Spirale

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C’était la sortie de l’hiver, cette époque ridicule où l’on s’émerveille du moindre pauvre rayon de soleil. Fallait-il que nos vies soient tristes pour qu’on en arrive là me dis-je ; on était au bureau, on parlait des « beaux jours », sans doute nommés ainsi pour nous rappeler à quel point les autres sont pourris. On s’émerveille de ce que certains, sous d’autres latitudes plus clémentes, ont en acquis ; Nicolas me disait un truc du genre « Oui, mais nous, on les apprécie plus », je lui répondis que tout ça c’était de la connerie débitée pour ne pas avoir à affronter la dure réalité de nos vies, et que quand bien même ce fut vrai, en bon connard d’ingénieur, je lui expliquais que l’intégrale du bonheur sur l’année reste plus grande pour eux mais s’ils ne le vivent pas avec la même intensité. (Oui, je suis parfois brutal, même avec mes amis.) Nicolas sirotait son café, il avait l’habitude, il ne m’en voulait pas (trop) de m’être ainsi emporté.

Le lendemain, j’étais en déplacement dans le Sud, où j’avais été convié pour une petite sauterie pour la fin d’un projet sur lequel je n’avais rien branlé. Je ne connaissais pas bien l’équipe (puisque je n’avais rien foutu) mais j’allais quand même retrouver avec plaisir les anciens du génie civil et de la ventilation.

Dans le train qui filait sous la pluie, une petite vieille essayait gentiment – mais inlassablement – de me gaver de chocolats malgré mes refus polis.

À chaque arrêt je me recroquevillai, excédé par les annonces du chef de bord, vous savez, ces annonces absolument insupportables car longues, incompréhensibles, répétitives et agressives, en plus d’être débiles et infantilisantes. Oui, papa, on sait : il faut attendre que le train soit à l’arrêt pour descendre sur le quai. Pas besoin de le hurler via une sono totalement déglinguée.

Sur ces sujets, cela faisait longtemps que j’étais passé de la simple exaspération à la haine la plus pure ; en fait quand je vois des agents SNCF ou RATP j’ai très envie de les taper, de leur péter la gueule même, même si je dois bien reconnaître qu’objectivement ils ne m’ont rien fait. Vous devez vous dire que je suis quelqu’un de véritablement odieux, vous n’avez sans doute pas tort, mais ce qui suit va peut-être vous modérer en vous montrant ma (petite) part d’humanité : devant moi dans le train, il y avait un petit vieux, je le regardais et j’avais le cœur brisé, pourquoi au juste je ne sais pas, il avait l’air heureux en plus (alors que moi je ne l’étais pas). Peut-être qu’au prétexte idiot qu’il était vieux j’avais l’impression qu’il allait mourir bientôt et pas moi ; je me demandais si on se résumait à ça, au fond de moi, quelque part, oui je le crois. J’étais donc là, comme un con dans mon wagon, tiraillé entre la haine pour le chef de bord et l’envie de pleurer face à ce vieil homme fatigué.

Oui, je suis totalement détraqué.

J’allais me changer les idées dans le wagon bar en buvant des bières devant BFMTV. En voyant un reportage sur la disparition des grands singes je me suis dit un truc du genre « Putain, qu’est-ce qu’on est en train de faire ? », mais en même temps que je me disais ça, je me souvenais que je venais d’acheter mes billets d’avion pour des vacances en Floride, et donc que j’y participais activement, à cette destruction du monde.

Le sujet suivant annonçait que Laurent Culez avait pris le contrôle du parti de droite, je me suis dit allons bon, encore un sacré bouffon.

Arrivé dans le Sud, j’étais encore un peu blasé par le reportage sur les singes de BFMTV. Quand mon taxi arriva, le conducteur semblait avoir envie de parler, je ne savais pas quoi lui dire, j’eus alors la tentation de parler du temps de merde qui nous tombait dessus, mais à quoi bon ressasser toutes ces paroles vides à la con ?

Je me réfugiai donc dans mes pensées, je repensais à toutes ces conneries au boulot, aux dernières nouvelles du RFPR, notamment au début des épreuves de mise en pression qui semblaient une nouvelle fois démontrer que nous n’étions même pas capables de concevoir un boulon.

La soirée organisée par le projet avait été plutôt sympa, à ceci près que le gros Louis du génie civil fit une nouvelle fois semblant de songer à payer l’addition, nous fîmes alors comme d’habitude semblant de craindre qu’il allait vraiment le faire, il fit alors, toujours comme d’habitude, mine de revenir à la raison ; ce petit jeu durait depuis des années pendant lesquelles il ne nous paya en réalité jamais ne serait-ce qu’un café.

La soirée avait heureusement joyeusement enchaîné, pour être honnête c’était même complètement parti en spirale : nous avions fini en allant piquer du whisky et du champagne dans les cuisines ; s’ensuivirent d’inavouables mélanges.

Totalement bourré, j’avais logiquement envoyé des SMS sans queue ni tête à toutes mes ex.

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