Scène 10
Dans sa course éperdue, la jeune fille s'aperçut qu'elle avait machinalement ré-enroulé le parchemin. Elle ouvrit la porte de sa maison à toute volée, en appelant sa mère ; elle l'entendit répondre de la cuisine. Elle se précipita vers la voix tant aimée, et faillit faire tomber la petite femme replète qui s'essuyait les mains dans son tablier.
— Qu'y a-t-il, ma chérie, que tu sois si pressée ? Oh, ta chemise, mais que…
— C'est… c'est Gacrow ! bégaya la fillette, interrompant sa mère et lui montrant le Rouleau Scellé. Il est revenu, il lisait ça aux Archives et… !
Sa mère fronça les sourcils, tendit la main vers le Rouleau et le reconnut. Elle inspira sous l'effet de la surprise :
— Gacrow, dis-tu ? Mais il est parti pour sa tournée…
— C'est lui qui a déchiré ma chemise ! Il a parlé d'une marque sur mon épaule !
La femme enlaça soudain son enfant et la serra fortement contre elle. Elle lui murmura à l'oreille :
— Va dans le cellier, prend le sac qui se trouve sous la planche descellée sous le sac de farine, tu fileras ensuite par la trappe du fond droit chez le Maître Archiviste.
— Maman ?
— Va, ma fille, va, fais vite, il y va de ta vie ! Oh, ce Gacrow, mais pourquoi ai-je… Quelle idiote, mais quelle idiote j'ai été toutes ces années ! s'écria la femme en allant chercher son couteau de cuisine le plus acéré et se postant à la porte.
Abasourdie, la fillette allait franchir la porte du cellier lorsqu'elle entendit la femme hurler de douleur. Tournant la tête, elle vit Gacrow enfoncer un couteau dans le ventre de sa mère et remonter sous les côtes. Le sang gicla sur sa chemise lorsqu'il le retira et il jura avant de s'exclamer :
— J'ai perdu la main, depuis le temps que je joue au bon mari !
La jeune fille vit sa mère s'écrouler au ralenti, et s'avança vers elle. Gacrow l'intercepta :
— Toi, petite garce, je vais te faire payer les coups que tu m'as infligé !
Il lança la main vers l'arrière de sa tête et attrapa une pleine poignée de cheveux blonds ; il la tira vers lui et elle cria de douleur avant d'en recevoir un autre coup dans le ventre et d'être mise à genoux. Elle tendit la main vers sa mère agonisante et reçut un poing en plein visage ; étourdie, elle tomba à terre, aux côtés de sa mère. Celle-ci avait porté les mains à sa blessure, et le sang coulait à travers les doigts. Aucun son ne sortit de sa bouche lorsqu'elle tenta de murmurer, ou peut-être la fillette n'avait-elle plus la force d'entendre…
Lorsque l'homme lui écarta les jambes, arracha ses vêtements et la viola, elle ne réagit pas. Elle regardait sa mère dans les yeux, ignorant le déchirement douloureux entre ses cuisses, les ahans de l'homme, curieusement détachée, attendant simplement que ça se termine.
Les coups de hanches s'accélérèrent soudain, et la fillette se raccrocha instinctivement aux carreaux grossier du sol, mais ses doigts gourds peinaient à remuer. Enfin l'homme s'immobilisa, frémissant, exhalant un long soupir. Il s'affala un instant sur elle, puis se retira de son corps et se releva.
— Bon, voilà qui est mieux, dit-il. J'aurais préféré ta vraie mère, c'est sûr, elle au moins était mûre, et à vrai dire ta mère adoptive possède quelques compétences intéressantes elle aussi. Enfin, possédait, devrais-je dire, ricana-t-il. Enfin, j'ai achevé la mission d'éliminer la lignée royale de ce royaume des arbres que mon Maître m'a confiée depuis tant d'années ! Il sera content et me reprendra peut-être auprès de lui.
Il rajusta sa ceinture et s'intéressa au foyer dans lequel se trouvaient quelques braises ardentes. Sifflotant, il prit un bâton et fourragea dans les braises de façon à en répandre un peu partout sur le sol, puis enflamma une branche et la passa sur tout ce qui pouvait prendre feu dans la cuisine : la table de bois, la porte du cellier, divers outils de cuisine en bois, un petit pot de farine… Bientôt la fumée dégagée le fit tousser et il entrouvrit la fenêtre, attisant les flammes tout en respirant un peu d'air frais.
— Bon, il est temps que je reparte faire ma tournée, il faut bien maintenir les apparences… Je ne reviendrais que pour pleurer le tragique incendie qui m'a fait perdre ma tendre épouse et mes filles chéries en mon absence ! J'imagine que la cadette dors là-haut, vu l'heure qu'il est. Toujours un sommeil de plomb, cette petite, c'est incroyable.
Il s'en alla, non sans donner un dernier coup de pied à la femme agonisante.
Dès qu'il fut parti, la jeune fille tenta de rassembler ses pensées. Tâche impossible, mais il le fallait… Les flammes… Le Rouleau… Où était-il ? Déjà parti en fumée ?
— Maman…
— Ma fille… murmura douloureusement la femme.
— Non, ne parle pas, je t'en prie, je t'en prie, laisse-moi t'aider…
— Chut ! ma fille, écoute ! Fais ce que je t'ai dit, prends le sac, va chez Théron et raconte-lui tout, écris ton témoignage avec la Plume de Vérité. Lilette est chez sa meilleure amie, qu'elle y reste, je le veux. Et Lisanna, non, Kissandre, sache que je t'aime comme si je t'avais donné naissance ! Va, maintenant, avant de brûler vive ! Ne laisse pas cet homme gagner…
La femme trouva la force de lever la main et de caresser la joue de sa fille, puis mourut.
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