Deninoza
La forêt est magnifique. Enfin, intéressante plutôt. Même si j'aurais préféré rester chez moi, pour discuter avec ma copine. Par message bien sûr, car il a fallu que j'habite à trois heures de chez elle. On aurait pas pu se retrouver dans la même ville, comme dans les films ? Au lieu de ça, je n'ai jamais pu entendre sa voix, car ses parents ne veulent pas lui acheter un téléphone. Comment on s'est rencontré ? Sur un site. Notre moyen de communiquer jusqu'à maintenant ? Ce même site.
Cette fille, ou ce pseudo, pourrait très bien être un vieux fou. Mais... l'espoir apporte le bonheur. Ma copine est une fille, elle a onze ans, et elle m'aime. J'en suis convaincue.
D'ailleurs, voici quelques petits détails sur moi qui pourraient vous intéresser : je m'appelle Maeva, j'ai 15 ans et je suis une fille.
Aujourd'hui, mes parents m'ont obligé à sortir avec mes sœurs au parc. Mon père nous a rejoint là-bas, et il m'a ordonné de me promener un peu avant de rentrer. Une vraie corvée... Au final, la forêt où je marche est assez agréable, avec ses grands arbres aux feuilles écarlates et l'air frais qui y passe. C'est plaisant, mais une heure déjà que je tourne en rond pour essayer de sortir de cette forêt.
J'ai perdu de vue le sentier quelques minutes, et il s'est envolé. Alors que je foule les feuilles mortes de mes pieds, je tombe sur une clairière lumineuse. Au centre, une jument à la robe sombre broute l'herbe. Je remarque un détail étrange : au milieu de son front trône une corne torsadée. Une licorne ? Non, ça dois être une illusion ou une blague idiote. Je m'avance doucement vers l'animal, attrapant une branche feuillue au passage. La jument lève la tête tandis que j'habite délicatement les feuilles devant son visage. Ses yeux rouges sang m'observent attentivement. Je tente de reculer, mais mes jambes refusent d'obéir. Plus aucun de mes membres ne réagit aux appels de mon cerveau. Le cheval redresse l'échine et s'approche de moi, sereinement. Le comportement de la créature m'inquiète, j'ai soudain une envie irrépressible de fuir très loin. Impossible pour l'instant. Mais alors, que faire ? Les sens à l'affût, j'arrive à remuer les yeux pour apercevoir gros caillou sur le sol. Mais pour quoi faire ?
La jument arrive à quelques centimètres de mon visage, et semble esquisser un sourire. Je parviens à bouger légèrement mon poignet pour pouvoir chatouiller l'animal de la branche restée dans ma main. La créature s'éloigne rapidement pour me tourner autour. Elle guette mes potentiels mouvements, mais de toute façon je suis bloquée.
Soudain, une flèche fuse et se plante dans le cou de l'animal. Je suis à nouveau capable de bouger, et j'en profite pour m'écarter alors que la jument ruent violemment, henissant toujours plus fort. Elle finit par s'écrouler au sol tandis que je m'assois pour reprendre mes esprits. Je vois deux pieds s'avancer vers l'animal mort, et préfère ne pas faire de mouvements brusques en pensant que c'est mon sauveur. La personne retire sa flèche de la nuque du cheval pour l'essuyer. Je lève la tête pour apercevoir le visage de mon héros, mais il porte un casque de chevalier comme ceux du Moyen Âge.
Je pense que le "il" devient un "elle". L'inconnue arbore une armure épousant les courbes de son corps, montrant sa poitrine imposante. Quelques mèches brunes dépassent de son casque, et ses mains au doigts fins sont légèrement bronzées. La jeune femme soulève la jument et la place sur son épaule. Je suis aussi impressionnée qu'effrayée par sa force phénoménale, alors qu'elle pose enfin son regard sur moi.
- Qui es-tu ? demande-t-elle d'une voix agréable et rassurante.
- Je... je m'appelle Maeva, je réussit à bredouiller timidement.
- Quel beau prénom... Avant que tu ne demandes, je me nomme Deninoza, ou Deni pour les intimes.
- Merci de m'avoir secourue, Madame.
- Madame ? Ne me vieillis pas enfin, je n'ai que seize ans !
- Seize ans ? je m'étrangle.
Son physique ainsi montré m'incite plus à lui donner vingt, voire trente ans. Son air mature, sa manière de se tenir, sa maîtrise de l'arc... Je n'ai jamais vu une flèche aussi bien tirée, je n'oublie d'ailleurs pas de féliciter la jeune femme pour son exploit. Celle-ci rit, avant de m'observer attentivement. J'essaie de rester immobile, gênée. Elle fait sa propre description de mon physique : yeux lila ornés de pupilles en forme d'étoiles, coupe au carré blond platine, peau claire, petite taille, forme en huit assez exagérée, t-shirt noir, salopette claire et bob rose pâle.
À la fin, une question cruciale me vient à l'esprit.
- Que faites vous ici ? j'interroge.
- Je vis.
- Non mais je veux dire, pourquoi êtes vous dans cette forêt ?
- Je te retourne la question.
- Je me promène, et vous ?
- On aura qu'à dire que je me promène aussi.
- Vous êtes bornée... et que faites vu dans cette tenue ? Un cosplay ?
- Absolument pas, c'est mon armure pour me protéger des créatures comme celle qui vient de t'attaquer.
- Attendez... si j'interprète vos paroles à ma façon, vous vivez dans cette forêt et votre rôle est d'éradiquer les espèces dangereuses qui habitent chez vous.
- En quelque sorte, approuve Deninoza. Mais arrête de me vouvoyer, s'il te plaît.
- D'accord, si vous... si tu veux.
La chevalière me tend une main pour m'aider à me relever, que j'accepte volontier. Toujours avec la jument sur l'épaule, la jeune femme se met en marche. Je la suis, espérant qu'elle me ramène à l'orée de la forêt. Après deux heures de marche ininterrompue, j'abandonne cette idée et tente d'engager la conversation :
- Le genre de cheval qui m'a agressé, il vient d'où ?
- Premièrement c'est une licorne, et deuxièmement je n'en sais rien.
- Comment ça ?
- Comme je suis obligée de les tuer pour éviter qu'ils me mordent, je n'ai jamais pu les suivre jusqu'à chez eux.
- Ils sont plusieurs ?!
- Oui, au moins une centaine.
Je manque de m'étouffer. Comment fait elle pour être aussi sereine alors que son lieu de vie est peuplé par des dizaines d'animaux sanguinaire ?
- Et que se passe-t-il lorsque une licorne nous mord ? je la questionne.
- On est infecté, et il ne nous reste plus que six-cent-soixante-six secondes à vivre.
- C'est à la fois précis et effrayant...
- Oui, si je les combats c'est pour protéger les autres êtres vivants. Leur menace est très importante, heureusement je ne suis pas seule contre eux.
- Vraiment ?
- Oui, et tu vas bientôt rencontrer mes coéquipiers, dit-elle avec une grimace. Deux idiots finis...
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