Scène 52
Au loin, une ombre s’étendait de part et d’autre, barrant l’horizon de sa canopée touffue. Shuvan siffla, impressionnée malgré elle. Jamais elle n’avait vu une forêt d’une telle ampleur.
Kisanna la contempla, nostalgique, avant de chasser d’un mouvement de tête des pensées superflues. La jeune femme appréhendait son retour, les dernières nouvelles envoyées par Théron étaient mauvaises : la guerre, qui avait repris dans l’est, chassait devant elle conscrits déserteurs et civils désespérés, dont une partie se reconvertissait dans le brigandage… Toujours la même vieille rengaine ; sauf que certains d’entre eux se réfugiaent au Royaume des Branches et s’en prenaient aux habitants qui s’éloignaient un peu trop des limites de leur village, voir parfois se hasardaient de nuit et cambriolaient les boutiques.
— Comment comptes-tu t’y prendre, Kisanna ? questionna Nours. Veux-tu te rendre directement dans ton village ou devrions-nous nous rendre au plus proche, voir s’ils emploieraient quelques mercenaires pour se débarrasser de la vermine ?
— Tout droit chez moi, répondit-elle. Soyez sur vos gardes lorsque nous pénétrerons la forêt.
— Évidemment, maugréa Kale, adoucissant son intonation d’un clin d’œil malicieux. Nous prends-tu pour des lapereaux de quelques jours ?
Kisanna lui donna une bourrade amicale.
— Allons-y ! ordonna-t-elle.
La lumière s’assombrit progressivement au fur et à mesure qu’ils s’enfonçaient sous les branchages. L’entretien de la route n’avait pas eu lieu depuis un moment, à en juger par son état ; cela dit, ce n’était pas le chemin le plus emprunté.
Un souvenir revint à la mémoire de Kisanna : c’était cette voie qu’elle avait emprunté avec le Vieux Mark, voici tant d’années… Huit ans, si elle ne se trompait pas. Une petite fille brisée s’était enfuie, une combattante habile et assurée revenait. Cette partie de son long plan était réussie, au moins. « Peut-être pas si assurée, tout compte fait… » pensa-t-elle.
La Compagnie Noire progressait, menée par Kisanna, et tous étaient aux aguets, fouillant du regard les fourrés et les buissons, analysant le moindre son. Shuvan pesta, faisant discrètement pouffer ses camarades : une énième chenille lui était tombée dessus. C’était le printemps, beaucoup se suspendaient aux arbres avant de devenir des chrysalides.
— Le vert te va bien, tu sais, Shu’ ? plaisanta Nours. Dans tes cheveux, c’est très joli.
— Le vert va à tous les cheveux, Nours, commenta Jesca d’une voix mordante.
Comme pris en faute, le colosse se rapprocha de sa camarade boudeuse. Kisanna fit tourner sa troupe au premier carrefour, souhaitant visiter un village proche : le détour ne rallongerait leur trajet que d’une demi-journée.
Dès qu’ils furent en vue du premier, Kisanna stoppa net, choquée : il était entouré d‘un rempart de bois solidement construit, et deux personnes montaient la garde à la porte.
— Mettons pied à terre, les amis, leur demanda-t-elle. Tentons de ne pas les effrayer…
Les gardes tendirent leur lances en travers du chemin, tandis que Kisanna s’arrêta prudemment it à la distance d’un lancer.
— Qui êtes-vous et que venez-vous faire ici ? questionna farouchement l’un des hommes.
Les mercenaires déclinèrent leur identité, et les gardes se détendirent imperceptiblement. Échangeant un regard, le plus âgé hocha la tête et ils remirent leurs lances droites.
— Vous pouvez passer, Compagnie Noire. Nous avons entendu parler de vous, même ici au Royaume des Branches. Nous aurions bien besoin de combattants aguerris tels que vous, avec tous ces bandits qui infestent notre belle forêt… L’Assemblée des Conseils envisageait justement d’embaucher des mercenaires pour nous aider, alors si ça vous intéresse, n’hésitez pas : demandez le Conseiller ! Vous ferez des heureux !
— J’en prends note, répondit courtoisement Kisanna. Je vous remercie et vous souhaite bonne garde.
La Compagnie Noire traversa le village, notant l’air tendu des villageois et l’absence d’enfants jouant librement dans les rues, les vêtements légèrement usés, le manque d’entretien des maisons… Le cœur de Kisanna se serra.
Ils venaient de ressortie du village et de remonter sur leurs chevaux que Jesca les prévint qu’un vieillard courait à leur poursuite : Kisanna l’observa un instant, puis ordonna à sa troupe de partir au grand trot.
— Pourquoi ne pas l’avoir attendu ? s’écria Kale. Il semblait être pressé de nous parler !
— À voir sa mise c’est le Conseiller Principal du village ! expliqua-t-elle. Pas le temps de lui parler. On verra plus tard ces histoires de bandits !
Réprobateur, Kale laissa son amie partir en avant.
— Ah, bah, nous sommes censés être en vacances, après tout, tenta-t-il de se convaincre. Et puis on ne peut pas prendre tous les contrats qui se présentent !
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