Scène 26
Kisanna s’était plutôt bien adaptée à la vie au camp. Ses camarades de dortoir s’étaient vite accommodées de sa réserve, et elles s’entendaient bien. Kisanna n’avait guère de mal à suivre les cours théoriques, et avait même une longueur d’avance sur la plupart de ses camarades de promotion, mais les cours pratiques lui demandèrent beaucoup plus d’efforts. Cependant, avec le temps et un respect scrupuleux des exercices, son corps s’étoffa et développa une musculature souple et de plus en plus d’endurance.
Mark, le vieux mercenaire, était devenu un de leurs professeurs. Il avait correctement estimé les futures armes de Kisanna : la rapière et la dague, assorti d’un bouclier de main. Au fil du temps, l’adolescente avait développé une agilité remarquable, et ses progrès furent tels qu’à seize ans, après être devenue cadet, on lui prendre les cours des futurs officiers. Kale s’y trouvait déjà et Nours les rejoignit peu de temps après Kisanna. Les trois jeunes gens étaient promis à un brillant avenir d’officier.
Au bout de trois ans, Kisanna s’était habituée au surnom de Vierge de Glace que ses rejets systématiques de toute séduction à son égard lui avaient valu. Kale, lui, avait montré un tempérament… nettement plus ardent. Il n’avait jamais tenté d’approcher Kisanna, ce dont elle lui savait gré, mais il papillonnait d’une fille à l’autre sans remords, ne restant jamais longtemps avec la même. De quinze à vingt-cinq ans, tant qu’elles comprenaient de quoi il s’agissait et étaient consentantes, il les prenait. Il lui arrivait parfois de se lasser, et se réfugiait alors auprès de Kisanna, sachant que sa froideur habituelle ferait fuir toute candidate à des jeux d’adultes.
Ils discutaient alors de tout et de rien.
— Mais tu n’as pas peur d’engendrer bâtard sur bâtard ? lui demandait Kisanna. T’as pas déjà été réprimandé ?
— T’inquiètes, Ki', répondait Kale, mâchonnant un morceau de viande pimenté aussi sec qu’une lanière de cuir mais qu’il adorait, on m’a fourni un truc pour que ça n’arrive pas.
— Et tu es sûr que ça marche ? rétorquait Kisanna en lui tendant le pochon contenant d’autres morceaux dans lequel Kale piochait allègrement.
— Ouaip. C’est un outil magique. Une espèce de sceau qu’on appuie sur le bas-ventre, ça laisse une sorte de tatouage temporaire qui dure un mois et qui empêche toute conception. Faut recharger l’outil de temps en temps, comme pour une Plume de Vérité. Il y a une version pour les femmes aussi, je m’assure toujours que mes amantes l’utilisent, autant pour elles que pour moi ; d’ailleurs, je prends toujours la précaution de leur montrer le mien. Pas envie d’être accusé de paternité quand c’est impossible. J’comprends pas, tu devrais savoir… Oups, pardon, fit-il, contrit.
Kisanna se retint de lui jeter le pochon au visage. S’il se prenait le piment dans les yeux, elle pourrait récolter deux jours de corvée et elle n’avait pas envie d’essayer.
— Tu abuses de ton physique et de ta belle gueule, Kale. Malgré tes précautions, ça finira par te jouer un sale tour. Regarde Nours, il est discret, lui !
Penaud, Kale prit un nouveau morceau de viande.
— Tu as une réputation de séducteur invétéré qui ne sait manier qu’un seul type d’épée : celle qui te pend entre les cuisses. Des fois, tu me dégoûtes, Kale.
Kisanna laissa tomber le pochon au sol et partit, laissant le jeune homme stupéfait rattraper de justesse sa précieuse gourmandise.
Annotations
Versions