Scène 46

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Kisanna replia le journal et alla le donner au patron de l’auberge qui tenait le comptoir ce matin-là. L’aube pointait à peine. L’homme la remercia et lui donna en échange une pleine outre de ka’ay fraîchement infusé, comme promis en récompense de son intervention spontanée, la veille, pour arrêter une bagarre dans la salle commune de l’auberge. Kisanna le remercia chaleureusement et lui fit ses adieux : elle devait rejoindre ses camarades et finir de harnacher son cheval.

Comme ils s’y attendaient, il n’y avait guère d’embauche pour eux dans cette petite ville, aussi poursuivraient-ils leur route vers une autre, plus grande et dont la foire annuelle approchait. Son succès grandissant promettait beaucoup de postes de gardes à pouvoir.

Ils étaient sortis de la ville depuis une heure environ quand le trot d’un cheval lancé à bonne allure les interpella. Les mercenaires avaient fait une pause sur le bas-côté, sur un espace herbeux bien dégagé, afin de déguster leur boisson énergisante. Nours se leva, la main à proximité de sa hache, et tous guettèrent. Ils observèrent de loin la monture sombre et son cavalier à capuche se rapprocher.

L’exclamation de Kisanna surprit les autres.

— Tu reconnais cette personne, Ki’ ? demanda Hawys.

— C’est la mariée. Shona. Même si je doute que ce soit son vrai nom !

— Quoi ? s’écrièrent-ils.

Dès que Shona fut assez proche, elle fit ralentir son cheval, puis le mit au pas avant de retirer son capuchon, dévoilant ses boucles maintenues par un bandeau. Arrivée à cinquantaine de mètres de distance, elle s’arrêta et les salua de la main, avant de lever l’autre en signe d’apaisement.

— Bonjour à vous ! lança-t-elle gaiement. Je pensais mettre moins de temps à vous rattraper. Je n’avais pas imaginé que vous partiriez si tôt !

Kisanna se leva à son tour et l’accueillit d’un neutre :

— Shona.

— Tu avais deviné, hein ? rétorqua ladite. Que je n’étais pas juste une gentille petite demoiselle.

— C’est ton regard, il ne cadrait pas avec ton attitude.

— Ah, zut ! C’est mon point faible, c’est vrai. Ça pose rarement problème avec les hommes, ils sont en général trop subjugués par mon physique pour prêter attention au reste.

— Et si tu te présentais vraiment, cette fois ?

— Oups, oui, tu as raison. Je suis Shuvan, membre de la Guilde des Mercenaires en tant qu’indépendante. Oh, et spécialisée dans l’assassinat, comme l’a deviné Kisanna.

Tous les autres se raidirent subrepticement.

— Et pourquoi nous as-tu rejoint ? reprit Kisanna.

Shuvan répondit, embarrassée :

— Croyez-le ou non, mais j’ai apprécié mon voyage avec vous, les filles. Je me suis dit que ça serait sympa de vous accompagner encore un bout de chemin, et puis un des problèmes de mon activité principale est qu’il vaut mieux ne pas traîner trop longtemps sur place, même en étant affiliée à la Guilde. On n’est jamais trop prudents et mes derniers coups d’éclat étaient un peu trop… voyants.

Elle reprit son souffle un instant, étudiant les mercenaires du regard, notant leur posture, leur regard…

— C’est culotté de ma part, j’en ai conscience. Mais si vous l’acceptez, j’aimerais vraiment me joindre à vous, au moins jusqu’à la prochaine ville. Si vous acceptez mais ne voulez pas risquer d’être associés à moi, je vous quitterais avant qu’on soit en vue de la ville ! Si vous refusez, je poursuivrai mon chemin dès maintenant.

Shuvan conservait une attitude calme et franche. Elle restait cependant sur ses gardes : les assassins sont généralement méprisés des autres mercenaires. Tuer furtivement, voire avec du poison, espionner, voler… ne correspondait pas à l’idéal guerrier que favorisaient la plupart. Cependant, ce n’était pas le cas de Kisanna, Kale et Nours car l’assassinat n’était jamais qu’une des spécialités dont l’ancienne Compagnie des Éclairs dispensait la formation.

Kisanna consulta ses camarades du regard, puis invita d’un geste la sculpturale rousse à les rejoindre. Shuvan s’installa près d’elle, qui lui demanda si elle avait une tasse pour lui servir un peu de ka’ay.

Le silence régna quelques instant avant que Jesca ne le brise :

— Shuvan, puis-je te poser une question ?

La rousse l’interrogea du regard.

— Pourquoi devenir un assassin ?

Kale s’étouffa :

— Jesca, ça ne se fait pas de demander ça !

— Pas de souci, répondit Shuvan. Je sais que Jesca n’est pas dans le métier depuis très longtemps et qu’il n’y a pas malice. C’est simple, Jesca : le mentor qui m’a sortie de la rue était un assassin, il m’a prise comme apprentie, naturellement. Sachez cependant que je n’accepte pas n’importe quel contrat. Pas d’enfants, pas de femme enceinte, pas d’innocents. Je n’hésite pas à enquêter personnellement si j’ai un doute. On peut être un assassin et avoir des principes !

Hawys grogna, mécontent, mais ne dit rien. Puis son regard tomba sur Kale et il haussa les sourcils : celui-ci contemplait le tableau que formait deux des plus ravissantes créatures qu’il ait jamais vu de sa vie, oublieux du reste.

Nours éclata de rire et flanqua une grande claque dans le dos du jeune homme, lui faisant renverser sa tasse.

— Bon sang, Nours ! protesta-t-il, consterné.

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