L'Attente

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Le bourdonnement d’une grosse mouche à merde vient de s'évanouir derrière le talus. Le silence est maintenant total. Nous y voilà.

Même les battements de mon cœur se sont effacés, eux qui jadis cognaient si fort. Ils se terrent à présent au plus profond de ma poitrine, comme des renards acculés dans leur tanière par une meute.

Ma vue s’est réduite à un point focal. Mon souffle à un filet. Ma conscience à une étincelle tout près d'un baril de poudre. J'ai peur de penser.

L’attente devient douloureuse. Insupportable. J’ai l’impression – non, j'en suis sûr ! – qu'elle va durer pour l’éternité.

Et pourtant, je sais que c'est faux. Il y a eu toutes les autres fois. Les mêmes attentes, la même terreur tranquille, le même silence annonciateur de mort imminente. Nous sommes déjà passés par là, ma peur et moi. Mais non, on ne s’y habitue pas, on ne peut pas s'y habituer. On ne veut pas !

On ne veut pas donner l'impression qu'on se croit invulnérable, on ne veut pas attirer sur soi le Sort et son œil de glace ; on veut croire que l'humilité a encore quelque valeur.

On veut croire que c'est la dernière fois qu'on va jouer sa vie à la loterie. À pile ou face, un mort pour un survivant. On ne veut pas s'habituer à ÇA.

Et puis ça recommence quand même. Ceux qui passent au travers voient leurs rangs s’éclaircir. Nous étions trois cents avant-hier, cent-vingt hier, nous sommes à présent cinquante.

Le mois dernier, j’ai été l’un des quatre-vingt rescapés de ma compagnie de cinq cents hommes.

Et l’année dernière, dix mille gars comme moi sont tombés en quelques jours sur une colline minuscule ; une butte de terre sans nom, juste une cote sur les cartes d'état-major. Je m’en suis sorti, tellement ahuri et terrassé par la fatigue que je n’ai plus aucun souvenir de cet enfer.

Il y a deux ans je courais déjà sous les balles, dans la fumée et le fracas. À cette époque j’étais encore conscient de tuer, chaque coup de baïonnette dans un ventre ennemi me faisait si mal à la panse que j'en vomissais pendant deux jours. Maintenant je ne sais plus trop. Je frappe ou je tire sur des formes grimaçantes, tout va si vite ! Je n’ai plus qu’une idée en tête : retrouver ma tranchée silencieuse, mon livre et ma paillasse.

Avant ces deux ans, je crois que je vivais dans une sorte de paradis où la mort se faisait discrète, où le mot lendemain avait un sens. Je me demande parfois si ce monde n’est pas une invention pour nous motiver.

Aujourd’hui, comme tous les jours, j’ai un horrible pressentiment. La chance va me quitter. Ça ne serait pas injuste. Après tout, certains sont morts le premier jour, fauchés par la première balle à cavitation. Tandis que nous autres, survivants, nous sommes comme des poux, nous nous accrochons à la vie depuis deux ans.

Nous attendons depuis deux ans.

Nous attendons le sifflet du capitaine pour jaillir de nos trous et plonger dans la tempête de métal hurlant.

Nous attendons le rayon plasmatique à haute énergie qui mettra enfin un terme à cette mascarade.

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