II

Au beau milieu du concert des Maracas Flotteurs, Élodie eut la brusque envie de disparaître. La foule dansait épaule contre épaule, se déchaînait et chantait sur un ton décalé. Elle passa à côté d’un camion de restauration d’où émanait une odeur de frites. Continuant son chemin dans les allées du Carnaval, l’adolescente se concentra sur son bracelet se demandant qu’est-ce qui se passerait si elle l’enlevait. Une petite voix commença à lui suggérer de le faire et un autre lui prévint des éventuelles conséquences de ce geste.

La lycéenne vint se caler dans un coin entre le dos d’un stand de tir et les abords d’une forêt. Ses doigts s’enroulèrent autour de l’accessoire à son poignet avant de le retirer. Le cœur battant la chamade, Élodie observa son environnement. Elle cligna des yeux. Une épaisse brume s’éleva abruptement. Le Carnaval Ambulant s’évapora l'abandonnant dans un océan de frimas. Elle hésita un temps avant de commencer à marcher.

Le bracelet dans sa poche, Élodie focalisa son attention sur sa nouvelle situation. Des formes se dessinaient peu à peu dans le brouillard prenant parfois des silhouettes humanoïdes. Elles portaient de longs habits et certains possédaient des manteaux avec de belles franges de nacre et de rubis. Fascinée, elle se retrouve à les suivre plus profondément dans le dédale. Un cri retentit ; cela paraissait être celui d’un loup, sauf qu’Élodie avait un doute.

Les arbres dansaient dans la brume épaisse. Les chemins venaient et disparaissaient dans un nuage blanc. Élodie aperçut au loin une bâtisse. Plus elle s’approchait de la maison, plus elle remarquait son ancienneté. Celle-ci donnait une atmosphère particulière. Une rivière passait à côté de l’édifice. La jeune fille emprunta un sentier menant à la porte. Cette dernière se trouvait légèrement ouverte, comme si cela invitait Élodie à passer le pas.

— Entre, jeune âme errante ! entonna une voix enchanteresse.

La maison semblait petite. Le hall d’entrée s’allongeait en dédale ; des pièces minuscules dégueulaient d’objets et d’affaires, possédaient des toiles d’araignée et des cadavres d’animaux, faisaient passer l’envie à Élodie. Il déboula jusqu’à un escalier menant à la fois à l’étage et à la cave. L’adolescente s’engouffra dans celle-ci.

Wendigo, songea-t-elle en apercevant l’étranger aux abords d’un chaudron fumant.

— Bien vu, mon enfant.

— Q.. quoi ? bafouilla Élodie, confuse.

— Tes pensées sont bruyantes, mon enfant. Alors, que me vaut ta visite ?

— Je.. J’ai juste… euh…

Le wendigo ressemblait à une femme aux longues cheveux blancs descendant jusqu’à son bassin, encadrant un visage sauvage. Deux yeux écarlates l’observaient avec curiosité. Des bois noirs et rouges ornaient son crâne.

— Es-tu une nouvelle recrue du Carnaval Ambulant ? s’enquit le wendigo en ajoutant une poignée de sel.

— Euh non. J’ai.. enlevé mon bracelet, la brume est apparue et j’ai navigué dedans jusqu’à trouver votre maison.

— Ah, je vois. Tu te demandes ce que la couleur violet signifie pour nous.

— Je n’ai pas dit ça, répliqua Élodie en plissant les yeux. Comment savez-vous que c’est violet ?

— Les nouvelles vont vite, mon enfant. Je crains que personne n’ait été honnête avec toi depuis le début. Quoi qu’il est difficile de l’être dans notre société. Tu as été enlevé et élevé par tes ravisseurs. Tu ne sais pas ce qu’ils t’ont vraiment fait. Tu as appris l’existence du festival et tu y es rendu. Comment savais-tu que le Carnaval Ambulant passait dans la ville ? Il n’y avait aucune pub. Tu as déambulé dans les allées, tu as rencontré des gens comme Seren et Noël et l’étrangeté t’a encore enveloppé, t’a noyé jusqu'à ce que tu luttes pour ta survie. Mais rien ne fait sens. Tu penses que tu hallucines, que tu te réveilleras en hôpital psychiatrique comme la dernière fois. Tu veux croire que tout est réel mais tu ne fais que douter encore et encore. Tu dois maintenant faire un choix.

— Parlez-moi du violet.

— Couleur royale. Ici, pour nous, c’est quelque chose d’autre… Cela signifie que tu es une partie coincée sur deux chemins. Tu es née parmi nous et aurais dû grandir au sein de ton clan mais tes ravisseurs ont ruiné cette opportunité-là. Tu as vécu dans le mensonge et la négligence, drogué la plupart du temps et tes souvenirs ont été scellés pour t’empêcher de réaliser qui tu es vraiment.

Le wendigo délaissa son chaudron. Il s’approcha de l’adolescente, passa une main dans sa poche et retira le bracelet de celui-ci.

— L’amusement doit prendre fin, mon enfant. Tu ne peux continuer sur cette voie-là. Ne veux-tu pas entendre la vérité ? Ne souhaites-tu pas être en contrôle ? Fais ton choix, enfant, ou sinon tu passeras l’arme à gauche. Ton âme restera prisonnière de tes tourments… à moins que tu n’acceptes la noirceur de ton cœur.

Le wendigo retourna à sa potion. Élodie remit le bracelet à son poignet. Elle mit ses mains dans ses poches. Elle se détourna de la créature observant l’environnement de la cave.

— Comment ont-ils pu effacer mes souvenirs ? osa demander Élodie repensant aux paroles de ses ravisseurs.

Aucune réponse ne lui parvint. En se tournant vers son interlocutrice, elle vit que celle-ci avait disparu laissant un chaudron vide, comme si rien n’avait eu lieu.

— J’en ai marre… marmonna Élodie en essayant par terre. Que puis-je faire pour être libre ? Et si, ce rêve se termine… et que je me retrouve là-bas… que vais-je faire ? Non… Non.. Il faut que je découvre le secret qu’ils me cachent avant qu’ils m’executent…

Le décor disparaissait dans la brume. L’adolescente monta ses genoux contre sa poitrine et enfouit sa tête refusant de regarder son environnement.

Et si… le Carnaval Ambulant était sa porte de sortie ?