VII. I

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La route intérieure

Le temps lui échappait. Le soleil se levait et se couchait dans une explosion de couleurs, s’illuminait et se cachait, rayonnait et mourrait en silence.

Marcher jusqu’au bout du temps semblait être devenu son passe-temps favori. Élodie désespérait de trouver la sortie dans l’immensité de la forêt des champignons. L’esprit encore chamboulé par les révélations au sujet de ses parents adoptifs, elle se noyait dans la noirceur de ses pensées ne faisant pas attention à ce qu’il se passait autour d’elle. Des écorchures et des hématomes ornaient ses pieds et ses genoux. Ses vêtements se trouvaient dans un état pitoyable. Les cheveux sales et en pagaille, ses ongles s’enfonçaient quotidiennement dans son cuir chevelu pour chasser les démangeaisons.

Son seul lot de consolation était qu’elle avait en sa possession les amanites printanières. Il lui fallait dorénavant trouver la sortie. Toutefois, rien n’était simple.

Au loin, la lune s’élevait. Elle se faufilait entre les arbres et les champignons géants, évitait les quelques animaux sauvages avec précaution et ramassait des baies sur son passage.

Élodie trébucha et s’étala dans la boue. Elle se releva peu à peu puis reprit sa route pour s’arrêter une dizaine de secondes plus tard. Au travers de la frondaison, elle distinguait la silhouette sinistre d’une maison. En s’approchant de celle-ci, Élodie en déduisit que c’était un manoir à l’architecture gothique. Il nichait dans un petit hameau abandonné composé de trois chalets poussiéreux plus ou moins délabrés, d’un champ piétiné, d’un feu de camp et d’un mystérieux autel.

Le moment où elle posa ses yeux sur ce dernier, elle sût.

Il lui fallut alors déposer les amanites printanières comme offrande. Peut-être que je sortirai d’ici, songea Élodie, ne se doutant pas de ce qui se passerait par la suite.

Lorsqu’elle tourna le dos à sa trouvaille, le crépitement d’un feu la fit sursauter. Ses offrandes s’embrasaient. La fumée s’élevait rapidement et formait une sorte de créature que l’adolescente eut dû mal à reconnaître. Élodie s’éloigna jusqu’au feu de camp où elle plongea ses pieds dans un amas de cendres.

Soudain, une voix se mit à rire. L’atmosphère changea en un instant. Son sang se glaça ; elle prit les jambes à son cou. Seulement, la figure se précipita à sa rencontre, la rattrapant en très peu de temps. La voix se tut. Au contact de la peau d’Élodie, elle disparut comme si de rien n’était. Cela ne rassurait pas la lycéenne dont le regard se mit à balayer les environs.

Puis, au bout de ce qui semblait être une éternité, partagée entre angoisse et un étrange sentiment d’euphorie, Élodie fléchit les genoux. Ses mains se posèrent sur son cou, ses ongles griffèrent sa peau, comme si l’air lui manquait. Ses yeux devinrent aussi nacrés. Ses traits se tirèrent peu à peu. Et enfin, le rire qu’elle entendait auparavant recommençait, sortant cette fois-ci de sa bouche.

— Marchons ! s’exclama joyeusement l’entité au travers de son corps.

Élodie perdit ainsi le contrôle de son corps se noyant l’immensité de la pénombre dans la tourmente de ses idées noires. Ses souvenirs autrefois scellés se déchaînèrent, leurs mains l'attirant vers le fond, leurs voix résonnèrent jusqu’à ce que la jeune fille n’ait plus aucun sens.

*

En bas, il n’y avait rien.

C’était un mensonge. Élodie le savait mais le déniait. Elle refusait de contempler le tourbillon de souvenirs détruisant les étagères comme si ces dernières n’étaient que des déchets. Malgré les révélations, elle s’accrochait à ce qu’elle connaissait.

Elle n’était pas un monstre. Si ? Élodie n’en savait rien et ne voulait pas le savoir, pourtant, la volonté de briser ses chaînes une bonne fois pour toute la rongeait de l’intérieur.

En bas, il n’y avait que des amas de pierre. Ce n’était que des éclats d’antan, rien d’autre que des fantaisies qu’elle avait enfoui depuis de longues années. Cependant, elle se retrouvait à les prendre dans ses mains et à se souvenir d’une époque lointaine.

Des inconnus se dessinaient au travers des images. Ils étaient tout aussi étranges que les personnes travaillant au Carnaval Ambulant. Les paroles haineuses de ses parents adoptifs lui revinrent en mémoire. Était-elle vraiment le petit monstre ?

Sa mère, Maria, l’avait surpris à jouer avec une chenille lors de sa septième année de vie. Elle avait hurlé sur elle pendant une bonne heure après l’avoir puni dans sa chambre. La bête avait été différente des chenilles ordinaires, plutôt large et d’une apparence monstrueuse, cette créature n’avait rien à voir avec les autres. Élodie se souvenait d’avoir passé du temps avec cette chose — qu’elle surnommait à l’époque Madame bouche — plusieurs après-midi avant que son père, Philippe, n’en s’en débarrasse.

En bas, il y avait toutes les réponses qu’elle cherchait.

Néanmoins, il lui fallait prendre son courage à deux pour tenter de recoller les morceaux.

*

L’entité humait. Voilà bien des années qu’elle n’avait pas possédé un quelconque corps. Son vassal n’avait pas causé de soucis ; ce qui n’avait rien d’étonnant quand on regardait l’état de l’âme originelle.

La nouvelle détentrice du corps avait apprécié les amanites printanières en offrande. Dommage qu’elles aient toutes brûlées sinon elle en aurait fait un festin.

Elle s’arrêta à la lisière de la forêt. L’entité réprima un rire en reconnaissant le Carnaval Ambulant dans toute sa splendeur.

— Amusons-nous ! Ma petite Élo, je te laisse explorer les méandres de ton âme… Je m’en vais faire couler le sang.

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