Scène 18
Épuisée par une journée de chevauchée, moulue, la fillette hésita : devait-elle se rapprocher de ce feu qu'elle apercevait ou non ? Pas de chariot, ce n’était donc probablement pas Gacrow. Et puis, il avait dit qu’il reprenait sa tournée du royaume tandis qu’elle se dirigeait droit vers la frontière.
Elle avait faim et froid, elle avait survécu au viol et à l'incendie : elle s'approcha, découvrant un homme tanné par le temps et les combats, la main prudemment posée sur la garde de son épée, et dont les mèches blanches et les cicatrices témoignaient de son métier.
Le mercenaire qui était passé par le village quelques jours plus tôt. Elle avait fini par le rattraper.
L'homme buriné se détendit et parla d'une voix fatiguée :
— Hé alors fillette, qu'est-ce qui peut bien t'amener près du feu d'un vieil homme en pleine forêt et si tard le soir ?
— Je demande une place auprès de votre feu, pour manger et me reposer, répondit-elle, un peu tendue.
— Accordé. Allez descends de là, petite, viens t'asseoir. Tu vas finir par tomber de ta monture, autrement.
Elle faillit bien tomber en effet, toute courbaturée de sa longue chevauchée. Le mercenaire fut frappé du regard de la fillette, contrastant avec sa beauté naissante. Il connaissait bien ces yeux-là… Il l'avait vu trop de fois chez nombre de femmes et d'enfants, après la guerre ou dans les quartiers les plus misérables. Quelques-uns de ces enfants devenaient mercenaires et finissaient souvent par mourir jeunes sur le champ de bataille. Il se rassit de l'autre côté du feu, sans rien dire, et la fillette lui fut reconnaissante de son silence. Sans un bruit, sans un geste, apparemment concentré sur sa tasse de boisson chaude, le mercenaire l'étudia du coin de l’œil. Il ne pouvait s'empêcher de se demander pourquoi la jeune fille s'était enfuie de chez elle, alors que les villages de ce pays étaient remarquablement bien entretenus et les habitants manifestement heureux et en bonne santé, au sein de communautés très solidaires : c'était assez rare dans ce monde pour être signalé, et ce d'autant plus qu'il n'y avait plus de gouvernement central sous l'autorité d'une lignée de noble naissance depuis une décennie au moins… Ce qui commençait à attirer l'attention de certains autres pays, dont les gouvernants les plus injustes craignaient, et à juste titre, que cet exemple n'incite leur propre peuple à se rebeller contre eux.
La fillette attacha son cheval à une branche, de sorte qu'il puisse être facilement détaché au besoin, lui posa devant les naseaux une poche remplie de grains qu'elle tira des sacoches de selle, puis s'assit avec précaution derrière le feu et mangea un morceau de pain et une poignée de fruits secs. Elle but quelques gorgées d'eau puis s'enroula dans un carré de laine, dos au feu, et ne tarda pas à s'endormir.
— Elle doit vraiment être épuisée, pauvrette, murmura le mercenaire.
Il rangea à son tour ses affaires et se coucha de la même façon, une dague à portée de main.
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