VII.II

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Élodie se noyait ; son corps tombait au fond d’un immense océan et ses yeux fixaient la douce lumière qui s’éloignait peu à peu.

Des centaines de bras jaillirent du sol et s’enveloppèrent autour de ses bras, ses jambes et sa poitrine, l’attirant vers le banc de sable. Elle se débattait, tentait vainement de se défaire et de remonter à la surface mais la force lui manquait. L’air n’était plus qu’un vieux souvenir. Elle se noyait, pourtant au fil des années, la souffrance ne faisait que se perpétuer.

Les souvenirs en pagaille se dessinaient et se métamorphosaient. Les scènes de son enfance prenaient une tournure et attiraient les choses qu’elle avait enfouies depuis son plus jeune âge.

— Et si tu lâches prise ? proposa une voix inconnue dans son crâne, interrompant le tourbillon de tourmente.

La jeune fille tourna la tête frénétiquement jusqu’à ce qu’elle trouve une grande créature avec plusieurs appendices similaires à ceux d’une pieuvre. De petites lumières sur ces membres mouvants permettaient à la créature d’être vue par Élodie.

— Quel chemin prendre ? Le mensonge pourrit ta mémoire ; qu’est-ce qui est vrai ? Qui es-tu ? Es-tu l’orpheline de parents négligents ? Es-tu l’orpheline de ravisseurs ? Es-tu une victime dans toute cette histoire ? Que s’est-il réellement passé ? Es-tu vivante ? Es-tu morte ? Peut-être que tu es juste folle… hehehehe, laisse moi couper le cancer qui te ronge de l’intérieur !

Les appendices jaillirent. Ils s’enroulèrent autour de ses bras et de ses jambes, autour de son cou et de sa poitrine, et ils bougèrent comme s’ils étaient dopés à la manière d’un athlète. Élodie n’avait plus vraiment envie de se battre pour sa propre vie, comme si elle se résignait à son sort. Toutefois, les flammes de son cœur brûlaient encore.

Le kraken banissait les mensonges un à un. Il rétablissait le fil conducteur, réparait les souvenirs effilochés et il soufflait des paroles réconfortantes à l’âme peiné. Il agissait de lui-même soutenant ses plus proches amis au Carnaval Ambulant. Il se souvenait de cette petite fille dont la famille la cherchait depuis tant d’années sans succès. Élodie était comme un jouet dont on avait abandonné quelque part, poussiéreux et cassé. Il y avait encore une chance pour que les choses rentrent dans l’ordre. Le kraken ne pouvait qu’offrir les premiers soins à l’esprit saturé de la jeune fille, cependant, le choix du chemin n’appartenait qu’à elle.

Ensuite, il lui faudrait combattre l’entité habitant son corps. Toutefois, le kraken pensait que l’adolescente n’aurait aucun mal à le faire.

Et si tout avait été scripté ? songea-t-il avant de relâcher l’enfant dans les profondeurs de l’océan.

*

Élodie s’éveilla dans une autre zone de son esprit. Comment le savait-elle ? Elle n’en avait pas la moindre idée mais cette nouvelle connaissance lui plaisait énormément.

Elle ne se noyait plus. Elle flottait à la surface d’un grand lac entouré par une forêt. Elle nagea jusqu’au bord, se hissa sur ses pieds et commença à marcher dans les bois. Élodie n’avait qu’une chose en tête : reprendre le contrôle de sa vie.

Pendant de longues heures d’errance dans la forêt, Élodie ne vit rien qui pourrait la mettre sur la piste. Il n’y avait pas de faune, seulement de la flore à perte de vue. Pas de champignons, seulement des statues qui lui faisaient penser aux personnages du Carnaval Ambulant. Elle décida finalement de revenir sur ses pas. Peut-être qu’une chose devait être faite au lac pour pouvoir passer à l’étape suivante.

Cela fut une excellente idée. Quelqu’un l’attendait près de l’étendue d’eau. C’était une grande sirène dont la beauté horrifique plaisait à Élodie.

— Ton chemin prendra vie quand tu saigneras un gobelin. Il se dessinera quand ce gobelin armera ton cœur. Il ne prendra jamais fin car une route peut en créer de nouvelles.

— Ainsi soit-il, chuchota Élodie.

La sirène sourit. Elle incita la jeune fille à s’approcher, lui souffla au creux de l’oreille un joyeux anniversaire avant de déposer un délicat baiser sur ses lèvres.

— Reviens me voir quand tu seras prête.

Soudain, l’univers d’Élodie s’effondra.

Ses paupières s’ouvrirent peu à peu, découvrant le nouveau décor avec appréhension.

— T’en a mis du temps pour me trouver, souffla l’entité occupant son corps. Maintenant, on peut faire qu’un.

— Qu’un ? répéta Élodie, confuse.

— Oui, sourit l’entité d’une manière affreuse. Comment ont-ils pris nos souvenirs ?

— Rachid…

Élodie se tenait au sommet d’une montagne. Un gobelin lui faisait face arborant les mêmes traits qu’elle-même. Et tout autour d’elles, une brume épaisse dessinait des images vives.

— Je me suis fait une joie de lui retirer ce qui fait de lui « un homme », rit son interlocutrice.

— Nous sommes la même personne ? hésita Élodie.

— Seulement si tu le désires. Nous n’avons qu’un corps.

— Et deux esprits… alors pourquoi faire qu’un ?

— Ne veux-tu pas cesser de ressentir un manque ? Un vide qui te pourrit la vie ?

— Je ne sais pas ce que je veux, avoua l’adolescente. Tu n’es pas moi.

— Non, c’est vrai. Mais j’ai toujours été avec toi.

— Nous aurions pu être libres si Rachid ne t’avait pas enfermé.

— Oui, confirma l’entité. Nous pouvons être deux mais ne faire qu’un. Partager un corps et devenir une meilleure version de nous-mêmes.

— Soyons libres alors, décida Élodie au bout de quelques longues minutes.

— Que le sang coule, ricana l’autre en attirant la jeune fille dans une étreinte chaleureuse.

— Soyons un seul et même individu.

— Que notre âme chante.

Toute la brume se dissipa, emportant avec elle le gobelin et son rire sinistre. Élodie se sentit s’élever dans les airs reprenant les rênes de son corps.

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