Scène 44
Jesca prit en main les rênes de la monture de Kisanna tandis que celle-ci s’avançait et actionnait le heurtoir de la porte. La demeure ne payait pas de mine : taille moyenne, coincée entre deux autres maisons, la façade manquait d’entretien. D’anciennes jardinières ornaient de leur vide deux rebords de fenêtre masquées par des rideaux opaques d’une couleur indéfinie.
La porte en bois, dont le vernis s’écaillait, s’entrouvrit sur un regard prudent. Kisanna, doutant de l’adresse, leva néanmoins le contrat à hauteur d’yeux et se présenta. La porte s’ouvrit plus largement, et la femme d’âge mur qui se trouvait derrière fit entrer Kisanna tout en observant d’un œil méfiant Jesca et Toli qui attendaient patiemment.
L’entrée donnait directement sur une petite pièce plus agréable qu’il n’y paraissait : un des fauteuils élimés mais confortables accueillit Kisanna, tandis que la femme emmena son air maussade plus loin dans la demeure.
Peu après, une beauté rousse entra à son tour dans la pièce : Kisanna reconnut la femme qui avait fit éclore sur le visage de Kale ce sourire particulier qu’il ne lui avait jamais adressé. Démarche féline, sûre d’elle, la taille mince mais les épaules musclées, le regard vert prasin de la rousse rappela à la mercenaire la forêt de son royaume natal. Elle eut tout à coup le mal du pays.
Leurs regards se rencontrèrent… et Kisanna se raidit imperceptiblement. Quelque chose n’allait pas. La personne en face d’elle affectait une attitude typiquement associée à la féminité, mais ses yeux étaient les plus perçants qu’elle eut jamais connu. Ce fut subtil, mais la rousse aussi s’était figée devant la réaction de Kisanna.
— Bienvenue, mercenaire, accueillit chaleureusement la rousse. Je suis Shona. Ma nourrice m’a prévenue : vous êtes la mercenaire qui va m’accompagner jusqu’à mon futur mari ?
— Je m’appelle Kisanna. En effet, j’ai été missionnée, ainsi que deux camarades, pour vous escorter en toute sécurité jusqu’à votre destination. Voici le contrat.
Kisanna tendit la feuille à Shona, qui l’étudia attentivement.
— Oui, je reconnais bien là l’attention de mon fiancé. Il est si galant ! Oh, j’ai tellement hâte ! dit-elle en rendant la feuille à Kisanna avant de taper des mains avec enthousiasme. Ma nourrice est partie emballer mes affaires. Ça ira vite, j’en ai peu. J’ai tellement de chance que mon cher fiancé ait jeté son dévolu sur moi !
Kisanna sourit mais n’en pensa pas moins. Toute l’attitude de Shona fleurait bon la naïveté, mais son regard avait un reflet de dureté adamantine. Pour compenser ce défaut, elle battait souvent des cils, affectait de ravissantes petites mimiques, papillonnait des mains… Kisanna se demanda si le futur mari savait dans quel guêpier il s’était fourré.
Peu importait. Enfin le sac de la femme fut prêt, et Shona fit des adieux larmoyants à sa nourrice, qui semblait agacée plus qu’émue. Enfin, la rousse et la blonde sortirent de la demeure : Jesca et Toli furent présentées à Shona, ravie. La nourrice sortit à son tour sur le pas de la porte, et secoua la main en un salut mécanique.
Jesca, toujours affable, aida Shona à installer ses affaires puis toutes se rendirent jusqu’aux portes de la ville. Ce n’est qu’une fois sorties qu’elles auraient le droit d’enfourcher leurs montures : ainsi était la règle, pour des raisons de sécurité.
Elles commencèrent leur voyage.
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