Scène 13
Elle était la Princesse Héritière du Royaume des Branches. Son beau-père avait tenté de l’assassiner et ignorait pour l’instant qu’elle avait survécu.
Elle s’imagina à la place des villageois. La maison avait été incendiée, sa mère et elle devaient être présumées décédées. Lilette ayant passé la nuit chez une amie, elle y resterait un certain temps, au moins jusqu’à ce que Gacrow, son beau-père, revienne de sa tournée – ils ne pouvaient qu’ignorer sa présence au village cette nuit-là, après avoir son salué son départ quelques jours plus tôt.
La fillette triturait machinalement le bord de son habit, comme pour illustrer ses pensées.
Gacrow prendrait-il soin de Lilette ? Elle n’était pas son enfant, après tout, et il n’avait eu aucun scrupule à poignarder Beckia malgré plusieurs années à partager sa vie. Les villageois n’appréciaient pas tellement Gacrow, eux non plus : l’homme ne s’était jamais montré aimable qu’envers un client ou Beckia. Enfin, ça c’était avant de la tuer.
« Dois-je faire savoir au village que je suis vivante ? » s’interrogea-t-elle.
Mais Gacrow le découvrirait en rentrant, et tenterait sûrement de la tuer.
« Il faudrait que je leur dise ce qu’il s’est passé. Mais quelles preuves ai-je ? Je peux me faire examiner par la sage-femme, peut-être ? Mais Gacrow, et son estomac se souleva à son évocation, quelle preuve ai-je qu’il ait été là ? »
Un soubresaut fit vaciller la fillette : qu’était-il advenu du Compagnon Archiviste de garde ? Gacrow l’avait assommé ou tué ? Si la sage-femme l’examinait afin de découvrir les marques du viol, le Compagnon pourrait être commodément accusé, non ? Bien qu’il soit improbable qu’un homme préférant son propre sexe puisse s’en prendre à une fillette.
La nausée s’empara de tout son être. Elle avait beau retourner le problème dans tous les sens, la jeune fille ne voyait aucun moyen d’accuser son ex-beau-père des crimes qu’il avait commis sans qu’il trouve un moyen d’échapper à la sanction…
Une idée prit forme dans son esprit. Une idée si glaçante qu’elle calma instantanément son tourment ; son cœur s’apaisa.
— Je dois le tuer, prononça-t-elle.
D’abord, survivre. Ensuite ? Apprendre à combattre, bien entendu. L’homme savait manier la dague et il avait gagné à poings nus les quelques rixes auquel il avait prit part à la taverne. Elle devait devenir meilleure que lui pour l’abattre. Ensuite ?
— Le trône.
Devrait-elle le réclamer ? La demoiselle fouilla dans son sac, prise de panique ; avant de soupirer : le Rouleau Scellé de sa mère adoptive était toujours là, intact. Il était, avec la marque sous son omoplate, le seul témoin de son identité. Elle le relut avec attention, gravant les détails dans sa mémoire.
« Libre alors à elle de répandre la vérité et de réclamer son trône, ou de conserver à jamais le secret et de vivre comme elle l'entend. »
Le trône du Royaume des Branches était son héritage. Une petite fille de huit jours était morte à sa place, et on lui avait imposé sonj identité en échange.
« J’ai pris la vie de la vraie Lisanna… Si je pouvais lui rendre ! »
Réclamer le trône signifiait abandonner l’identité empruntée et reprendre la sienne. Une vie pour une vie. Lisanna, Kissandre. Elle pourrait faire déplacer la sépulture en juste place, au côté de la diligente Beckia, dont le courage et l’intelligence avait préservé la Princesse durant toutes ces années.
Et puis, le Royaume avait-il vraiment d’un souverain ? Il semblait fort bien se gouverner tout seul ! Le système des Conseils et de son Assemblée fonctionnait. Bien que certaines décisions mettent du temps à être prises. Malgré que certains rois voisins voient d’un mauvais œil un pays géré par son propre peuple et s’intéressaient à cette immense réserve de bois, de gibiers et de champignons.
Des fragments de conversation revinrent à la surface : Théron avait évoqué que certains accords commerciaux n’avaient pu être renégocié avec l’autre partie, car il ne seyait point aux nobles de conférer avec la piétaille.
Elle prit une nouvelle décision : il lui fallait discuter de la situation avec le Maître Archiviste. La demoiselle lui faisait entièrement confiance, pour une raison très simple : il était au fait de son identité. Il était en poste à l’époque où la famille royale avait péri. Le Rouleau Scellé que Beckia avait rédigé, il l’avait contresigné. C’était lui qui avait mandé un Mage, et le témoignage de Beckia sur la tragédie n’avait pas été le seul à être rédigé sous un sort de vérité garantissant son authenticité, cela faisait partie de l’histoire qu’elle avait apprise par cœur à l’école.
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