1 - Royaume d'Exemar
La reine mère crut avoir mal compris.
— Votre Majesté, vous ne pouvez pas continuer ainsi, dit Ogius le magicien. Une guerre, c'est tout ce que vous déclencherez.
La reine mère du royaume humain d'Exemar ria. Elle avait un regard hautain et un ton de voix désagréable.
— Qu'ils fassent la guerre. Dit-elle sans la moindre inquiétude. Je ne me séparerai pas d'une seule pierre ni d'une seule pièce d'or.
— Cette pierre de Vie ne vous appartient pas, Adrielle ! Savez-vous ce qu'elle représente pour les elfes ? C'est leur immortalité. Rendez-la ! C'est le seul moyen d'éviter une guerre que vous ne remporterez jamais.
— Cette pierre est désormais mienne. Je l'ai trouvée. L'Immortalité est à moi, MAGICIEN !
— Les hommes ne sont pas prêts pour cela ! Et vous le savez très bien. C'est votre Orgueil, il vous manipule !
— Mon Orgueil ? dit-elle d'un ton moqueur. L'Orgueil n'a aucun pouvoir sur cette terre. Votre plein de gentillesse vous a toujours trompé, Ogius. Mon mari en fut la première victime. Vos conseils n'apportent que la destruction. Ni gloire, ni pérennité. Vous semez la mort.
Ogius hocha négativement la tête. Le regard du magicien eut été prit de remords. Puis, il se ressaisit.
— Vous ne savez pas ce que vous faîtes, Adrielle. Écoutez, moi. Je n'ai pas fait tout ce chemin pour que mes conseils soient ignorés.
— Hors de ma vue. Sortez ! Avant que je vous fasse humilier par mes gardes.
Ogius grogna et ses sourcils se froncèrent sous ses longs cheveux gris. En colère, il sortit de la salle du trône.
— Ainsi, Adrielle, reine mère d'Exemar a décidé de détruire l'héritage de paix de son défunt mari. Pauvre folle !
*
Ogius galopa sur son destrier pendant trois nuits jusqu'à Yefelume, la terre des elfes. C'était une grande forêt fleurie aux multiples couleurs réchauffantes. La nature régnait en maître par ici : insectes, animaux et arbres, tous vivaient en harmonie.
En pénétrant dans la forêt elfique, Ogius sentit un mal inhabituel. La forêt était-elle malade ? A première vu, elle était toujours aussi vivante. Il continua à marcher à travers les sentiers des elfes et il prononça des mots en langue noire. Sa voix était si sombre que même les feuilles des arbres tremblaient. En langue commune, ses incantations pouvaient être traduites ainsi :
« Je vous interroge, vous, le Mal qui s'abat. Répondez-moi et montrez-vous. Sortez de votre cachette, osez affronter la lumière. »
Les feuilles se mirent à trembler davantage. Quelque chose se déplaçait au-dessus du magicien. Il brandit son bâton magique couronné d'une pierre bleue ovale et inspecta autour de lui. La chose qui se cachait se déplaçait à vive allure. Quand il regarda derrière lui, la chose s'était déjà déplacée. Et d'un coup, il sentit une lame sur son cou.
— Bougez et je vous tranche la gorge. Dit un homme derrière Ogius, en langue elfique. Qui ose parler la langue des ténèbres en Yefelume ?
Ogius s'exprima à son tour dans la langue des elfes.
— Un magicien qui n'est pas votre ennemi. Ogius... L'Humilité.
L'elfe retira sa dague du cou du magicien. Ogius se retourna et découvrit un jeune elfe aux longs cheveux roux.
— Ogius ! Que faîtes-vous donc en Yefelume ? Et pourquoi parlez-vous en langue noire ?
— Gaelin, mon vieil ami. Veuillez m'excuser, mais vous savez bien que je n'oserai jamais prononcer ces mots sur les terres des elfes, à moins que ça soit nécessaire. Un mal ronge ces lieux. Je cherche à découvrir son origine.
— C'est inutile, monsieur. Ce mal ne connaît ni notre langue, ni celle des ténèbres. Dit Gaelin
— Comment est-ce possible, Gaelin ?
— Suivez-moi. Vous comprendrez.
L'elfe emmena le magicien à la cité elfique d'Elhlona. Il y avait des ponts entre les hauts arbres et des chambres étaient sculptés dans les troncs. Ils montèrent en haut de l'arbre royal où siégeait Ailduin ML (1500ème du nom), le Roi des elfes de Yefelume.
Ses cheveux longs bien coiffés étaient de la couleur d'un soleil d'été. Il portait une couronne décorée avec plusieurs pierres brillantes, des feuilles vertes et deux bois de cerf. L'expression de son visage, tout comme le ton de sa voix, était vide et ramollie.
— Ogius, gardien de l'Humilité, sur mes terres. Dit Ailduin. Cela faisait bien longtemps.
— En réalité, cela fait trois cent cinquante cinq jours. Répondit le magicien.
— Le temps devient long, très long, maître magicien. La pierre nous a toujours offert une vie qui durerait une éternité. Pour la première fois de notre existence, nous devons compter chaque jour qui passe. Nous soucier du malheur qui nous frappera si nous ne récupérons pas l'héritage de notre espèce.
— Nous devons éviter la guerre et vous le savez. Les conséquences seront terribles !
Il tira un rideau vert derrière lequel se trouvait un elfe en pleine agonie. Son visage se couvrait de mauvaises herbes et de cicatrices.
— La guerre n'est rien comparait à ce qui attend mon peuple ! Regardez le mal qui nous abime. Nous mourrons. L'Immortalité... nous quitte. Elle nous quitte.
— C'est donc cela le mal que j'ai ressenti en entrant dans la forêt... Dit Ogius, d'un ton inquiet.
Ogius se rapprocha de l'elfe en pleine agonie. Il déposa sa main gauche sur le visage du malade et brandit l'extrémité de son bâton contre son torse. Il récita des incantations dans une langue inconnue des elfes, des hommes et des nains. Une magie qui n'était accessible qu'aux grands mages de ce monde.
Le bâton devint si lumineux que tous furent aveuglés. Quand la lumière eut été apeusée, l'elfe n'agonisait plus. Ogius se tourna vers le roi des elfes.
— S'il vous plaît, faîtes-moi confiance. Abandonnez cette guerre.
Ailduin lui tourna le dos et avant de partir, lui répondit :
— Les hommes sont orgueilleux. Ils déracinent les arbres, polluent les rivières et tuent les plantes. Et les nains ? Ils sont obsédés par les trésors du bas monde. Je ne puis laisser mon peuple périr en mortels. Nous ne sommes pas des mortels. Je reprendrai ce qui nous appartient. Nous les... détruirons s'il le faut !
— Non, Ailduin ! Vous savez ce qui va se passer ! Une guerre entre les trois royaumes réveillera les ténèbres ! crit le magicien.
— Oui, je le sais. C'est l'affaire des mortels. Les elfes se retireront loin de ces terres maudites.
Ogius cogna le pied de son bâton contre le sol.
— Bon sang ! Y a-t-il quelqu'un de raisonné dans ce monde ?! Il ne me reste plus qu'un seul espoir : les nains... Oui... les nains...
— Les nains ? dit Gaelin. Vous n'aurez aucune chance, à moins d'avoir suffisamment d'or pour les acheter.
— Nous n'avons rien à perdre désormais. Venez avec moi. Nous allons à Khun Thorum, la cité du royaume de Tol IV, Haut-Roi des nains.
— J'ai toujours rêvé de voir des femmes naines ! Dit Gaelin.
*
Ogius et Gaelin galopèrent dans les vastes contrées des hommes pour rejoindre le royaume des nains à l'ouest. Sur le chemin, un coup de tonnerre s'abattit.
— Une tempête s'avance, maître magicien. Nous devrions nous arrêter et trouver un abri pour la nuit.
Des nuages noirs couvrirent le ciel et une averse tomba. Ogius et Gaelin se rendirent à une auberge à quelques pas d'ici.
— Soyez prudent. Les hommes n'aiment pas beaucoup les elfes. Dit le magicien.
Ils entrèrent à l'intérieur et s'adressèrent à l'humain qui était derrière le comptoir. Les regards des gens étaient tous rivés sur les deux voyageurs. Et ils étaient loin d'être accueillants. L'ambiance était morbide.
— Avez-vous une chambre pour deux personnes ? Nous partirons à l'aube, après la tempête.
— Il n'y a pas de place pour un elfe et un vieillard, ici. Dit l'aubergiste d'une voix agressive.
— Voyons, jeune homme, vous n'allez pas laisser un vieil homme sous la tempête ?
Ogius sourit et tenta de l'amadouer sans succès. Plusieurs hommes armés se relevèrent de leur table et s'avancèrent en direction du magicien et de l'elfe, la main prête à dégainée les épées. Gaelin brandit son arc et braqua les deux hommes.
— Avancez encore d'un pas et vous comprendrez ce que le mot mortel veut dire, humains. Dit Gaelin.
Ogius racla sa gorge.
— Gaelin, voyons. Ce n'est pas poli de traiter ses hôtes ainsi. Dit le magicien.
Gaelin baissa son arc. Il resta tout de même en alerte.
— Nous ne sommes pas vos hôtes ! Étripez-les ! Dit l'aubergiste.
Les hommes de l'aubergiste dégainèrent leurs épées et se ruèrent sur Gaelin. Aussitôt, Ogius se retourna et écarta ses deux bras. Un ouragan se déchaina sur les deux hommes hostiles, sous le regard terrifié des buveurs du soir. Ils furent propulsés et assommés contre le mur.
— Une chambre, s'il vous plait ? Dit Ogius.
L'aubergiste, intimidé, leur offrit la chambre gratuitement où ils passèrent la nuit.
Au beau matin, quand la tempête eut passée, ils reprirent la route. A la frontière entre le royaume des hommes et des nains, ils aperçurent de grandes statues de pierre de deux hauts rois nains.
— Je vous présente Thurin, le premier Haut-Roi qui unifia tous les royaumes nains, et Gundin, le plus grand guerrier de tous les temps. Dit le magicien.
— C'est... impressionnant...
— Oui, Gaelin. Les nains ont le sens de la grandeur.
Quelques heures plus tard, ils furent enfin arrivés. La cité était établi dans une haute montagne. Il y avait des nains qui creusaient dans les mines, d'autres qui s'entrainaient au maniement des armes à longueur de journée, et des archéologues qui étudiaient les ossements et autres artefacts. La ville était active, mais bruyante.
— Tol, fils de Clorn, Haut-Roi et seigneur de Khun Thorum. Je vous salue. Dit Ogius.
— Par de l'or ! Maître Ogius ! Répondit le Haut-Roi, chacun de ses mots étaient enroulés ; c'était la façon de parler des nains. Hey, c'est un elfe ça ?! Que fait-il ici dans ma montagne ?
— Allons, Tol. Je vous présente Gaelin, mon compagnon de voyage.
— Ravi de vous rencontrer, maître nain. Dit Gaelin
— Et ce n'est pas partagé, elfe ! Je ne serai jamais ravi de voir votre espèce. Mais, puisque vous êtes avec notre Sage magicien, je vous accepte dans ma demeure ! Répondit à nouveau Tol.
Ils marchèrent le long des galeries de la cité.
— Tol, je n'ai plus qu'une seule chance d'éviter que ce monde périsse dans les ombres. Les hommes sont corrompus par leur orgueil et les elfes, ils désirent plus que tout récupérer ce qui leur appartient. Et vous, Tol, seriez-vous prêt à faire la guerre pour de simples pièces d'or ?
— Simples pièces d'or ?! Ce ne sont pas de simples pièces d'or. Ce sont les mines des nains. Les terres de mes ancêtres. Mon héritage !
— Vous mourrez dans d'atroces souffrances si la guerre venait à éclater. Votre héritage sera perdu à jamais, maître nain ! Dit Gaelin
— Il a raison, Tol. Votre héritage vivra à travers vous si vous restez en vie. Dit le magicien.
— Alors dîtes aux hommes de foutre le camp de nos mines! Répondit Tol.
— J'ai déjà essayé. Adrielle ne veut rien entendre.
— Et bien, je lui écraserai sa tête si fort avec mon marteau que ses restes finiront en pâté pour chiens !
— Tol, ne me faîtes pas ce coup-là. Cela fait de longues nuits que je chevauche entre tous les royaumes. Et aucun d'entre vous ne se soucie de l'avenir du monde !
— L'avenir du monde ? Quel est l'avenir du monde, maître magicien. Les hommes pillent nos terres ancestrales, et les elfes ? Ils sont hautains et croient tout savoir!
— Et vous donc, les nains ? Vous êtes avides et puants ! Répondit sur le coup Gaelin.
— Vous me traitez de puant, elfe ?! Moi, puant ? Je suis un nain ! Pas un puant ! Je vais vous écrabouiller !
— Ma flèche vous transpercera le crâne bien avant que vous ayez le temps de soulever votre marteau, nain !
— Cessez donc ! Vos chamailleries peuvent attendre... Le monde est en danger, et personne ne le voit ! Dit Ogius.
— Oh, Ogius. Nous le voyons. Il est en danger. Et nous allons éliminer l'origine de ce danger !
Ils s'approchèrent d'un balcon. Des centaines de guerriers nains et machines de guerre étaient rassemblés en rang dans la cour.
— Vous voyez, maître magicien. C'est la fin du Royaume des hommes. Les nains s'en vont en guerre... EN AVANT !
Ogius resta silencieux. Son regard était rivé sur l'armée naine. Les guerriers nains se mirent en marche. Le son de leurs pas résonnait dans la montagne. Ils partaient en direction d'Exemar.
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