Scène 36
Par un beau jour du début de l’automne, le quintet fut engagé pour une mission pas comme les autres : un conflit avait éclaté entre deux petits seigneurs barons, et les récoltes menaçaient de pourrir sur pied, faute de main d’œuvre, car les paysans avaient été enrôlés de force. Le vicomte, leur supérieur, les avait fait mander en personne dans l’espoir de faire cesser le conflit qui menaçaient d’ensanglanter la contrée. Hélas, les deux seigneurs, butés, avaient refusés tout net de discuter de la cause et de sa résolution.
Ce fut Kale qui négocia la mission : des cinq, il était celui le plus à l’aise avec les nobles et connaissait leur parler et leurs manières. Kisanna l’observa minutieusement, gravant dans son esprit sa façon de faire. Cela me sera utile plus tard, pensa-elle. Elle nota mentalement la nécessité d’engager un professeur de bonnes manières dans le futur, tout en s’étonnant de l’aisance de Kale. Peut-être était-il de noble naissance, après tout…
Ce jour-là marqua hélas une aggravation du conflit. Les deux barons possédaient le même esprit, et en d’autres circonstances leurs actions jointes auraient certainement fait merveilles ; sauf qu’ils luttaient l’un contre l’autre.
Chacun avait envoyé des bataillons piller les villages de l’autre, et certains soldats révélèrent malheureusement un esprit sanguinaire : il y eut des morts parmi la population civile. Apprenant le désastre, chaque seigneur rappela les bataillons pour les dépêcher sur le futur champ de bataille, à la frontière des deux baronnies, marquée par une rivière peu profonde qui sillonnait une plaine.
Le quintet s’était alors séparé en deux groupes, chacun se rendant au château d’un des barons, et ce ne fut qu’une fois sur place qu’ils apprirent la bataille à venir. Kisanna d’un côté, Toli de l’autre, interrogèrent rapidement les domestiques avant de se précipiter avec leurs compagnons vers le lieu de la confrontation, se rejoignant en abordant la plaine et échangeant leurs informations.
Au grand galop, Kisanna prit la tête, enleva le ruban qui maintenait ses cheveux et les laissa se déployer à la manière d’une oriflamme. L’angle du soleil était parfait pour que la lumière se refléta sur les cheveux de la jeune femme, attirant l’attention des soldats.
Kale et Hawys d’un côté, Nours et Toli de l’autre, se déployèrent dans chaque camp et tout en le traversant à fond de train, évitant les soldats, hurlèrent :
— Posez les armes ! Ordre du vicomte !
Une petite blonde trapue leva son épée et hurla en retour :
— Écoutez-les !
Puis elle jeta son arme à terre, maintenant son bouclier en garde par précaution. Nours lui jeta un œil au passage tandis qu’elle le dévisageait. La plupart de ceux qui l’entouraient, soldats de métiers comme paysans conscrits, n’avait jamais souhaité combattre dans un conflit si absurde. Le tintamarre des armes lancées à terre, s’entrechoquant, roula comme une vague d’un bord à l’autre du champ de bataille, et les barons devenus frénétiques hurlaient des ordres auquels plus personne n’obéissait.
Entrant en fureur devant la mutinerie de leurs troupes, les deux seigneurs brandirent leurs armes… et se jetèrent l’un sur l’autre. Kisanna leur fonça dessus, et ne fit freiner son cheval des quatre fers qu’au dernier moment, forçant les barons à se séparer.
— Comment osez-vous ! s’indigna le premier.
— Manante ! s’offusqua l’autre.
— Ordre du vicomte, rétorqua calmement Kisanna, montrant la plaquette de bois sur laquelle était écrite l’ordre, contresigné du caché de cire vicomtal. Cessez immédiatement le combat. J’ai l’autorisation de vous couper le bras si vous persistez… les menaça-t-elle.
Subjugués, ils se reculèrent, laissant la point de leur épée toucher le sol. Kisanna reprit d’un ton sec :
— J’ai appris la cause de votre combat, messeigneurs. Honte à vous ! Deux nobles personnes telles que vous mettez vos terres à feu et à sang pour une femme !
Honteux, les barons baissèrent le nez.
— Comment j’ose ? poursuivit Kisanna. Et vous, comment osez-vous guigner la fiancée du vicomte !
Les barons relevèrent brusquement la tête.
— La… La fiancée du vicomte ? firent-ils en chœur. Êtes-vous sûre ?
Kisanna hocha la tête.
— Le vicomte décidera de votre sanction plus tard, mais sachez néanmoins que vous serez invités à leur mariage. Ordre vous est donné de cesser le combat immédiatement. Vous avez des dégâts à réparer et des familles à dédommager, ainsi qu’un accord à créer vous interdisant tout nouvel affrontement. Mes camarades et moi-même nous assurerons de votre obéissance, termina-t-elle, rejointe par ses quatre amis, arme au clair et visage fermé.
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