VI. I
Étrangeté
L’étrangeté ne cessait pas de se dessiner ; Élodie avait ouvert les yeux, allongée sur un banc en bois de chêne, dans un grand parc.
C’était comme si elle sortait d’un rêve. Ou était-ce plutôt un cauchemar ? L’adolescente se demandait si son entrée au Festival avait été un bon choix. Le doute ne faisait que grandir au fil du temps, toutefois, elle appréciait les bonnes choses qui lui arrivaient même si ce n’était pas aussi flagrant.
Au loin, une belle bâtisse dans un style contemporain s’esquissait. Élodie se trouvait dans les jardins de celle-ci ; des allées fleuries ceignaient de grandes étendues d’herbe où parfois quelques arbres les décoraient, des lanternes illuminaient les sentiers, menaient les visiteurs aux fontaines, aux statues et à diverses cabanes où l’on y trouvait des outils de jardinage.
Elle ne pouvait pas s’empêcher de repenser aux paroles qui l’avaient marqué :
Et si tu te soumettais à ce qui t’appartiens de droit ?
Repenses-tu à ton paternel ?
Songes-tu à qui tu es ?
Petite, elle avait toujours eu des visions tantôt intrigantes tantôt horrifiantes de cet individu ou plutôt cette créature sortie tout droit de l’imaginaire. Élodie avait eu une enfance solitaire ponctuée par les disputes incessantes de sa mère et de son père jusqu’à leur divorce à l’aube de ses dix ans. Plutôt solitaire et réservée, la jeune fille n’avait jamais eu d’amis ayant marqué ses premières années d’école. Ses parents n’avaient jamais réellement pris le temps de s’occuper d’elle, la laissant très souvent à ses occupations dans sa chambre. Ils n’avaient jamais remarqué ses longues absences quand elle jouait dans le jardin ou dans la rue. Cela avait été comme si elle n’existait.
Pourtant, quand le divorce fut prononcé et que sa garde avait été confiée exclusivement à sa mère, celle-ci avait complètement changé de comportement. Elle était devenue la femme résilliente qu’Élodie connaissait jusqu’à sa mort. Heureuse de l’attention que lui portait sa génitrice, la jeune fille avait tassé les souvenirs de son enfance dans un coin de sa tête. Quant à son père, un inconnu qui s’était complètement effacé les années suivantes, n’avait jamais donné de nouvelles à qui que ce soit et avait disparu de la circulation.
Penser à son paternel était une chose difficile. Qu’auraient-ils à se dire après tant d'années loin de l’un et de l’autre ? Ce n’était pas comme s’il y avait eu une quelconque relation entre eux avant le divorce. Sa mère n’avait jamais aimé évoquer son ancien mari pour des raisons qui lui échappaient.
Songes-tu à qui tu es ? Cette question lui semblait particulière. Élodie connaissait son identité et rayonnait de souvenirs aussi douloureux que joyeux. Elle n’était qu’une orpheline dans un foyer exclusivement pour fille. Songes-tu à qui tu es ? lui demandait encore et encore une voix épicène, l’air moqueuse.
La lycéenne secoua la tête sortant de ses pensées. Ses pieds l’avaient mené à un coin tranquille sous un grand pommier. Alors que la pluie commençait à tomber, elle s’abrita sous l’arbre. La jeune fille aperçut une drôle de créature assise sur une grande feuille. Elle crût halluciner en remarquant la jolie couronne ornant sa tête.
— Tu es la gamine que le Roi m’a envoyé, n’est-ce pas ? s’enquit la jolie mante en se tournant vers elle. Quoique, tu n’as pas l’air de savoir ce qui t’arrive. N’est-ce pas, Élodie ? Puis-je t’appeler Élo-rigolo ? Quoique, tu n’as pas l’air très amusante.
— Euh…
— Oh, que suis-je bête ! Je ne me suis pas présentée ! Je m’appelle Cléopâtre.
— Comme…
— Non, pas comme l’amante de César ! Comme l’Impératrice des mantes, Cléopâtre.
Élodie jeta un regard confus à Cléopâtre. Était-elle en train d’halluciner la conversation ? Avait-elle encore pris l’une de ces drogues maladives que les autres filles du foyer obtenaient des dealers du coin ?
— Ne me fais pas ce regard-là, jeune fille ! Je suis réelle. Ça t'en bouche un coin que je puisse parler, hein ? T’as jamais regardé la saga de film La planète des singes ou quoi ? Quelle culture cinématographique merdique ! M’enfin, je ne suis pas là pour te juger sur ce manque-là.
— C’est bizarre… mais d’accord. Qu'est-ce que je fais là ?
— Ah ça… Ben, j’en sais rien. Qu’est-ce que t’en sais toi ?
— Je ne sais pas, répondit l’adolescente, perdue.
— T’as bouffé un champignon toxique ou pas ?
— Euh…
— M’enfin, t’en trouveras pas ici, hein ! Faut aller dans la forêt des champi pour ça, renchérit la mante.
— Mais j’en veux pas.
— Ah si, faudra que tu cueilles des champignons après notre entrevue sinon tu vas mourir dans d’affreuses circonstances. Ce serait con, n’est-ce pas ? Seren et Noël t’apprécient beaucoup, tu sais… Ils aimeraient bien que tu réussisses à surmonter l’enfer ! Ah mince, faut pas que j’en dise trop… Tu connais Harry Potter ?
Cléopâtre continuait de débiter. Élodie peinait à suivre son interlocutrice offrant de temps à autre des réponses inutiles.
— … le terminer. Et tu savais que les couteaux peuvent servir de porte manteau ? Ou sinon, tu prends un marteau et tu le fixes à ton mur pour—
— Excuse-moi ! interrompit d’un ton fort Élodie, se félicitant mentalement d’avoir fait taire la bavarde. Et si tu me disais de quoi tu veux me parler ?
La mante se tut. Sa joie disparut aussi vite qu’un TGV, remplacé par un sérieux impressionnant.
— Si tu réponds correctement aux 3 prochaines énigmes, tu seras libre d’arpenter la forêt.
Élodie acquiesça.
— Écoute-moi bien avant de me donner ta réponse. Visible le jour, invisible la nuit, je suis toujours dans le ciel, qui suis-je ? Je suis là quand tout commence, et je disparais quand on me nomme. Qui suis-je ? Je peux détruire des châteaux, brûler des forêts et tuer des rois. Qui suis-je ?
Abruptement, les jardins furent recouverts par une couche épaisse de brume. Au travers de celle-ci, une première image se distinguait : les cieux se dessinaient dans un ballet de couleurs, le jour comme la nuit, et seul un élément continuait d’apparaître. Puis, le brouillard produisit un second décor où des personnes parlaient sans qu’elle ne puisse les entendre. Avant même que l’image ne vacille, elle pût entendre l’un d’eux prononcer une phrase. Enfin, une histoire enchantée prenait une affreuse tournure au travers d’une flopée de scènes.
Élodie comprit instantanément.
— Un nuage, le silence et la rumeur.
— Bravo, hehehe ! Facile, hein ?
Cléopâtre lui sourit… bien qu’il était étrange de voir une mante religieuse sourire. Son corps se mit à grossir écrasant peu à peu la feuille, il se mit à rayonner sous l’air stupéfait de la jeune fille. Au bout de quelques minutes, la reine explosa en plusieurs morceaux qui giclèrent sur Élodie qui se trouvait à proximité. Hébété, elle se leva à la hâte et s’éloigna de ce qui restait de son interlocutrice.
L’obscurité levait ses bras. Il la caressait et lui chuchotait mille-et-une choses. Il lui promettait des merveilles comme des horreurs. Les jardins disparurent à nouveau dans la brume. Élodie cligna des yeux un instant et se retrouva au beau milieu d’un bois comportant des champignons géants.
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