Rencontre
Estelle parcours un long couloir sombre, dans un immeuble de bureaux de banlieue. La lumière blafarde ne lui permet qu'à peine de lire les plaques des sociétés.
Qu'à dit Alina ? Au fond du couloir à droite ? Nous y voici. Oui, c'est bien là.
Avec appréhension, elle donne trois petits coups sur la porte.
- Oui, entrez. Dit une voix masculine.
Un homme est assis derrière son bureau, de style ancien, bien rangé et dégagé. Plusieurs tas de papiers sont posés sur une console derrière l'écritoire. La pièce, peu éclairée, est relativement grande, permettant d'avoir un canapé, deux fauteuils et une table basse, comme les salons privés dans les halls d'hôtels hauts de gamme.
Plutôt bel homme de prime abord, il se lève et désigne l'un des sièges.
- Appelez moi Lance. Et venez vous asseoir, nous serons plus à l'aise pour discuter. Alina m'a parlé brièvement, me demandant de prendre soin de sa très chère amie.
- Ah, elle vous a déjà tout dit ?
- Aucunement, elle ne m'a même pas donné votre nom, juste expliqué que vous avez un maître chanteur après vous et que vous êtes très inquiète.
- Alors commençons par mon nom. Estelle Cabreret.
- Je comprends mieux. Les industries pharmaceutiques, c'est bien cela. Première femme vice-présidente, et déjà les premières frasques politiques qui commencent ?
- Oui, c'est une possibilité.
Estelle commence alors à expliquer son affaire, les mails de menace, les photos nues chez elle quand elle est seule, les insinuations sur sa vie de couple, ...
Un vertige la prend quand une angoisse monte dans sa gorge à l'idée que le malotru ait pu entrer chez elle et la prendre en photo.
- Voulez-vous un verre ? Whisky ? Vodka ? Il vous faut un remontant. Je vais devoir vous poser certaines questions, même parfois très intimes et vous devrez y répondre le plus ouvertement possible, et pour ceci j'ai besoin que vous soyez concentrée.
- Alors un whisky. Avec glace, si vous avez.
Son verre à la main, Estelle reprend son souffle et sent son rythme cardiaque revenir à la normal.
Elle qui n'a jamais été faible, pour parvenir à monter les échelons à la force du poignet (et non pas en utilisant son poignet comme certains hommes voudraient le faire croire, voire même certaines femmes jalouses) se sent aujourd'hui aussi frêle qu'un moineau sortant de son œuf.
L'ambiance de la pièce, la prévenance de son hôte et la douceur de sa voix lui ont fait perdre pied et relâcher toutes ses barrières.
- Première question. Excusez-moi, mais il est important que je vous la pose. Avez-vous couché avec d'autres hommes que votre mari ?
- Très directe, cette question. Dit Estelle, après une minute d'hésitation. Non, jamais. Je suis avec lui depuis quinze ans, et je ne l'ai jamais trompé, de quelque manière que ce soit.
- Donc ce que disent ces mails est absolument faux, et calomnieux, nous sommes bien d'accord ?
- Oui, parfaitement. Je n'ai jamais eu de traitement de faveur de la part de ma direction.
- Quelles sont vos relations avec vos collègues ?
- Elles sont cordiales.
- Cordiales ? Ce n'est pas le qualificatif auquel je m'attendais. C'est tout ? Pas de camaraderie, d'amitié ?
- Il y avait de la camaraderie, avant ma promotion. Le statut de dirigeant crée de la distance avec les équipes. Et certaines personnes ont de la rancœur envers moi.
- De la jalousie ?
- Oui. Il y a eu de la compétition, pour ce poste. Que des hommes, à part une femme, moi, qui remporte la médaille.
- Et, ce poste, vous le méritez vraiment ?
- Bien sûr ! J'ai eu les meilleurs résultats trois années d'affilé !
- Et vos équipes. Elles vous considèrent comment ?
- J'ai eu quelques mois pour leur montrer que je suis compétente. La confiance s'installe, les résultats commencent à être visibles.
- Avec tout le monde ?
- Oui ... sauf peut-être avec Jean-Eudes. Il est encore à la traîne.
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