Alerte rouge

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La Guerre froide ne manque pas d’épisodes où nous avons frôlé l’apocalypse nucléaire, pour de « bonnes » ou de « mauvaises » raisons. La crise des missiles de Cuba est une « bonne » raison dans le sens où la menace était réelle. Les « mauvaises » raisons sont d’une autre nature, plus dérangeante : il n’y avait parfois aucune menace et, pourtant, nous sommes parfois passés à deux doigts de nous vitrifier mutuellement.

Les missiles balistiques intercontinentaux ont ceci de terrifiant que, outre le fait que leur nombre et leur puissance dépassent l’entendement, ils vont vite.

Très vite.

En fait, entre le lancement des missiles et la détonation sur la cible, il ne se passe que quelques minutes.

Les militaires et les politiques n’ont donc que quelques minutes pour décider si la menace qu’ils observent sur leurs radars est réelle ou s’il ne s’agit que d’une fausse alerte, dont la cause doit être déterminée.

Quelques minutes pour se laisser anéantir sans répliquer si l’on confond une fausse alerte avec une attaque réelle.

Quelques minutes pour détruire un continent alors qu’il n’y avait aucune raison réelle de le faire.

Voilà qui pose un sacré problème, aussi bien technique que politique et philosophique.

Il y eut de nombreuses fausses alertes : des signaux radars douteux pris pour des missiles, avec toujours un vent de panique dans les états-majors, puis un retour à la normale après avoir pu déterminer la cause de la fausse alerte.

Mais le 9 novembre 1979, il se passa quelque chose de tout à fait nouveau et d’absolument terrifiant : les opérateurs du NORAD virent s’afficher sur leurs écrans la signature d’une attaque thermonucléaire totale. Deux-cents cinquante missiles avaient décollé et fonçaient à toute vitesse vers le territoire américain. Il ne s’agissait pas d’un écho radar douteux quelque part, non, c’était un ensemble de signatures radar parfaitement claires et identifiables.

Et le NORAD n’était pas seul à observer le phénomène : le Strategic Air Command, le Pentagon National Military Command Center ainsi que l’Alternate National Military Command Center voyaient tous la même chose. Il n’y avait pas d’erreur possible.

Le jour tant redouté était donc arrivé.

Le NORAD notifia immédiatement le conseilleur de la sécurité nationale qu’une attaque nucléaire totale était en cours et que le président devait donner l’ordre de la contre-attaque d’ici trois à sept minutes.

Trois à sept minutes.

Pour décider du sort de la planète.

Le conseiller à la sécurité était blême.

Le NORAD lui indiqua alors qu’il y avait du changement : il n’y avait plus « simplement » deux-cents cinquante missiles sur les écrans, mais deux mille deux cents.

C’était la fin des temps.

Mais le temps que chacun fasse bien dans son pantalon, des stations radars indépendantes de l’armée indiquèrent, elles, qu’elles ne voyaient absolument rien sur leurs écrans.

Il y avait donc d’un côté des milliers de missiles parfaitement identifiés dans les centres de surveillance de l’armée et, de l’autre côté, rien sur toutes les autres stations. Quelqu’un, je ne sais pas qui, a pris la bonne décision : ne pas répliquer. Car, pour massive que l’attaque semblait être, celle-ci n’était probablement finalement pas réelle. C’était délirant, mais c’était ainsi : trop bizarre pour être vrai.

L’enquête montra qu’un technicien avait « simplement » chargé par erreur dans un ordinateur une bande magnétique destinée à simuler, justement, une attaque thermonucléaire totale. Les données de l’exercice furent envoyées simultanément à tous les centres radars de l’armée : de manière ahurissante, le NORAD et tous les autres centres confondirent un simple exercice qu’ils avaient eux-mêmes conçu et programmé avec une attaque réelle.

Je ne connais pas la teneur des échanges entre les militaires ce jour-là, pas plus que je n’ai les détails du savon que la Maison-Blanche a immanquablement dû leur passer, mais je pense qu’un certain nombre de pantalons ont fini à la blanchisserie ce soir-là.

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