Scène 51
Cinq mois plus tard, dans un village quelconque, les enfants couraient autour des chevaux, s’exclamant :
— Regardez, c’est la Compagnie Noire !
— Woah, trop fort ! Vous avez trop la classe !
Et les hommes contemplaient, admiratifs, Nours qui effectuait quelques moulinets de sa hache.
— Oooh, elles sont jolies, les dames ! cria une petite fille.
Shuvan lui fit un clin d’œil, et Jesca rougit. Kisanna resta de marbre, comme d’habitude, intérieurement embarrassée.
Quelques jeunes femmes à marier gloussèrent au passage de Kale, qui glissait une main langoureuse dans ses longs cheveux aile-de-corbeau. Il leur concéda une œillade ravageuse et l’une des demoiselles prit le teint d’une tomate bien mûre.
De tous côtés se murmurait :
— La Compagnie Noire !
Kale avait eu raison. Sitôt constituée officiellement auprès de la Guilde, la Compagnie Noire avait enchaîné des contrats bien rémunérés : leur réputation les précédait, et la richesse les suivait. C’était Kale encore qui avait choisi leur nom, et lorsque Kisanna, en tant que leur Capitaine, avait choisi d’investir une partie de leur nouvelle fortune dans du matériel neuf et de qualité, il l’avait imploré de choisir des couleurs sombres pour améliorer encore leur image… Elle devait le reconnaître, ses camarades et elle avaient désormais une certaine prestance en plus d’être devenus immédiatement reconnaissables.
Dès qu’ils furent hors de vue du village, Nours rangea sa hache, Kale s’affaissa sur son cheval et Hawys soupira.
— Des fois c’est fatiguant de défiler comme à la parade chaque fois que nous traversons une bourgade ! lâcha-t-il.
— Ah, ça, c’est la rançon du succès ! répliqua plaisamment Kale.
Toli talonna sa monture, se plaçant aux côtés de Kisanna.
— Ki’, tu rumines depuis des heures. Quelque chose ne va pas ? la questionna-t-elle.
La blonde soupira :
— Je réfléchis juste à quelque chose… Je vous en parlerais ce soir, quand on se posera pour la nuit.
Kale fronça les sourcils, tentant de déceler un indice dans la mine perturbée de sa vieille amie. Aujourd’hui, c’était au tour de Shuvan de jouer les éclaireurs, et tandis que le soleil couchant affleurait la cime des arbres, elle revint les mener à une petite combe dégottée plus loin sur la route, bien abritée par quelques fourrés.
La troupe était parfaitement rôdée : certains s’occupèrent des montures, d’autres de ramasser du bois pour le feu, l’un utilisait quelques branches pour monter des abris de fortune, suffisants pour couper la brise. Le temps était au beau, ils n’auraient pas froid.
Kisanna hésitait encore. Devait-elle leur dire toute la vérité ? Levant les yeux, elle prit conscience du silence et du fait que tous la dévisageait patiemment. Elle se racla discrètement la gorge puis se lança :
— Les amis… Je suis originaire du Royaume des Branches. Je souhaite y retourner : j’ai des affaires à y régler.
— Ça me va, fit Kale. Nous sommes assez riches pour nous permettre de prendre des vacances. Qu’en pensez-vous, tous ?
Un chœur de voix acquiesça et Kisanna sourit, rassurée. Avant de comprendre :
— Vous me suivrez là-bas ?
— Évidemment ! tonna Nours. On va pas laisser notre Capitaine toute seule, à moins que tu ne nous l’ordonnes !
— Oh ! fit Kisanna, surprise par son émotion soudaine.
Jesca l’étreignit, permettant à son amie de cacher ses yeux humides dans son épaule.
— Alors, c’est décidé, ajouta-t-elle lorsqu’elle eut repris contenance. Cap sur le Royaume des Branches !
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