvais souvenirs
et vous buverez avec ma chère mère
jusqu’à la vesprée.
Élodie braqua son regard sur l’inconnue. C’était une grande femme vêtue d’une longue cape noire, son visage était dissimulé derrière une capuche de même couleur, et dans sa main gauche se trouvait une faux. L’autre main tenait une jolie lanterne en forme ovale d’où une bougie pleurnichait. Sa lumière rayonnait de plus belle et en une quinzaine de secondes, tous les feux s’allumèrent.
— Bienvenu, mon enfant, dans mon antre.
— Bon... jour, ma… dame, bafouilla l’adolescente, les yeux écarquillés.
— Prenez le thé. Tu aimes le thé, j’espère ?
Peu rassurée, la jeune fille hocha la tête. La propriétaire de la boutique lui attrapa la main et l’emmena au fond du magasin pour prendre le thé.
Grâce à ce dernier, Élodie se détendit peu à peu. Elle conversa avec la gérante pendant une heure et demie discutant de sa performance, du travail et du carnaval en général. En retour, Élodie parla du lycée et du foyer. Finalement, après avoir consulté son téléphone, l’adolescente annonça qu’elle devait rentrer.
— Ma chère, je pense que tu devrais rester dormir à l’auberge, lui dit Paulette, qui avait fini par lui dire son nom.
— À l’auberge ? bredouilla Élodie, hébétée.
— Ma sœur sera ravie de t’accueillir ! Je vais te donner un bon gratuit, un peu comme ceux que tu peux obtenir dans Zelda… Oh ma pauvre, tu ne connais pas Zelda ? Pauvre enfant… Seren te fera découvrir les jeux Zelda si cela te dit !
Paulette fouilla dans ses poches et en tira une carte violette. Elle tendit le bon à la jeune fille et l’incita à finir son thé. Puis, elle poussa Élodie jusqu’à l’entrée arrière de sa boutique.
— Passe me voir dans la matinée, je te donnerai ta lanterne !
La porte se ferma derrière la vieille femme. Élodie resta quelques minutes, confuse, devant celle-ci avant de jeter un coup d'œil à la lune inébriante.
— L’auberge ? se demanda-t-elle à haute voix.
— Je peux t’y emmener, si tu veux, souffla Seren en enroulant ses bras autour des épaules de la lycéenne.
Perdue, Élodie se laissa faire. Seren lui parla à voix basse pendant le trajet jusqu’à l’auberge lui expliquant que rares étaient les clients ayant le droit de passer la nuit au Carnaval Ambulant.
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