Chapitre 46
░ ░ ░ IVY ░ ░ ░
Rongé par la culpabilité, Oleksandr a pourtant accepté que je me rende à mon cours de piloxing. J'espère que cette séance me permettra de canaliser mon énergie et de chasser le stress et le malaise qui me hantent depuis ma nuit avec Dixie. Le maquillage est mon allié dans ces moments difficiles. Je pressens déjà qu'il me sera difficile de croiser le regard des autres sans trahir ma douleur par un regard fuyant ou une moue crispée. Un chignon décoiffé coiffe ma tête et des vêtements amples enveloppent mon corps, un foulard serré autour du cou pour parer le froid. En franchissant le seuil du hall d'entrée, ma démarche est hésitante, des douleurs lancinantes me brûlent et des courbatures crispent mes muscles. L'urgence me pousse à travers le hall, mes pas claquent contre le sol carrelé. Je jette un rapide coup d'œil par-dessus mon épaule, soulagée de ne pas apercevoir la silhouette familière de Dixie. La porte d'entrée s'ouvre avec un grincement et je m'engouffre dans la fraîcheur matinale, lutte contre le vent qui s'engouffre dans mon foulard. J'ai à peine le temps de saluer la concierge avant de me précipiter vers l'arrêt de bus, mon cœur battant la chamade dans ma poitrine. Une véritable course contre la montre entre le cours et mes trajets. Housnia, surprise par mon manque d'entrain et d'énergie, ne put s'empêcher de remarquer la différence avec notre première séance. Je reste polie mais je fais tout pour éviter les contacts physiques et ma conversation est faite de monosyllabes pour vite couper court et changer de sujet lorsqu'Housnia me questionne sur mon état. Je l'envoie bouler en lui disant que ce ne sont pas ses affaires. Elle soupire, battue.
- D'accord, si tu veux. Mais tu sais que je suis là pour toi si tu as besoin de parler, complète Housnia en me lançant un regard suspicieux.
Adossée au mur, les yeux fermés, je frissonne bien que la musique n'ait pas encore commencé. Des larmes menacent de couler, je triture la manche de mon t-shirt, un geste nerveux que je fais quand l'anxiété me submerge. Mon cœur s'emballe, provoquant une nausée soudaine. Mon téléphone vibre, je sursaute en voyant le nom d'Oleksandr apparaitre, je décroche fébrile.
- Ось і добре, ти добралася на своє заняття з пілатесу? (C'est bon, tu es bien arrivée à ton cours de piloxing ?) me questionne Oleksandr.
- Aк, ти навіть можеш почути, як говорить Хусні! (Oui, d'ailleurs tu peux entendre Housnia parler !).
- Чудово, тільки не барися там! (Bien, tu ne traînes pas juste après !).
- Обіцяю, - кажу я, стиснувши горло. Promis, dis-je la gorge serrée.
Le téléphone raccroché, je tremble encore. Un seul regard suffit à Housnia pour comprendre que quelque chose ne va pas. "Ça va ?" me demande-t-elle. Je hoche la tête, incapable de parler. Mon regard est apeuré, je finis par lui sourire pour la rassurer. Accablée de honte, j'ai franchi le pas de la porte de la salle, ignorant comment j'y étais parvenue. À son geste vif pour annoncer la première chorégraphie, je me recroqueville instinctivement, protégeant mon visage de mes bras.
- Ivy, tout va bien ? Tu sembles un peu fatiguée..., revient à la charge Housnia.
- Oui, ça va, merci, répondis-je en baissant la tête et en tirant sur la manche de mon t-shirt pour couvrir mes poignets. C'est juste que je me trouve nulle par rapport à tes autres danseuses.
- Je te trouve très silencieuse aujourd'hui, ça ne te ressemble pas, reprend Housnia. Bien que débutante, tu es l'une des meilleures dans cette salle car tu exprimes, tu vis la danse ! Mais quelque chose me dit que tu n'es pas sincère sur ton explication. Et puis, j'ai vu ces bleus sur tes bras... Est-ce que tout va bien à la maison ?
- Non, ce n'est rien. Je me suis cognée contre un meuble, dis-je sur un ton hésitant. Qu'est-ce que je peux être maladroite ! repris-je en riant forcé.
- Ivy, bien que je ne te connais pas depuis longtemps, je sais que tu me mens. Tu peux me parler de ce qui se passe ? Je suis là pour toi, tu sais, me chuchote t-elle en caressant ma joue.
- Je ne peux pas... J'ai si peur, dis-je les larmes aux yeux. Maintenant, démarre ton cours, je ne dois pas traîner plus longtemps ici !
- Ne crains rien, je suis là. Tu peux me dire tout ce que tu veux, je ne te jugerai pas, murmure Housnia.
- Il me crie dessus, il me rabaisse tout le temps. Et parfois, il devient violent..., parviens-je à dire après long moment d'hésitation.
- Quoi ? Non, Ivy, il ne faut pas accepter ça ! Tu dois partir, quitter cet endroit, s'exclame t-elle horrifiée.
- Je l'ai cherché moi aussi, je l'ai trompé, nous nous sommes disputés violemment verbalement et je lui ai asséner un violent coup de genoux dans les testicules. Je ne peux pas le quitter. J'ai peur de ce qu'il pourrait me faire. Et puis, j'ai besoin de lui... Tout est de ma faute ! Je dois lui prouver qu'il peut avoir confiance en moi !
- Ivy, tu n'as besoin de personne qui te traite de cette manière. Tu es forte et indépendante, tu peux t'en sortir seule. Je t'aiderai, je te promets, me rassure Housnia.
- Tu veux m'aider ? Sois juste présente pour moi, cela me suffit amplement, répondis-je en pleurant. Dansons maintenant !
Housnia me prend et la serre fermement. Je lui souris faiblement, un soupçon d'espoir dans les yeux. Housnia branche le son qui crache dans les enceintes, la danse commence sur un rythme endiablé, mes pas frappent le sol en cadence. Je suis Housnia, enchaîne les pas chassés : gauche, main droite au sol ; droite, main gauche au sol. Mon jogging vibre à chaque foulée, la sueur ruisselle sur mon dos. La sensualité de la seconde musique me trouble au début, mais peu à peu, la danse me donne confiance. D'abord hésitante, je frappe mes poings devant moi, puis j'imite les gestes d'Housnia, frôlant ma poitrine avec douceur. Sauts à gauche, sauts à droite, je suis les pas d'Housnia, notre cœur s'emballe. Cris libérateurs fusent pour repousser les limites de l'effort. Hanches libérées, grand écart sensuel, nos cheveux virevoltent dans les airs. Coups de poings imaginaires, nous libérons notre énergie. Bras tendus, Housnia ondule, ses épaules frémissent, sa poitrine se balance avec sensualité.
- Aller Ivy, montre ta sensualité, grogne t-elle avec un large sourire. Aller les filles, on bouge les épaules !
Miroir inversé, je reproduis ses gestes, la danse me libère, mon esprit s'apaise. Mes seins ondulent à l'unisson, peu importe notre taille de poitrine, la beauté est dans le mouvement. Quatre ondulations du bassin en cercles serrés, deux coups de pied puissants, puis deux réceptions gracieuses sur la jambe arrière. Le tout en quatre temps à chaque fois. Face au miroir, Housnia se cambre, effleurant ses orteils, son fessier rebondi. Nous la suivons, mains au sol, pour un twerk timide, que seule la belle marocaine maîtrise à la perfection.
- Bien girls ! s'exclame t-elle encourageante. On ressecoue la poitrine et les épaules, je veux vous voir détendues ! 1-2-3 !
J'ai les joues qui s'empourprent d'un effort intense. Mes épaules sont secouées avec relâchement, les mouvements de ma poitrine sont très fluides. Je sens mes seins s'animer avec vigueur. Housnia hypnotise par ses cercles du bassin, poings serrés sur ses hanches. Sublime, elle enchaîne les mouvements qu'elle a tant répétés. Nous la rejoignons dans cette danse lascive. Elle mime une caresse intime, puis un cri jaillit, suivi d'un coup de poing puissant.
- Mes dames, une petite gorgée d'eau et on termine sur la dernière chorégraphie, haute intensité ! s'exclame t-elle en buvant au goulot de sa gourde.
Les rythmes électro s'intensifient, Housnia a poussé le volume à fond, j'imagine déjà les voisins accourir en masse. Pas chassés, j'avance vers le miroir. Une rafale de coups de poing, elle hurle de tout donner. Je suis à bout, des larmes coulent tandis que je frappe l'air de mes poings. D'un bond puissant, Housnia recule sautant à pieds joints, distribuant des coups de poing à gauche et à droite. Un dernier saut aérien et elle s'écrase au sol pour un burpee impeccable.
Je puise dans la force de mes bras pour me décoller du sol, me restabiliser avant d'avancer de nouveau jusqu'au miroir. Pris de panique, mes poings tremblent et mes fesses se contractent tandis que je bondis à reculons à plusieurs reprises. L'air me manque de plus en plus, un poing de côté me tiraille le flan. Un burpee précis, mon t-shirt s'étire et dévoile un aperçu de ma féminité. Suant à grosses gouttes, je m'essuie le front tandis que la musique s'éteint brusquement. Une musique douce mais combattive revient, Housnia nous propose cinq minutes d'étirements de fin.
- Salut Housnia, à la prochaine, m'exclamai-je le souffle court. Merci pour cette deuxième séance !
Je me mets à courir en direction des vestiaires, très pressée n'ayant pas beaucoup de temps pour me doucher avant de retrouver Oleksandr. Un cri perçant jaillit de ma gorge lorsque j'aperçois Dixie derrière la porte des vestiaires. Je ne m'attendais pas à son arrivée au sein du club.
- Ivy, tu vas bien ? s'exclame t-elle en se jetant dans mes bras.
- Non, répondis-je en pleurant dans son cou.
- Plus de nouvelle, ton numéro plus attribué, que se passe t-il ?
- Oleksandr a coupé ma ligne, il m'en a pris une nouvelle mais je ne peux pas te la donner, je suis désolée c'est beaucoup trop risqué ! Et toi comment vas-tu ma chérie ?
- Soren m'a quitté, j'ai tellement mal, murmure t-elle en pleurant elle aussi.
- Oh non, Soren ? Mais je croyais qu'il était ouvert à ce sujet ?
- Je ne voulais pas t'accabler avec mes problèmes en plus des tiens. Il n'a pas supporté le fait que je lui ai caché mon désir de faire l'amour avec toi. Pourtant nous étions tellement heureux ensemble !
- Je suis tellement désolée, ma chérie, répondis-je en lui faisant un câlin. Je ne peux pas imaginer ce que tu traverses. Tu sais que tu peux compter sur moi pour quoi que ce soit, n'est-ce pas ?
- Oui, merci Ivy. Tu es la meilleure, dis-moi qu'Oleksandr ne t'a pas fait de mal ?
- Et ne t'inquiète pas pour Oleksandr, on va trouver un moyen de se recontacter. Je ne te laisserai pas tomber, promis.
- Je crains que ce ne soit possible, murmure Dixie. Regarde ton visage... Il t'a fait du mal. Tu ne dois plus m'approcher.
Je réalise le rouge aux joues que mon opération camouflage tombe à l'eau, mon maquillage s'est estompé avec l'effort physique, j'aurai dû miser sur quelque chose de plus résistant. Nos regards se croisent, les larmes roulent à l'intérieur de mes joues.
- Non Dixie, ça, je l'ai mérité, renchéris-je la gorge serrée en lui désignant le bleu sous ma mâchoire. C'est moi qui ai donné le premier coup, il s'est seulement défendu et n'a pas contrôlé sa force, c'est gentil de t'inquiéter pour moi mais j'ai conscience que tout est de ma faute.
- Tu ne peux pas rester comme ça, s'époumonne t-elle en me secouant les épaules. Dépose une plainte !
- Non, la situation est déjà bien envenimée. Je te dis que c'était accidentel ! Je l'aime Dixie ! Maintenant je dois vite prendre ma douche et tu ferais mieux de rentrer ! Aller file ma belle ! Le temps presse !
Dixie se pétrifie ne sachant plus si elle doit obéir à ma voix, ses noisettes finissent par s'attendrir. Ses lèvres se retroussent, dans l'attente d'un baiser de ma part. Je ne réfléchis plus et mes bras entourent son cou et je finis par répondre à sa demande avec ardeur.
Puis pour qu'elle me laisse tranquille, je décroche mon portable pour composer le numéro de mon chéri.
- Олександре, мій урок танців закінчився. Дай мені двадцять хвилин, щоб прийняти душ, і я їду додому. (Oleksandr, mon cours de danse est terminé. Laisse moi vingt minutes pour prendre ma douche et je prends le chemin du retour).
- Дякую, що попередила, люба, я тебе чекаю. (Merci de m'avoir prévenu ma chérie, je t'attends).
Je soupire en raccrochant, cette douche chaude, je l'ai mérité.
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